L’émission « Réflecteur » de la Télévision roumaine
A la fin des années 1960, l'émission "Reflector/ Réflecteur" était censée mettre sur la sellette les dysfonctionnements présents dans certains domaines de la vie de la société socialiste de la Roumanie d’alors.

Steliu Lambru, 10.03.2025, 10:18
1966 – 1971 : une période de relâchement idéologique
L’histoire de la presse des années noires du communisme comprend une période plus faste, de relâchement idéologique, entre 1966 et 1971, période pendant laquelle l’éthique et la déontologie journalistique n’ont plus été le vain mot qu’elles étaient habituellement. C’est en cette période qu’est apparue l’émission de télévision Réflecteur, censée mettre sur la sellette les dysfonctionnements présents dans certains domaines de la vie de la société socialiste de la Roumanie d’alors. Forcément, certains sujets, qui avaient trait à la nomenklatura, aux forces armées ou encore à l’appareil répressif de la Securitate, demeuraient tabous.
Lancée en 1967 et s’inspirant de certaines émissions de télévision occidentales, Réflecteur trouva rapidement écho dans les chaumières. L’ouverture idéologique de l’appareil de propagande qu’était la télévision publique d’alors doit beaucoup à deux personnalités : Silviu Brucan, président de la société de la télévision roumaine, et Tudor Vornicu, ancien correspondant de presse en France, devenu rédacteur en chef de la télévision roumaine, qu’il tenta de bâtir selon le modèle français.
Les débuts de l’émission
Dans une interview passée en 1997 au micro du Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine, Ion Bucheru, vice-président de la Télévision roumaine depuis le milieu des années 1960, racontait le contexte du lancement de cette émission de télévision :
Ion Bucheru: « J’étais responsable de l’émission Réflecteur de la part du conseil de direction tout comme d’une autre émission similaire, intitulée L’Enquête sociale. Réflecteur bénéficiait d’une diffusion bihebdomadaire d’une durée de 20 à 25 minutes. L’Enquête sociale avait une durée de 50 minutes, parfois une heure. Il y avait un véritable engouement du public pour ces émissions. L’on recevait un courrier inouï qui nous était adressé le plus souvent par des gens qui avaient épuisés toutes les voies administratives ou légales pour faire valoir leurs droits. »
Les enquêtes présentées dans le cadre de ces émissions de télévision mettaient sur la sellette des cas flagrants d’abus, l’incompétence ou encore l’indifférence des autorités dans la gestion de l’intérêt public. Des émissions craintes pour leur mordant par bon nombre de responsables politiques.
Ion Bucheru : « Le cadre final de Réflecteur montrait une limousine noire qui démarrait en trombe, alors que la bande texte titrait « Le ministre Untel, sans doute trop pressé par ses responsabilités, s’est refusé à tout commentaire face aux graves dysfonctionnements relatés dans le cadre de notre émission et qui relèvent malgré tout de son domaine de responsabilités ». Alors, voyez-vous, cette émission s’est rapidement bâti une réputation. Lorsqu’un ministre ou un directeur d’entreprise apprenait que le car de reportage de l’émission était dans les parages, il n’était pas loin de l’apoplexie. »
Nicolae Ceaușescu met fin brutalement au vent de liberté dans la presse roumaine
Mais le vent idéologique allait rapidement tourner et les cowboys de la télévision roumaine devront rentrer dans les rangs. En effet, en 1971 Nicolae Ceaușescu décide de mettre brutalement fin au vent de liberté qu’avait un moment soufflé dans la culture et les médias roumains pour revenir à la ligne dure idéologique qui avait été de mise pendant l’époque du stalinisme. Un tournant pour l’émission Réflecteur, qui allait devenir de moins en moins acide, jusqu’à perdre son âme.
Ion Bucheru : « Le tournant idéologique opéré par Nicolae Ceausescu au mois de juillet 1971 a été provoqué par un scandale de télévision. En effet, Ceausescu était au faîte de sa gloire et de sa popularité en 1968, lorsqu’il a tenu tête à l’URSS lors de l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes du Pacte de Varsovie. Il était adulé par les Roumains, il s’était aussi rapidement bâti grâce à cette position un indéniable prestige en Occident. Ce fut un véritable moment de grâce pour la politique externe du régime communiste roumain, un prestige, une sympathie que l’on ressentait tous dès que l’on arrivait en Occident. J’ai ressenti cette sympathie en tant que journaliste de télévision. L’on partait souvent sans moyens, sans argent, faire un documentaire, une émission, suivre une délégation officielle en Occident. Et l’on se voyait entouré, l’on se faisait aider par nos confrères d’une manière incroyable ».
Finalement l’émission Réflecteur passera à la trappe au milieu des années 1980, lorsque la durée de diffusion quotidienne de la Télévision roumaine a été ramenée à seulement deux heures. Une émission phare pour son franc-parler, qui reviendra après la chute du régime communiste dans la grille des programmes de la télévision publique roumaine sans toutefois plus jamais parvenir à égaler l’engouement suscité à l’époque de sa gloire. (Trad Ionut Jugureanu)