Le phénomène« Anul Nou care n-a fost » ( La nouvelle année qui n’a pas eu lieu)
Le nouveau film sensation réalisé par Bogdan Mureşanu et récemment sorti dans les salles roumaines
Ana-Maria Cononovici, 05.11.2024, 11:11
Nous parlons film et cinéma aujourd’hui. Et nous avons fait ce choix car « Anul Nou care n-a fost » (en français, La nouvelle année qui n’a pas eu lieu), le premier long métrage du réalisateur et scénariste Bogdan Mureşanu, a enregistré des succès remarquables tout de suite après sa sortie. Ainsi, dès le premier week-end après sa sortie en salle, le film occupait la première place au box-office, et avait déjà enregistré 70 000 entrées après un mois seulement ! Sans oublier les récompenses internationales et nationales ! Place aux experts pour en discuter. Et on commence par Bogdan Mureşanu lui-même, à qui nous avons demandé s’il s’attendait à un tel succès ?
« Non, personne ne peut rien produire s’il a en tête le succès. Je veux dire, je ne me suis même pas posé la question. Je pensais que le simple fait de réaliser le film selon mes désirs, cela constituerait déjà un immense succès, et le projeter seulement devant quelques amis, cela aurait été une victoire en soi, parce que quand j’ai écrit le scénario, cela semblait impossible à réaliser. En fait, j’ai passé environ six mois à me demander si je pouvais le faire et si cela avait du sens. J’ai aussi écrit une version « plus sûre », comme on dit, quelque chose de plus facile à faire, mais j’ai finalement décidé de choisir la voie la plus complexe ! Et maintenant, je suis content de l’avoir fait ! »
Adrian Cioroianu, professeur d’histoire à l’Université de Bucarest, a vu le film lors d’une des avant-premières organisées à Bucarest et nous a raconté ses impressions :
« Pour quelqu’un comme moi qui a vu, je pense, tous, ou presque, les films sur la révolution roumaine, je dois reconnaitre que j’ai trouvé le film surprenant ! Et je n’avais pourtant pas d’attentes particulières, même les critiques étaient dithyrambiques ! Je n’avais pas d’attentes, mais j’ai trouvé cela surprenant, principalement à cause du scénario et du jeu des acteurs. Des acteurs, pour la plupart connus, mais qu’on ne s’attendrait pas à voir dans une comédie aussi noire. Je ne sais même pas comment l’exprimer ; même si cela se termine finalement relativement bien, on sait qu’après la fin du film, plus de 1000 victimes vont mourir. Mais dans l’ensemble, je pense qu’il manquait encore une nouvelle génération pour s’identifier à l’événement, et je pense que l’élément déterminant du film est ce changement de perspective. Des comédies ont déjà été réalisées sur ce sujet, tout comme des films à l’atmosphère pesante sur la Révolution de Décembre ‘89 en Roumanie, mais cet enchaînement de destins entremêlés au notre, je pense, créée un rapprochement avec la réalité, même si évidemment le réalisateur a pris des libertés artistiques pour raconter l’histoire. Certaines choses sont malheureusement présentées de manière plus agréable dans le film que dans la réalité, et l’on constate quelques petites inadvertances dans les décors, mais dans l’ensemble, je pense que c’est la fraîcheur du film qui a conquis le public. »
Bogdan Mureşanu nous explique quels ont été les défis les plus importants à relever pendant la réalisation de son film :
