La Roumanie, état des lieux de la santé reproductive 35 ans après la mise en vente libre des moyens contraceptifs
La Roumanie a un passé turbulent en ce qui concerne la santé reproductive, marqué par le décret 770 interdisant en 1966 l’avortement. Qu’en est-il aujourd’hui des relations entre les Roumaines et les Roumains et la contraception ?
Alex Diaconescu, 30.10.2024, 14:48
La Roumanie a un passé turbulent en ce qui concerne la santé reproductive, marqué par le décret 770 interdisant en 1966 l’avortement.
Ce décret a entraîné une croissance importante de la population roumaine, l’accès aux méthodes contraceptives se faisant aux marges de la légalité quand l’avortement était considéré comme un crime.
Qu’en est-il aujourd’hui des relations entre les Roumaines et les Roumains et la contraception ?
Andrada Cilibiu est activiste féministe au Centre Filia à Bucarest et experte en droits sexuels et reproductifs. Elle nous apporte des éléments de réponse :
« Etant donné qu’il n’y a pas de contraception gratuite notamment pour les plus vulnérables d’entre nous, qu’aucun effort d’information n’est fait et qu’il n’y a pas d’éducation sexuelle compréhensible dans les écoles, il est évident que le taux d’utilisation des moyens contraceptif est faible. C’est inquiétant pour deux raisons principales, en premier lieu en raison d’un taux de plus en plus élevé d’infection sexuellement transmissibles dont on ne parle pas parce qu’en Roumanie tout ce qui touche à la santé reproductive et aux droits sexuels reste tabou, et en deuxième lieu en raison du nombre de grossesses adolescentes, de grossesses non désirées et d’une société qui malheureusement a tendance à confondre contraception et avortement, ce qui ne nous semble pas être la bonne direction. Nous souhaitons au contraire que toutes les femmes puissent avoir accès à une contraception, à des informations, à une éducation sexuelle et au droit à l’IVG dans des conditions sûres. Mais malheureusement on constate une régression de ces droits au cours des 10 dernières années ».
Des initiatives datant des années 2000, oubliées de nos jours
Andrada Cilibiu rappelle que dans les années 2000, un réseau de planning familial a été fondé en Roumanie, qui offrait un accès à des consultations individuelles avec des médecins spécialisés où pouvait être abordé la question de la contraception, des craintes ou éventuels blocages émotionnels quant aux relations sexuelles, aux grossesses ou à tout autre sujet touchant à la santé reproductive. Le planning familial délivrait également des moyens de contraceptions gratuits et l’éducation sexuelle y était abordée bien plus positivement qu’aujourd’hui. Selon Andrada Cilibiu, les médecins qui tenaient ces structures sont partis à la retraite sans avoir formé la relève et sans que d’autres ressources ne soient mobilisées. De plus, les années 2000 étaient marquées par les efforts déployés pour rentrer dans l’UE, chose faite en 2007.
L’éducation sexuelle joue un rôle particulièrement important
En République de Moldova par exemple, qui n’appartient pas encore à l’Union européenne, il y a des cliniques spécialisées où les jeunes entre 10 et 24 ans bénéficient d’un accès gratuit à des services de santé reproductive. Andrada Cilibiu nous dit où trouver des exemples à suivre :
« Il faut clairement regarder du côté de l’éducation sexuelle compréhensive qui se pratique au Royaume-Uni ou en Hollande, où l’éducation sexuelle commence dès les premières années de la vie avec des informations adaptées à l’âge des enfants, surtout orientées autour du consentement et de l’autonomie corporelle. Et après, petit à petit, à mesure que les enfants grandissent, ils abordent la question des relations émotionnelles et sexuelles saines. Il y a des exemples de bonnes pratiques qui viennent toujours de Hollande ou de France, qui vient d’introduire le droit à l’avortement dans la Constitution. Il y a aussi l’Espagne qui a un très bon programme de distribution de contraception. En fait, la majorité des pays européens ont des plans nationaux d’accès à la contraception et proposent des accès gratuits à des moyens contraceptifs surtout à destination des adolescents et des jeunes mais aussi des populations vulnérables. La Roumanie fait partie de ce petit groupe de pays qui n’a aucun programme de gratuité de la contraception ».
