La Roumanie lutte contre une hémorragie démographique
En 2023, avec une population de 19 millions d’habitants, plus d’un quart des Roumains, soit près de 5 millions de personnes, vivaient à l’étranger. Une émigration massive qui affaiblit le pays, non seulement en raison d’un manque de main-d’œuvre, mais, plus inquiétant encore, en le précipitant dans un déclin démographique préoccupant.
Fromenteaud Charlotte, 12.11.2024, 12:39
Depuis la chute du communisme, puis l’entrée de la Roumanie dans l’Union européenne en 2007, le pays assiste à une fuite massive de ses citoyens vers l’Ouest, en quête d’opportunités et d’une meilleure qualité de vie. 3 millions de Roumains auraient ainsi émigré entre 2008 et 2022. Paris, Bruxelles, Londres, Rome, Madrid : les communautés roumaines sont aujourd’hui bien implantées dans toutes les grandes métropoles européennes, fournissant aux économies locales une main-d’œuvre qualifiée, souvent à moindre coût. Ce phénomène, avantageux pour les pays d’accueil, constitue cependant une véritable hémorragie pour la Roumanie, qui voit ses « cerveaux » et travailleurs qualifiés quitter le pays sans toujours envisager un retour.
Un quart de la population roumaine vivait à l’étranger en 2023
Ces derniers mois de campagnes électorales – européennes, locales, puis présidentielles et législatives – ont vu les autorités roumaines intensifier leurs appels à la diaspora, encourageant leurs compatriotes à revenir au pays. En 2023, avec une population de 19 millions d’habitants, plus d’un quart des Roumains, soit près de 5 millions de personnes, vivaient à l’étranger. Une émigration massive qui affaiblit le pays, non seulement en raison d’un manque de main-d’œuvre, mais, plus inquiétant encore, en le précipitant dans un déclin démographique préoccupant. Pourtant, pour de nombreux Roumains, revenir au pays est perçu comme un échec ou un retour en arrière, l’image d’une Roumanie aux perspectives limitées restant solidement ancrée dans les esprits. Ce phénomène d’exode touche également les étudiants, de plus en plus nombreux à partir à l’étranger pour poursuivre leurs études, jugeant que la qualité des écoles et universités y est supérieure et que leurs perspectives d’avenir en seront améliorées. D’après l’UNESCO, près de 20 000 étudiants roumains étudieraient actuellement hors des frontières, principalement au Royaume-Uni, aux États-Unis et aux Pays-Bas.
Une tendance qui semble s’inverser pour la première fois
Pourtant, d’après les chiffres de 2023 de l’Institut national roumain de statistiques, une inversion historique semble en cours. En 2022, pour la première fois dans l’histoire récente de la Roumanie, le nombre de retours a surpassé celui des départs, avec 82 000 Roumains de plus rentrés au pays que partis à l’étranger, la plupart revenus d’Espagne, du Royaume-Uni ou de la République de Moldova voisine. Ce retournement s’explique en partie par la croissance économique que connaît le pays, attirant un nombre croissant d’entreprises étrangères offrant des salaires compétitifs. À cela s’ajoutent les répercussions de la guerre en Ukraine voisine, qui a suscité une vague d’investissements européens et internationaux, notamment dans les secteurs de l’énergie, de la défense et des technologies de pointe. Cependant, il convient de nuancer cette tendance : si de plus en plus de Roumains choisissent de revenir, le flux des départs reste également en hausse. Les données de 2023 de l’Institut national roumain de statistiques révèlent en effet que le nombre de Roumains quittant le pays continue de croître (700 000 en 2023). Ce double mouvement illustre une réalité complexe : malgré les opportunités économiques nouvelles, beaucoup de Roumains persistent à chercher une vie meilleure à l’étranger, témoignant de défis persistants au sein de la Roumanie, comme la qualité de vie, les infrastructures et la confiance des citoyens en leurs institutions.
L’immigration pour faire face à la pénurie de main d’œuvre
Pour pallier sa pénurie de main-d’œuvre, la Roumanie se tourne de plus en plus vers une immigration en provenance d’Asie. Ces dernières années, des travailleurs venus du Népal, du Bangladesh, du Sri Lanka et du Pakistan occupent une place croissante dans des secteurs essentiels de l’économie roumaine, répondant aux besoins des entreprises locales en quête de personnel. Ce flux migratoire est appelé à se renforcer, car la demande des employeurs pour une main-d’œuvre stable et disponible ne cesse d’augmenter dans un contexte de pénurie nationale persistante. Cette dynamique contribue à transformer le paysage du marché du travail roumain, marqué désormais par une ouverture accrue vers l’Asie. En effet, les chiffres officiels indiquent que le nombre de travailleurs asiatiques a doublé au cours des quatre dernières années, passant de 46 535 fin 2020, à 113 555 fin 2023.
Le « patriotisme économique » roumain
Le Premier Ministre roumain Marcel Ciolacu s’était déjà exprimé en 2023 sur sa volonté de voir ses compatriotes rentrer au pays, évoquant la nécessité d’un « patriotisme économique ». Son gouvernement s’était alors engagé à développer l’économie en augmentant la production nationale et en attirant les investissements étrangers européens d’une part, mais aussi en créant des emplois plus nombreux et mieux rémunérés. L’avenir nous dira si les solutions proposées par le gouvernement les ont convaincus.
Alors que la Roumanie tente de stopper l’hémorragie démographique en incitant ses expatriés à revenir, elle fait face à un double défi : retenir ses talents tout en accueillant une nouvelle main-d’œuvre étrangère pour combler ses propres besoins. L’équilibre entre retours et départs reste précaire, témoignant des défis économiques et sociaux persistants dans le pays. Dans ce contexte, le « patriotisme économique » prôné par le gouvernement apparaît comme une tentative ambitieuse de reconquête de ses citoyens. Mais au-delà des promesses, l’enjeu pour la Roumanie est d’offrir des conditions de vie et de travail capables de rivaliser avec l’Occident. La question reste ouverte : le retour des talents roumains se transformera-t-il en un mouvement durable, ou restera-t-il un simple frémissement dans une émigration toujours vivace ?