Récits des marais
« Glossaire de résidence. Art et anthropologie » est un projet qui a présenté au public les conclusions de deux ans de recherches anthropologiques et linguistiques qu’une équipe ayant à sa tête Dana Pârvulescu.
Ana-Maria Cononovici, 22.10.2024, 10:25
Un projet pluridisciplinaire a eu lieu dernièrement dans le village de Luncaviţa, dans le département de Tulcea. Intitulé « Glossaire de résidence. Art et anthropologie » le projet a présenté au public les conclusions de deux ans de recherches anthropologiques et linguistiques qu’une équipe ayant à sa tête Dana Pârvulescu a mené dans cette localité nichée dans une zone inondable au bord du Danube, récemment transformée en terrain agricole. Dana Pârvulescu nous donne plus de détails:
« C’est l’endroit où j’ai passé mon enfance et où j’ai voulu retourner pour mieux comprendre les changements que cette localité a subis ces 20 ou 30 dernières années et qui ont laissé des traces dans la vie des habitants. Il s’agit des transformations dans plusieurs domaines, en allant de l’écologie et jusqu’à la migration. La localité de Luncavița se trouve dans la partie nord de la Dobrodgea, sur la route qui relie Galați à Tulcea, une fois traversé le Danube. C’est une zone humide, inondable, où au printemps, les eaux du fleuve montaient jusqu’aux portes des maisons. Or, depuis 1987, cette région a commencé petit à petit à disparaître, parallèlement aux travaux de modernisation et aux barrages installés sur le Danube. Mon enfance, je l’ai passée principalement dans cette région envahie par les eaux, un univers lacustre peuplé par les nénuphars, les joncs et les saules. »
Un paysage difficile à imaginer de nos jours par ceux qui se rendent à Luncavița, petit village à une dizaine de kilomètres des rive du fleuve. Dana Pârvulescu poursuit:
« Les changements sont intervenus progressivement. Au début, les systèmes de digues ont rendu la terre fertile. Dans le village, les habitants avaient des lopins de terre dans la zone humide où ils faisaient pousser des tomates, des poivrons, du tournesol, bref, toute sorte de légumes et de céréales nécessaires au quotidien. Le système d’irrigation existe encore de nos jours et permet aux gens de cultiver du blé et d’autres céréales. A l’heure où l’on parle, la zone est devenue un terrain agricole entièrement contrôlé par ceux qui y font de l’agriculture. »
Le village de Luncavița s’est laissé imprégné de modernité ce qui a facilité le contact avec les artistes, les anthropologues et les habitants, affirme Dana Pârvulescu, responsable du projet « Glossaire de résidence. Art et anthropologie ».
« Le projet s’est déroulé l’année dernière et nous avons privilégié le travail sur le terrain. D’une part, les artistes ont essayé de documenter le travail mené par les anthropologues et de l’autre, les anthropologues ont pris des notes. D’ailleurs, leurs recherches ont débouché sur la publication de deux articles parus sur une plateforme en ligne. Ce fut donc un exercice pluridisciplinaire entre des artistes et des anthropologues. Même si à première vue, leur travail diffère beaucoup, le projet a montré une autre approche. Il est vrai que certains d’entre eux se connaissaient déjà et connaissaient aussi la région où ils étaient censés faire leur travail de recherche. Cela nous a permis de passer outre l’étape consacrée normalement à l’accommodation à un nouvel espace et à des nouveaux gens. Moi, je fais confiance à l’interdisciplinarité et les résultats d’un travail commun se voient toute de suite. C’est d’ailleurs ce type de travail que le projet « Glossaire de résidence. Art et anthropologie » met en lumière. »
La résidence organisée l’année dernière à Luncaviţa, a débouché sur l’exposition « Il était une fois une eau ». Dana Pârvulescu nous en parle:
« En fait, dans l’espace qui a accueilli notre exposition, on a mis en place une carte de l’ancienne zone humide sur laquelle les anthropologues ont ajouté des extraits des témoignages des habitants. Nous, on a cartographié pour indiquer sur la carte à quoi cette zone ressemblait il y a 30 ou 40 ans. Par exemple, nous avons montré l’endroit où l’on ramassait la capture de poissons destinés au commerce. Un habitant nous disait jadis, c’est par ici que passait le charriot, de nos jours, c’est la voiture qui roule”. Voilà pourquoi une de nos artistes a dessiné les traces des chevaux qui se dirigeaient autrefois vers les digues. De nos jours, les chevaux n’existent plus. Cette année, un des anthropologues a remarqué la disparition des attelages qui ont été remplacés par des machines agricoles. A la différence de l’année dernière quand nous avons créé cette carte qui a représenté l’élément central de notre exposition et que nous avons mise en place à l’école pour servir aux enfants, le Glossaire de cette année est moins spécifique. En 2023, nous avons organisé une série d’ateliers pour enfants et lors de ces ateliers, les gamins utilisaient le mot marécage pour désigner leur région. Or, j’ai été surprise de constater qu’en fait, ils ne savaient pas que jadis, la zone était inondée par le fleuve. Eux, ils parlaient du terrain aride de nos jours en le désignant par le terme de marécage. »
L’exposition a été mise en place au Musée national du Paysan roumain de Bucarest jusqu’au 22 octobre. Mais, les recherches se poursuivent.