La révolution roumaine, 35 ans après
L’année 1989 en l’Europe centrale et de l’Est a bouleversé le monde, a rabatté les cartes et a touché des espaces géostratégiques étendus.
Steliu Lambru, 06.01.2025, 08:10
Changement de cap, changement de paradigme
L’on parle souvent d’un changement de paradigme lors d’un changement de cap dans le leadership d’un pays. Ce fut ainsi le cas lors de l’élection de Donald Trump à la Maison Blanche au mois de novembre passé. Mais les vrais bouleversements sont rares, rabattent les cartes et touchent des espaces géostratégiques étendus. Ce fut ainsi le cas de l’année 1989 en l’Europe centrale et de l’Est. Et, en effet, 1989 fut l’année qui a vu le raz-de-marée anticommuniste ébranler les régimes communistes polonais, hongrois, est-allemand, tchécoslovaque, bulgare et roumain. Des régimes qui se sont écroulés, de manière pacifique ou violente, tel un château de cartes. Le cas de la Roumanie se distingue entre tous par la violence et par le nombre de victimes qui a été nécessaire pour chasser de pouvoir un régime unanimement honni.
La Révolution Roumaine, la voie vers la démocratie
Moment fondateur de la Roumanie contemporaine, la Révolution roumaine du mois de décembre 1989 ne cesse depuis de faire débat et de susciter nombre d’interrogations. Quoi qu’il en soit, une chose est sûre : son héritage, éminemment positif, a projeté la Roumanie comme partie indissociable du monde occidental d’aujourd’hui, membre de l’OTAN, de l’UE, et récemment de l’espace Schengen. La hausse du niveau de vie enregistrée ces dernières décades ne peut pas non plus être dissociée de l’héritage de cette révolution du mois de décembre 1989. Une réussite donc qui n’aurait pas été toutefois possible en l’absence du sacrifice de ces martyres qui, en affrontant les balles du régime, l’ont rendue possible.
Une longue période de transition
L’historien Virgiliu Țârău, professeur à l’université Babeș-Bolyai de Cluj, s’est penché sur ce moment fondateur de la Roumanie d’aujourd’hui mais aussi sur la longue période de transition qui s’en est suivie :
« La période communiste s’est étendue sur 45 ans en Europe de l’Est. Dans 10 ans nous aurons parcouru un laps de temps similaire, la période d’après. Il faut se rendre à l’évidence : cette période de transition post-communiste nous semble longue et brève à la fois. Le changement de régime s’est accompli en quelques jours. Mais la période de la transition postcommuniste, cette période de réadaptation au régime démocratique, au capitalisme, nous semble longue, inégale, complexe, très diverse dans ses expressions, aux niveaux national et régional. Sortir du marasme économique, social, culturel et politique dans lequel le communisme nous avait plongé ne s’est pas accompli sans peine. Intégrer les nouvelles normes, les nouveaux systèmes de valeur a été un processus couteux et laborieux. Aussi, si le changement de régime a été rapide, le processus de transition fut épuisant. Il nous faut prendre du recul, et tenter de comprendre ce processus dans son ensemble ».
1989 en Europe
La révolution roumaine du mois de décembre 1989 s’est inscrite dans le changement plus ample qui a ébranlé le monde communiste et en particulier l’Europe centrale et de l’Est cette année-là. Virgiliu Țârău :
« L’année 1989 a changé la face du monde et a bouleversé les équilibres d’avant. L’on parle de cette année comme de l’année du changement, de l’année qui a vu l’Est de l’Europe abandonner le système politico-économique adopté sous la pression soviétique à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ce fut l’année de la chute du mur de Berlin, de la réunification allemande, qui ne faisait que préfigurer la réunification européenne qui aura lieu quelques années plus tard. Une Europe politique et économique qui allait s’étendre dorénavant depuis le Portugal et jusqu’aux Etats baltes. Une Europe qui allait aider à dépasser le manichéisme de la guerre froide et ouvrir grande la porte du processus de globalisation. »
Un régime renversé par la violence
Dans son analyse de l’année 1989, l’historien britannique Timothy Garton Ash détaille la manière dont les régimes communistes d’Europe centrale et de l’Est ont été remplacés, le plus souvent de manière pacifique, plus rarement, et c’est le cas de la Roumanie, par des mouvements révolutionnaires qui ont dû affronter la violence du régime. Virgiliu Țârău :
« Timothy Garton Ash fait la distinction entre le renversement pacifique des régimes communistes et le renversement violent, sous la pression de la rue, seule en mesure d’écarter finalement les élites communistes au pouvoir en Allemagne de l’Est, en Tchécoslovaquie et, surtout, en Roumanie. Les vieux leaders communistes de ces pays, soit l’Allemand Honecker, le Tchécoslovaque Husak et le Roumain Ceaușescu, se sont démarqué des autres par leur cécité politique et par l’absence de toute disponibilité au dialogue aussi bien à l’intérieur du parti communiste qu’avec les forces d’opposition. Certes, pour beaucoup, la chute des régimes communistes en Europe de l’Est a été assimilée à la chute du mur de Berlin. Mais la manière dont cela s’est déroulé sur le terrain dans chaque pays a été à chaque fois différente. »
Des régimes révolus
Que ces régimes eussent été renversés de manière pacifique ou violente, une chose est sûre : leur temps avait passé. Virgiliu Țârău :
« Au-delà de la compétition d’influence entre les grandes puissances, au-delà des jeux géostratégiques, les régimes communistes se sont effondrés par implosion. Les leaders communistes se sont avérés incapables de gérer un système de plus en plus corrompu, de plus en plus dysfonctionnel. Régime illégitime par excellence, le communisme s’est vu trahir par ceux-là même qui administraient sa destinée, technocrates et apparatchiks confondus. L’absence de vision et de perspectives, l’état délétère auquel le communisme a condamné les sociétés qu’il gérait a mené ces régimes dans une voie de garage d’où, pour sortir, la seule issue possible était l’abandon du communisme et un changement de paradigme radical. »
La révolution roumaine de 1989 s’inscrit dans le mouvement plus large de l’implosion des régimes communistes en Europe centrale et de l’Est. 35 années plus tard, des sociétés ouvertes, démocratiques et prospères ont supplanté les sociétés moroses, tristes et policières d’autrefois. (Trad Ionut Jugureanu)