Dan Barbilian/ Ion Barbu – mathématicien et poète de renom
Le mathématicien Dan Barbilian, connu en tant que poète sous le nom d'Ion Barbu, est né avec un talent unique pour les sciences mathématiques et pour l’art poétique, mais il a dû travailler dur pour mettre en valeur ce talent. Portrait.
Steliu Lambru, 02.02.2025, 10:05
Elles ne sont pas nombreuses, les personnalités capables de se hisser aux plus hauts niveaux de création ou de performance dans des domaines différents et même apparemment opposés. Le mathématicien et poète Dan Barbilian / Ion Barbu en fut une de ces personnalités, qui est entré dans l’histoire de ses deux passions, les mathématiques et la poésie. Le mathématicien Dan Barbilian et en même temps le poète Ion Barbu est né avec un talent unique pour les sciences mathématiques et pour l’art poétique, mais il a dû travailler dur pour mettre en valeur ce talent.
Naissance d’un génie des sciences et de la littérature
Dan Barbilian a vu le jour en 1895 dans la petite ville de Câmpulung Muscel, dans une famille de magistrats, et il est décédé en 1961 à Bucarest. Sa passion pour les mathématiques se manifeste dès les premières années d’école et durant les années de lycée il commence à collaborer à la revue « Gazeta Matematica », dans les pages de laquelle se sont exprimées les vocations des plus importants mathématiciens roumains. C’est également à cette époque que se manifeste sa passion pour la poésie, mais ses débuts littéraires se produiront plus tard, en 1919, dans la revue « Sburătorul ». Dan Barbilian a étudié les mathématiques d’abord en Roumanie, à l’Université de Bucarest, et ensuite, après la fin de la première guerre mondiale, il continue ses études entre 1921 et 1924, en Allemagne, à Göttingen, Tübingen et Berlin. En 1929, il obtient son doctorat en mathématiques sous la coordination de son professeur de Bucarest, le mathématicien Gheorghe Țițeica, et déroule une intense activité scientifique, y compris des participations à des congrès internationaux. A la Faculté des Sciences de Bucarest, il enseigne l’algèbre, la géométrie, la théorie des nombres, la théorie des groupes, l’axiomatique. Il donne aussi des cours à des universités de l’espace germanophone. Une procédure concernant les espaces métriques sera appelée « les espaces de Barbilian » et une autre contribution ouvrira la voie de la recherche dans la géométrie des anneaux. Il compte aussi parmi les fondateurs de la standardisation de la géométrie algébrique.
Opportunités éducationnelles pour un jeune talentueux
Le mathématicien et écrivain Bogdan Suceavă a remarqué les opportunités éducationnelles dont un jeune aussi talentueux que Dan Barbilian avait bénéficié dans une Roumanie en train de se construire selon des modèles européens :
« Dan Barbilian a gagné le concours organisé par Gazeta matematică en 1912 et, chose très intéressante, j’en ai trouvé une mention dans la base de données de l’American Mathematical Society. Il faut vraiment que ce soit quelqu’un d’important pour que le nom y soit mentionné en lien avec un certain chapitre des mathématiques. Barbilian est en lien avec le 51C05, la géométrie des anneaux. Il a introduit les espaces qui portent son nom en 1934, mais au début il a tout simplement été un gagnant du concours de la Gazeta matematică, en 1912. Il a ensuite étudié à Göttingen avec David Hilbert, Emmy Noether, Edmund Landau, et il a laissé une œuvre littéraire intéressante dans la littérature roumaine. Il a eu des contributions importantes dans le domaine de l’algèbre, en 1943 il publie une approche axiomatique de la mécanique, qui est passée un peu sous les radars. Après son entraînement de départ autour de la « Gazeta matematică », il s’est avéré en fin de compte un créateur de mathématiques du plus haut niveau. »
Pendant tout ce temps, le mathématicien Dan Barbilian écrivait de la poésie sous le nom de plume Ion Barbu, une anagramme de son nom de famille. En tant que poète, il s’est approché du critique littéraire Eugen Lovinescu et de son cénacle « Sburătorul ». Un autre critique littéraire, Tudor Vianu, qui s’est lié d’amitié avec Barbu durant leurs années de lycée, consacre un volume à l’analyse de la poésie du mathématicien. Selon Vianu, la création poétique d’Ion Barbu connaît plusieurs période: d’abord, jusqu’en 1925, celle dite « parnassienne » inspirée par la poésie parnassienne française ; ensuite la période de la ballade orientale, inspirée d’auteurs roumains tels qu’Anton Pann ou des textes qui parlent du personnage Nastratin Hogea ; enfin, la période hermétique, appelée ainsi par ses exégètes à cause de la codification des significations poétiques employées par Ion Barbu. De nos jours, deux des poèmes écrits par Barbu ont une notoriété particulière ; il s’agit de « Riga Crypto și lapona Enigel » et « După melci », ce dernier ayant été mis en musique par le chanteur-compositeur Nicu Alifantis en 1979.
Souvenirs de jeunesse
La lecture des notes de Dan Barbilian a fait découvrir à Bogdan Suceavă une description littéraire d’un grand effet des souvenirs du mathématicien et poète :
« Dans les années 1950, il écrivait ceci à propos du concours de 1912: <Le problème porte l’empreinte d’Ion Banciu, membre de la commission d’algèbre, cher et inoubliable grand professeur.> Barbilian laisse parler ses sentiments, quand il en a envie. <A part mon père, ai-je rencontré quelqu’un d’autre qui croie en moi et qui m’aide autant? Țițeica ne possédait ni l’élan, ni la chaleur humaine, ni la générosité de Banciu. Je veux rester l’élève de Banciu et ensuite de Felix Klein et de Richard Dedekind, et d’aucun autre.> Là il est quelque peu injuste, car Țițeica l’a massivement aidé, mais je crois qu’il n’était pas très tendre avec lui. Il lui imposait des délais et Barbilian n’aimait pas du tout ça, je pense. Il n’aurait pas pu se conformer aux deadlines. <Qu’est-ce que j’ai pu écrire dans mon épreuve? La très bonne appréciation de Țițeica pour l’algèbre m’a étonné. M’en suis-je sorti avec tous ces calculs numériques? Si le détail de l’épreuve écrite m’échappe, je retrouve l’atmosphère de cette salle poussiéreuse de l’Ecole des Ponts et chaussées, ainsi que de l’après-midi quasi nordique et de sa lumière polarisée. Si je revis aujourd’hui encore l’examen écrit de géométrie, passé dans la matinée, j’ai gardé un souvenir plutôt hypnotique de l’examen écrit d’algèbre.> N’oublions pas que ces examens étaient passés le même jour, ce que je ne ferais pas de nos jours. On peut donc comprendre cette sensation d’oubli de soi, d’atmosphère hypnotique, quand on passe un tel concours. Mais l’intensité d’un examen écrit de mathématiques demeure, en 1912, plus tard, toujours. Ce qui est intéressant c’est la manière dont il décrit cette expérience quatre décennies plus tard… c’est quelque chose de remarquable. »
Le mathématicien Dan Barbilian et poète Ion Barbu a prouvé que les frontières entre les différents domaines n’étaient pas fixes et que les passions pouvaient être complémentaires. Car l’être humain est fait de raison et de sentiment. (Trad. Ileana Ţăroi)