L’économie roumaine doit faire peau neuve
Les problèmes de main d’œuvre représentent le défi principal pour la croissance du capital roumain - estime les spécialistes de la Banque Centrale.
Luiza Moldovan, 09.10.2024, 13:20
En 2022, la population active s’élevait en Roumanie à 7.6 millions de personnes, dont 5.5 millions étaient salariées avec des contrats de travail individuels. La majorité de ces salariés, soit 3.5 millions, travaillaient dans le domaine des services et 1.85 million dans le commerce et l’industrie. Le taux d’emploi était, en 2022, de 62.3%. Pour l’économiste en chef de la Banque centrale de Roumanie, Valentin Lazea, les problèmes de main d’œuvre représentent le défi principal pour la croissance du capital autochtone. En effet, dans les 25 ou 30 dernières années, le capital roumain s’est accumulé et ne constitue donc plus un facteur déterminant pour influencer le PIB. Désormais la Roumanie doit définir des domaines dans lesquels elle a son mot à dire au niveau européen, croit savoir Valentin Lazea qui dégage en outre trois directions principales dans lesquelles le capital roumain pourrait se développer. Ecoutons-le :
« Il s’agit de la croissance de la valeur ajoutée, de la diversification des investissements et de l’entrée sur de nouveaux marchés. Les entreprises roumaines vont devoir négocier des niches au niveau desquelles elles détiennent un avantage dans les chaines de production européennes. Et la Roumanie a les capacités de se créer une place au sein de la production européenne, que ce soit dans le secteur des technologies de l’information, de l’automobile, de la production d’énergies vertes ou de l’exploration des terres rares. »
Nous nous sommes habitués à trouver la Roumanie en tête des classements les plus sinistres de l’UE or il y a des domaines dans lesquels le pays excelle, comme celui de l’ingénierie. Radu Antohi, le sous-secrétaire au Ministère de la Recherche, de l’innovation et de la numérisation, nous en dit plus :
« Nous avons plus d’ingénieur spour mille habitants que les Etats-Unis. Nous sommes les meilleurs en Europe de ce point de vue, et en sixième place au niveau mondial. Nous avons une main d’œuvre bien formée, une bonne connectivité, internet haut débit dans la majeure partie du pays. On peut développer l’industrie IT, les technologies de l’information, en s’appuyant sur ces deux acquis. Nous pouvons tout numériser et l’argent généré par ces numérisations va venir accroitre le budget de l’Etat. »
Un décalage important demeure néanmoins entre cette main d’œuvre formée en IT et le reste de la population roumaine en ce qui concerne l’usage des technologies modernes et des services numérisés. Cette différence se retrouve entre les fonctionnaires, des administrations centrales ou des collectivités territoriales, et les employés du privé.
Les experts de la Banque nationale de Roumanie considèrent qu’après 35 ans d’économie de marché, le pays devrait pouvoir profiter de la valeur et de l’expérience du capital autochtone s’il veut se faire une place au soleil en Europe. Les conditions actuelles sont bonnes, entre les démarches dans le sens d’une réindustrialisation de l’UE, les négociations en vue de l’adhésion de la République de Moldova et de l’Ukraine à l’Union, et la consolidation du flanc est de l’Europe tant d’un point de vue militaire qu’économique. Ils préconisent toutefois de se concentrer sur trois ou quatre domaines stratégiques. Pour Valentin Lazea, l’économiste en chef de la BNR, nous vivons actuellement à un moment historique de redéfinition des stratégies économiques à l’échelle mondiale et européenne, les entreprises roumaines devraient profiter de cette conjoncture.
« Le rapport Draghi, rendu public au début du mois de septembre, met en évidence le fait que la réponse à l’émiettement de la mondialisation ne doit pas être le repli de chaque Etat européen dans l’autarcie et le nationalisme économique mais un effort commun de créer des chaines de valeur européennes ainsi que des champions européens. »
Pour Valentin Lazea, le processus de définition et de négociation des niches roumaines dans les chaines de production européennes vont nécessiter l’implication tant du gouvernement que du secteur privé. Il considère que les responsables politiques et les représentants du patronat doivent décider ensemble, à l’aune des données disponibles, où les entreprises roumaines peuvent s’insérer avec succès dans les chaines de production européennes.
Le président de la Bourse de Bucarest, Radu Hanga, pense pouvoir jouer un rôle important dans ce processus.
« Nous sommes dans une situation où les grandes entreprises locales sont nées il y a plus ou moins 30 ans, dans les années 90. La plupart d’entre elles ont été fondées par des personnes entre 30 et 40 ans qui sont en train de céder leur place à présent, c’est le premier passage de relais à une nouvelle génération d’entrepreneurs. Qu’est-ce que cela signifie pour la bourse ? Ca représente une vraie opportunité de pouvoir soutenir des entreprises locales qui rencontrent des problèmes de renouvellement de leur leadership. La bourse peut les aider à trouver leur voie, à trouver un moyen d’aller de l’avant. Quand nous nous demandons quels sont les domaines dans lesquels nous pouvons avoir du succès, il faut regarder qui nous avons comme champions locaux. On ne peut pas prétendre devenir un leader européen si on n’a pas de champion local. Les entreprises qui ont fait leurs preuves au niveau national sont celles qui ont une chance de jouer un rôle au niveau régional. Moi quand je regarde la bourse, je ne vois pas qu’une plateforme financière. Je vois aussi une scène qui met en valeur les entreprises cotées. Quand une entreprise rentre en bourse, ses produits gagnent en visibilité, dans un contexte général où les consommateurs tendent à consommer plus local. La bourse, apporte comme une certification aux entreprises, elle les aide à se développer. »
Les prochaines années nous diront comment la Roumanie parvient à opérer la mutation de son économie.