Les mariages forcés ne sont pas une tradition !
Les filles et femmes de la communauté rom sont un des groupes les plus vulnérables de la société roumaine. Souvent, elles se voient dépourvues de toute protection, étant en proie aux préjugés des autorités et victimes d’abus qui ne sont pas considérés comme tels par leurs propres familles. Le mythe est désormais démantelé : les mariages forcés ne sont pas une tradition. Enquête.
Iulia Hau, 27.11.2024, 11:32
Les filles de la communauté rom, une des catégorie les plus vulnérables de la société roumaine
Les femmes et les filles rom constituent l’un des groupes les plus vulnérables et négligés de Roumanie. Trop souvent, les préjugés des autorités et la non-reconnaissance des abus perpétrés par leur famille les laissent sans protection. Bien que la Roumanie reste le pays européen avec le nombre le plus élevé de mères mineures, l’Etat ne collecte pas de données sur les mariages forcés. « Comme il n’y a pas de données, le problème n’est pas à l’agenda politique, et comme il n’y a pas de données, les causes et les priorités demeurent inconnues. » a déclaré Măriuca-Oana Constantin, maitresse de conférence à l’Ecole nationale de sciences politiques et administratives dans le cadre de la campagne de conscientisation réalisée par E-Romnja, la seule association roumaine dédiée aux filles et aux femmes rom.
Des violences contre les filles considérées comme des pratiques culturelles
Carmina, 10 ans, venait de terminer le primaire quand elle a été mariée avec un garçon de 14 ans, le mariage ayant été arrangé par leurs parents. Deux ans plus tard, Carmina accouche d’un enfant et les autorités s’autosaisissent du cas. Le dossier est cependant rapidement classé au motif que la victime a « entretenu des relations sexuelles consenties, et approuvées par les parents » ou encore que « la tradition rom encourage ce type de relation », sans qu’aucune recherche sur les parents soit effectuée.
Démonter le mythe des mariages forcés
L’histoire de Carmina est l’une des cinq présentées par E-Romnja dans le cadre de la campagne « Au nom de la tradition ? » qui vise à démonter le mythe selon lequel les mariages entre enfants sont uniquement un phénomène de la communauté rom, préjugé qui vient justifier la violence contre les personnes vulnérables. Comment sait-on que les mariages forcés ne sont pas le fait des seuls roms ? Parce que les données démographiques sur les naissances précoces le prouvent, affirme Cerasela Bănică, secrétaire d’Etat au sein du Conseil national pour la lutte contre les discriminations.
Reste à savoir pourquoi le problème des mariages forcés n’intéresse pas l’Etat. Roxana Oprea, experte en égalité des chances chez E-Romnja nous explique cette situation.
« C’est très simple et évident, c’est parce qu’il y a beaucoup de racisme au sein des institutions. Elles considèrent ce phénomène comme une pratique culturelle spécifique à la communauté rom, mais la réalité est différente. Ce n’est pas quelque chose que nous sommes les seuls à dire, nous l’association E-Romnja, d’autres institutions et organismes internationaux le disent aussi. C’est pour cette raison que ce problème n’est jamais devenu une priorité pour les institutions et les décideurs. A partir du moment où ce n’est pas quelque chose qui affecte la population générale, les autorités voient ça comme une pratique culturelle, et à cause de leurs préjugés, ils n’interviennent pas ».
Mettre en avant les droits des enfants
L’histoire de Carmina que nous venons de raconter n’est malheureusement qu’une histoire parmi des centaines qui resteront à jamais inconnues. Des histoires rendues possibles parce qu’encore trop souvent, nous considérons les enfants comme la propriété de leurs parents, que nous leur nions leur qualité d’individu ayant des droits et de besoins. Or, dans le cas des mariages forcés, l’erreur principale commise par les personnes qui veulent et doivent aider les enfants – comme les assistantes sociales, les enseignants etc. – est celle d’aller discuter avec les parents, en pensant que le problème peut et doit être résolu par la famille ou par la communauté, alors que ce sont le plus souvent les parents qui sont les abuseurs.
Roxana Oprea : « C’est un problème de norme. A partir du moment où les institutions, les écoles, les services sociaux voient ce qui se passe et n’interviennent pas, quel message envoient-elles aux parents ? Que ce qu’ils font est normal. Donc, elles viennent valider les abus des adultes sur leurs propres enfants. C’est un cercle vicieux en fait. Si nous ne consolidons pas cette manière de mettre les droits des enfants au premier plan, au lieu de montrer du doigt la communauté rom, alors nous n’arriverons pas à nous aligner sur les normes internationales. Nous resterons sur la liste honteuse des pays qui permettent les mariages entre enfants ».
Un vide juridique
Il existe en Roumanie un vide juridique dans le Code pénal concernant les mariages forcés, qui n’y sont pas vus comme un acte criminel en soi. Dans les rares occasions où un cas parvient jusqu’au tribunal, le mariage forcé est jugé en tant qu’infraction sexuelle. Pour E-Romnja, il y a un autre problème : l’utilisation par les autorités des termes « union consensuelle » pour désigner un mariage entre deux personnes dont au moins l’une d’entre elles a moins de 16 ans. Dans son « Guide d’intervention pour les mariages forcés et mariages entre enfants » publié début 2024, l’association explique que l’on ne peut pas demander à un mineur de moins de 16 ans de donner son consentement pour un mariage.
Cerasela Bănică, du Conseil national pour la lutte contre les discriminations, explique que les poursuites pénales ne prennent jamais en considération cette absence de consentement, mais mettent en avant des justifications comme « les parents sont d’accord », « ils habitent ensemble depuis longtemps », « ils ont déjà eu des relations sexuelles » ou encore « c’est une habitude dans la communauté rom ». Ces justifications laissent la victime sans défense.
L’Union européenne met la pression sur la Roumanie
Roxana Oprea revient pour RRI sur la réception de cette campagne de conscientisation par les autorités.
« La campagne suscite un certain intérêt, mais pourquoi ? Parce que la Roumanie est plus ou moins obligée d’évoluer juridiquement dans le sens d’une élimination de cette pratique, étant signataire de nombreuses conventions internationales pour la prévention et la lutte contre les violences de genre. La directive européenne 1358 contre la violence faite aux femmes et la violence domestique du 15 mai 2024 dispose que les Etats-membres ont trois ans pour transcrire ces dispositions en droit interne. Donc, il y a une pression au niveau européen pour que la Roumanie s’aligne sur les normes internationales. Il y a aussi le rapport Grevio, approuvé par le gouvernement roumain qui pousse l’Etat à prendre des mesures et à criminaliser cette pratique ».
La violence, pas toujours un problème
Pourtant pour Roxana Oprea un obstacle demeure. A son avis, ce problème n’est pas vu comme relevant des violences de genre et même dans les quelques cas où il est considéré comme tel, quand cette violence cible une femme rom, alors on ne considère pas qu’il s’agit d’un problème engageant toute la société :
« Je pense que la violence est vraiment normalisée, si on parle de violence en général, elle est normalisée dans toutes les communautés. Il y a des rapports qui montrent que les Roumains ne considèrent pas comme problématiques les agressions verbales et sexuelles et que le viol est justifié si la femme a eu un comportement dit « provocant ». C’est cette tolérance que l’on retrouve chez les juges roumains quand ils disent qu’une fillette de 11 ou 12 ans a séduit un homme ou qu’elle a consenti à son viol ».
La Roumanie a donc trois ans devant elle pour se mettre en conformité avec le droit européen en prenant des mesures contre les violences de genre en général et les mariages forcés en particulier. (trad. Clémence Lhuereux)