« Comme le film se déroule en une journée et une matinée, nous avons rencontré des problèmes avec la météo, qui ne correspondait pas à ce que l’on voyait sur les images d’archives. Il ne pouvait pas neiger par exemple. D’autre côté, nous étions aussi tributaires de la météo, nous ne pouvions pas filmer à n’importe quel moment. Les arbres devaient avoir un certain feuillage, qui ne devait pas être ni trop vert, ni trop plein de neige, comme je l’ai dit, car ce n’était pas le cas le 20 décembre 1989. Cela a posé beaucoup de problèmes. Ensuite, la reconstitution d’espaces qui n’existent plus, et je ne parle pas ici d’appartements, car cela peut encore se faire, mais plutôt d’un studio de télévision en activité des années 80, c’était pour nous un défi absolument gigantesque ! Parce le mot d’ordre était fonctionnel : il fallait que ça marche, les panneaux et tout ça devaient fonctionner, parce que nous n’avions pas les moyens d’attendre et tourner les scènes séparément. »
Les Roumains qui n’ont pas connu directement ces moments et dont les parents n’ont pas partagé suffisamment avec eux ces récits, ont pu apprendre grâce au film à quoi ressemblait le quotidien à l’époque, comment fonctionnait un magnétophone, une télévision avec des lampes et un tube cathodique. Le film soulève aussi la question de savoir pourquoi ne pas s’être enfui, pourquoi avoir choisi de rester en Roumanie à l’époque communiste ? Comment l’expliquer ? Bogdan Muresanu :
« Le film a connu un succès à l’international, mais aussi sur la scène nationale. Son circuit de festival en festival vient de démarrer et je pense qu’il va continuer ainsi pendant 2 ans ! Il va faire le tour du monde ! Mais sinon, comment l’expliquer ? Chaque jour, je reçois des dizaines de messages de spectateurs et j’y réponds ou du mois j’essaie, et mon équipe aussi. J’apprécie vraiment cela ! Les mots « thérapeutique » et « lumineux » reviennent toujours dans les messages que nous recevons, ce qui peut sembler surprenant, car le film aborde une époque difficile et sombre. Et j’ai été surpris par ce terme, « lumineux ». Même si la fin du film est libératrice et je me souviens que toute la Roumanie avait ressenti cela, elle résume probablement, dans le récit de ce film, ce sentiment de libération que nous avons tous ressenti ce jour-là. »
Adrian Cioroianu, professeur d’histoire à l’Université de Bucarest partage avec nous ses explications :
« Dans le film, on retrouve des choses caractéristiques de cette époque et d’une certaine manière, nous nous identifions tous aux personnages du film. Parce que forcément, si on était élève à cette époque-là, à l’école, on récitait des poèmes sur le parti communiste, parfois sur le secrétaire général du parti. Ceux qui rejoignaient l’armée devaient prêter serment avec la main posée sur le drapeau tricolore pour défendre la patrie sous les ordres du commandant suprême, etc. On retrouve dans le film beaucoup de ces personnages, mais étonnamment, ils sont joués par des jeunes, qui n’étaient pas nés à l’époque, et je trouve ça gratifiant, des jeunes qui ont encore aujourd’hui une image de ce à quoi aurait pu ressembler la vie en 1989, et c’est formidable. Même les étrangers, je pense, sont impressionnés par les destins de ces gens normaux, au sein d’un pays civilisé, toute proportion gardée bien sûr. Nous étions un pays où les gens essayaient de vivre normalement dans un système anormal, et je pense que le cinéphile étranger s’en rend immédiatement compte. Et puis, je le répète, c’est cet enchaînement et cet entrecroisement de destins, la façon dont des gens qui se connaissent, ou ne se connaissent pas, deviennent les protagonistes d’un même événement historique. »
Avant de terminer, Adrian Cioroianu vous invite à ne pas rater ce nouveau film roumain, si l’occasion de le voir se présente :
« J’adresserais en fait une invitation à tous ceux qui ne l’ont pas vu, car ils seront aussi émerveillés que moi, émerveillés dans un sens absolument positif. C’est une sorte de souvenir de la fin du régime communiste et cela fait du bien ! »
Le film « Anul Nou care n-a fost » ( La nouvelle année qui n’a pas eu lieu) est actuellement projeté dans 80 salles dans 42 villes à travers le pays. (trad. Charlotte Fromenteaud)