Seules 37% des femmes ont utilisé un moyen contraceptif dans les 10 dernières années
Au printemps dernier, le Centre Filia a publié l’étude « La démocratie au cœur. Les intérêts politiques des femmes en 2024 » dont un des chapitres est dédié à l’utilisation de la contraception par les femmes roumaines de nos jours. On y apprend que 37% des femmes ont utilisé un moyen contraceptif dans les 10 dernières années, 62% n’en n’ont pas utilisé et 1% a refusé de répondre. Parmi celles qui ont utilisé un contraceptif, 63% ont utilisé un préservatif, 55% une pilule, 42% la méthode du retrait, 38% la méthode du calendrier, 24% une pilule du lendemain, plutôt considérée comme une solution d’urgence et des pourcentages très faibles ont utilisé des méthodes plus invasives comme le stérilet, l’implant ou la ligature des trompes.
Au niveau européen, l’OMS tire la sonette d’alarme concernant la chute dramatique de l’utilisation du préservatif par les adolescents.
L’OMS se base sur l’étude qu’elle a réalisé entre 2014 et 2022 avec plus de 240 000 adolescents venus de toute l’Europe. Il en ressort qu’en huit ans, l’usage du préservatif chez les jeunes hommes de 15 ans a baissé de 9%, passant de 70% d’utilisateurs à 61%. Pour les filles, l’utilisation de préservatif a baissé de 63% à 57%. La même étude révèle que 30% des filles et 22% des garçons sexuellement actives et actifs en Roumanie n’ont utilisé au cours de leur dernier rapport sexuel ni préservatif ni aucune autre méthode contraceptive.
Andrada Cilibiu commente : « Malheureusement, je constate que de nombreux jeunes ont la pornographie comme seul système de référence concernant les relations sexuelles. Il y a beaucoup de confusion parmi les jeunes, ils en arrivent à croire une tonne de mythes et de stéréotypes et à développer beaucoup d’anxiété au sujet de leur propre image corporelle, des relations amoureuses, des relations sexuelles etc. N’ayant ni dans leur famille ni surtout à l’école, accès à des personnes qui leur communique des informations scientifiques et qui entrent dans le cadre d’une éducation sexuelle compréhensive, les jeunes sont pour ainsi dire laissés en plan. Et ils ont des relations sexuelles, des relations amoureuses sans être capables de reconnaître la violence quand elle apparaît, sans se rendre compte que ce qui leur arrive n’est pas normal. Voilà pourquoi nous avons besoin d’éducation sexuelle obligatoire et compréhensive pour tout le monde, sans l’accord des parents, et de services de santé sexuelle bienveillants pour les jeunes ».
Etat des lieux sur l’utilisation des méthodes contrecéptifs
En 2022, la revue britannique The Lancet a publié une autre étude qui permet de voir la spécificité des pratiques en Roumanie par rapport aux autres pays de la région. Ainsi, parmi les personnes utilisant un moyen contraceptif, en Europe de l’Est, 37,8% des personnes utilisent un préservatif contre seulement 31% en Roumanie. La méthode du calendrier est utilisée par près de 20% des Roumains contre 6% au niveau régional. Quant à la méthode du retrait, 12,8% des Roumains l’utilisent contre 10% sur l’ensemble de l’Europe de l’Est. Cette tendance à l’usage de méthodes artisanales corrobore les conclusions du Centre Filia selon lesquelles les politiques publiques dans le domaine des droits reproductifs restent à construire pour la sécurité de toutes et tous. (trad. Clémence Lheureux)