Le destin du responsable communiste Vasile Luca
Vasile Luca devient, a été aux côtés d'Ana Pauker, l’une des figures de proue de l’aile moscovite du parti communiste roumain.
Steliu Lambru, 21.10.2024, 10:31
Occupés vers la fin de la Seconde Guerre mondiale par l’Armée rouge, les Etats d’Europe centrale et de l’Est se sont progressivement vus mis sous la férule soviétique. Les régimes communistes ont accaparé le pouvoir, avec à leurs têtes des personnages inféodés à Moscou. L’issue des luttes intestines au sein des nomenklaturas nationales était souvent tranchée au même endroit, et le sort des perdants était rarement enviables. Vasile Luca, figure de proue du parti communiste roumain avant la guerre, se verra propulser aux plus hauts sommets du pouvoir après 1945. Ce qui ne l’empêchera pas de se voir déchu à la suite d’une dispute avec le secrétaire-général du parti, Gheorghiu-Dej, et de finir sa vie dans les geôles du régime, dans la prison d’Aiud, en 1963.
Né en 1898 dans une famille d’origine magyare, à Covasna, dans cette province de Transylvanie encore partie de l’empire d’Autriche-Hongrie, Vasile Luca rejoint le mouvement révolutionnaire communiste dirigé par Bela Kun en 1919. Devenu cheminot après la répression de la révolution magyare par les troupes roumaines, Vasile Luca poursuit son engagement communiste cette fois au sein du parti communiste roumain. Tête de file de la grève des mineurs de Lupeni de 1929, puis du mouvement gréviste de la vallée Jiului en 1933, Vasile Luca grimpe les échelons du parti, devenant secrétaire des organisations communistes à Brasov d’abord, puis à Iasi. Retenu à plusieurs reprises, arrêté et condamné à diverses peines de prison, on le retrouve incarcéré en 1940 en Bessarabie, après une tentative échouée de traversée de la frontière qui séparait la Roumanie de l’Union soviétique. Il sera libéré au mois de juin 40 par les troupes soviétiques qui viennent d’occuper la Bessarabie et la Bucovine du Nord à la suite du pacte germano-soviétique et de l’ultimatum adressé par Moscou à Bucarest. Devenu citoyen soviétique, député au Soviet suprême de l’Union soviétique pendant la guerre, élevé au grade de major dans l’Armée rouge, il sera chargé d’organiser la division « Tudor Vladimirescu », composée de prisonniers roumains tombés aux mains des Soviétiques et qui auront à jouer un rôle essentiel dans la soviétisation de l’armée roumaine d’après 1945.
Vasile Luca, l’une des figures de proue de l’aile moscovite du parti communiste
Après la fin de la guerre, occupée par l’Armée rouge, la Roumanie se verra imposer un gouvernement communiste à sa tête. Aussi, Vasile Luca devient, avec Ana Pauker, l’une des figures de proue de l’aile moscovite du parti communiste roumain. Le 5 novembre 1947 il devient ministre des Finances au gouvernement dirigé par Petru Groza, qui n’hésite pas à l’encenser à l’occasion. Ecoutons Petru Groza, ancien président de Conseil :
« L’arrivée de madame Ana Pauker à la tête du ministère des Affaires étrangères et de monsieur Vasile Luca à la tête des Finances mais aussi, plus récemment, de monsieur Emil Bodnaras à la direction de la Défense nationale représentent des moments fastes pour le développement plus soutenu de notre démocratie populaire. Les changements survenus au sein de l’équipe gouvernementale ont grandement contribué à l’amélioration de notre politique économique et financière, indispensable dans la consolidation de notre régime démocratique et pour la stabilisation de notre monnaie nationale ».
Quelques années plus tard pourtant, l’aile du parti dirigée par son premier-secrétaire Gheorghe Gheorghiu-Dej allait démarrer une chasse sans pitié à l’encontre des membres de l’aile moscovite du parti. Au mois de mai 1952, Vasile Luca se voit accusé de déviationnisme droitier et sera exclu du parti. Au mois d’août de la même année, il sera arrêté, jugé, puis condamné à la peine capitale pour haute trahison. Une peine commuée plus tard en travaux forcés à perpétuité.
La réunion du comité central du parti communiste roumain de 1952
Vlăduț Nisipeanu, jeune communiste à cette époque, remémorait, en 1999, pour le Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine, la réunion du comité central du parti communiste roumain de 1952, où Vasile Luca sera excommunié du parti et ses instances dirigeantes. Ecoutons-le :
« Je me souviens très bien cette réunion à la suite de laquelle Vasile Luca et Ana Pauker ont été déchus de leurs fonctions, puis arrêtés. Je n’avais que 19 ans à l’époque, je n’étais pas membre du comité central et n’ai donc pas participé personnellement à la réunion. Mais j’ai été interpellé par tout ce remue-ménage au sein du parti. On avait reçu l’ordre de décrocher leurs portraits. Je m’y suis exécuté, mais ne voulais pas détruire leurs tableaux. Je me disais que peut-être que le vent allait tourner, et qu’il va falloir les raccrocher à nouveau. Je les ai alors décrochés, les ai posés face au mur, puis je les ai entreposés au grenier. Ensuite, le secrétaire de notre organisation nous a convoqué à une réunion pour nous expliquer de quoi il retournait. C’est lui qui nous informa officiellement de l’issue de la guerre qui s’était déclenchée à la tête du parti, des accusations de déviationnisme qui pesaient sur le groupe Pauker-Luca. La vérité ? Nul ne la connaissait. Mais qui allait chercher la vérité ? Personne sans doute. Finalement, les tableaux furent jetés à la poubelle, bon débarras. Quant à Ana Pauker et Vasile Luca, ils furent emprisonnés, jugés et condamnés pour haute trahison ».
Ce n’est qu’en 1968 que Nicolae Ceaușescu, le nouvel homme fort du régime, réhabilitera la mémoire de Vasile Luca dans sa tentative de réhabiliter la mémoire de bien d’autres victimes communistes de son prédécesseur, Gheorghiu-Dej.