La rue Colței du Vieux Bucarest
Toute grande ville a un kilomètre 0, où commencent le calcul symbolique et physique des distances et l’organisation de l’espace urbain. Dans le cas de Bucarest, ce point se trouve sur la vieille rue Colțea, où la ville actuelle semble avoir eu sa source.
Ion Puican, 27.10.2024, 10:45
Le kilomètre zéro, où tout commence
Toute grande ville a un kilomètre 0, où commencent le calcul symbolique et physique des distances et l’organisation de l’espace urbain. Dans le cas de Bucarest, ce point se trouve sur la vieille rue Colțea, où la ville actuelle semble avoir eu sa source.
Entre 1703 et 1707, le « spătar » (commandant de l’armée) Mihail Cantacuzino faisait construire un hôpital et une école sur le domaine du « clucer » Colțea Doicescu. Le prénom de ce grand propriétaire terrien, en charge de l’approvisionnement de la Cour princière, occupera une place définitive dans la topographie de la ville, devenant un repère bucarestois incontournable. Le domaine de Colțea commençait dans la zone de l’actuelle borne du kilomètre 0 et s’étendait vers le nord. Le centre-ville du Bucarest d’aujourd’hui y sera construit le temps passant. La systématisation des lieux débute à la fin du XIXème siècle et la seule petite relique urbaine, qui nous reste de la réalité d’il y a quasiment un siècle et demi, est une rue adjacente de l’actuel boulevard Brătianu, reliant l’hôpital Colțea et l’église Sf. Gheorghe (Saint Georges) où se trouve le monument du kilomètre 0.
Point de départ de l’axe central de Bucarest
L’axe central du Bucarest des temps présents est né dans le périmètre de l’ancienne rue de Colțea et sa très connue tour, dressée au milieu de l’actuel boulevard Brătianu et démolie en 1888, au carrefour des actuels boulevards Carol et Elisabeta, orientés de l’est à l’ouest, et Brătianu et Magheru, orientés du nord au sud. La rue Colțea allait aider le nouveau Bucarest à mieux respirer en allégeant la charge urbaine de la Calea Victoriei, premier axe nord-sud de la capitale. Le muséographe Cezar Buiumaci, du Musée municipal Bucarest, travaille sur le projet de la mémoire de l’ancienne rue Colțea. Un plan de la ville rend plus facile l’effort de suivre le tracé historique de la célèbre rue.
M. Buiumaci fournit tous les détails qui aident à dessiner un plan mental en mettant à profit les œuvres des artistes du XIXème siècle qui ont immortalisé dans leurs tableaux la Colțea de l’ancien Bucarest. Depuis le Palais Suțu, en face de l’église Colțea, l’imagination aidant, tous les contours gagnent en clarté.
« Nous sommes ici dans la ulița/rue Colței, en face de nous c’est l’église Colței et c’est là que se trouvaient la mahala (faubourg) et la tour Colței ; toutes ces choses, qui se trouvent aujourd’hui au centre-ville, constituaient la périphérie à un moment donné. La rue Colței serpentait ainsi d’une façon que nous avons du mal à imaginer aujourd’hui. On y rencontrait la Cour princière, l’auberge Colței, la tour Colței, nous sommes là, dans une rue qui commençait Place Sfântul Gheorghe, près de l’église Sfântul Gheorghe, au croisement avec la rue Lipscani, pour s’arrêter au croisement avec la rue Clemenței. A l’endroit où nous avons aujourd’hui la rue C. A. Rosetti. »
Récupérer la mémoire de l’ancienne rue Colțea
Une promenade à pied à travers Bucarest aide davantage à récupérer la mémoire de l’ancienne rue Colțea.
Cezar Buiumaci raconte l’élargissement de Bucarest grâce aux nouveaux axes tracés durant le mandat du maire Pache Protopopescu, un nom qu’il faut rappeler absolument dans ce contexte.
« Ici, à cet endroit où s’arrêtait la rue Colței, c’était la limite de la ville. La zone périphérique commençait à la Gare du Nord, suivait l’avenue Titulescu et arrivait Place Victoriei. Elle continuait le long du boulevard Iancu de Hunedoara, l’avenue Ștefan cel Mare et ainsi de suite. C’est la route qui ceinturait la ville, une route périphérique sur le modèle français. Quel était le visage de la rue Colței quand elle avait été dessinée ? Cela se passait à la fin de la seconde moitié du XIXème siècle, lorsque l’on construisait le boulevard, sur la direction Est-Ouest, reliant la foire Obor au quartier de Cotroceni. C’était le tout premier boulevard et il n’avait même pas de nom, on l’appelait tout simplement Bulevardul, puisqu’il était le seul de la ville. Et c’est là que le jeune Etat roumain a fait bâtir ses plus importants édifices, tels que des ministères – de l’Agriculture, de la Guerre. Et puis l’hôpital, le premier établissement de ce genre en Munténie, l’Université, la Place de l’Université, demi-circulaire et dominée par les statues érigées dans un panthéon national. Le Boulevard a été pensé ainsi car l’on y organisait les défilés du 10 mai, jour la Fête nationale. »
Une ville de plus en plus européenne
Bucarest, capitale du Royaume de Roumanie, devient une ville de plus en plus européenne durant le règne du roi Carol I.
Cezar Buiumaci rappelle quelques-uns des repères essentiels dressés sur les nouveaux boulevards nés de la rue Colței.
« C’est là qu’en 1874, donc il y a 150 années, la statue de Mihai Viteazul faisait son apparition. Carol I signait la déclaration dans laquelle il assumait l’union de tous les Roumains sous son propre sceptre, il y a eu aussi des déclarations d’indépendance et d’unification données par Carol durant son règne. L’on y trouve également plusieurs institutions importantes, des imprimeries, le Cercle Militaire, le Grand Hôtel du Boulevard, dont le nom indique justement sa position géographique sur cette artère unique de la ville. Il y a aussi la Direction des hôpitaux civils, plusieurs instituions militaires, le siège du Journal officiel, mais aussi le Parc Cișmigiu, des restaurants et des salles de projection pour l’invention des Frères Lumière. »
La rue Colței de l’ancien Bucarest n’existe plus, mais ce fut elle qui donna naissance à la ville. Et les sources iconographiques d’époque gardent sa mémoire vivante. (Trad. Ileana Ţăroi)