La destruction du patrimoine religieux de Bucarest
L’historienne Speranța Diaconescu ancienne fonctionnaire à l’Office culturel national de Bucarest raconte dans une interview de 1997, conservée par le Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine, la manière que le régime communiste de l’époque a utilisée pour mettre à terre nombre de lieux de culte.
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Steliu Lambru, 24.02.2025, 11:01
Le régime communiste a détruit de nombreuses églises et monastères
L’histoire du patrimoine religieux de Bucarest durant le 20e siècle, surtout celle de la seconde moitié du siècle, ne fut pas des plus reluisantes. Le régime communiste fut loin d’être un allié de la religion et n’hésita pas à s’en prendre aux églises et aux monastères qui essaimaient le Bucarest d’antan. Il en fut ainsi du monastère Văcărești, le plus grand monastère orthodoxe de l’Europe de Sud-Est.
L’historienne Speranța Diaconescu ancienne fonctionnaire à l’Office culturel national de Bucarest raconte dans une interview de 1997, conservée par le Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine, la manière que le régime communiste de l’époque a utilisé pour mettre à terre nombre de lieux de culte.
Speranța Diaconescu : « Les choses évoluaient de mal en pis. Il y a eu des destructions d’églises dès l’installation du régime communiste en Roumanie. Il y a eu l’église Stejarului, l’église du chêne, sise place du palais royal, qui fut détruite pour laisser la place à l’ensemble Sala Palatului et aux buildings d’habitations avoisinants. Pourtant, dans ces années, et l’on parle des années 50-60, c’était l’exception. Le phénomène a pris pourtant de l’ampleur plus tard, dans les années 80, lorsque Nicolae Ceausescu s’est évertué de rebâtir à sa sauce le nouveau centre de Bucarest, en détruisant pour ce faire des quartiers historiques du vieux Bucarest. Des quartiers qui avaient du cachet et où les églises étaient présentes en nombre. Ce fut pour la capitale roumaine une perte inestimable en termes de patrimoine architectural, culturel et religieux. »
Des destructions massives dans les années 1980
En effet, pour les Bucarestois les années 80 furent synonymes de destructions massives. Les nouveaux plans de systématisation de la capitale roumaine n’ont pas épargné les lieux de culte. Les églises, victimes de la folie destructrice du dictateur roumain, ont été, pour une minorité, translatées, pour la plupart détruites.
Speranța Diaconescu rappelle le cas de l’église Pantelimon, située sur une ile du lac homonyme, église démolie en 1986 :
« L’on a fait des fouilles, l’on est parvenue à sauver des choses. Ensuite seulement elle fut démolie. C’était la procédure. C’était une église voïvodale, où se trouvait la dépouille d’Alexandru Ghica. Elle recueillait des éléments décoratifs précieux, certaines pièces uniques que l’on est parvenu à sauvegarder ».
Un mépris généralisé pour le patrimoine religieux
Mais le mépris pour le patrimoine religieux était généralisé, depuis les décideurs politiques et jusqu’aux simples ouvriers.
Speranța Diaconescu :
« Après avoir soulevé la pierre tombale, l’on a découvert le sarcofage du voïvode Alexandru Ghica. La dépouille était embaumée, bien conservée, enfermée dans un cercueil de plomb, ensuite seulement dans son cercueil de bois. Vu l’état de conservation, l’on décida alors d’étudier de près la dépouille. Mais vous savez quoi ? Ils ont pris le cercueil de plomb pour l’amener au musée, c’était une pièce qu’il fallait conserver. Ils ont ensuite soulevé la chemise du voïvode et ils se sont étonnés qu’il n’avait pas de médaillon d’or autour du cou. La dépouille n’avait qu’une bague et une chaîne avec une petite croix en or autour du cou. A la fin, la dépouille a été entassée dans un sac en plastique et jetée derrière un buisson. Il est vrai qu’elle commençait à sentir mauvais, mais était-ce cela une raison pour la jeter de la sorte ? C’était pire que du vandalisme. Avec l’aide d’une collègue et du prêtre, je suis finalement parvenue à lui creuser une tombe et à réinhumer sa dépouille dans la dignité. Mais ce fut lamentable, vraiment lamentable ».
Quoi qu’il en soit, durant la seconde moitié du 20e siècle, pendant les 45 années de régime communiste, le patrimoine religieux de Bucarest souffrit des pertes irréparables. Sa mémoire, tronquée, tant qu’elle a pu être épargnée par les bulldozers, demeure d’autant plus précieuse. (Trad Ionut Jugureanu)