Recompenser les courageux
L’ONG Agent Green a organisé un Gala du courage afin de primer des activistes civiques dans le domaine de l'environnement et pas seulement.
Christine Leșcu, 19.06.2024, 13:46
Ce printemps, Agent Green, une ONG qui se consacre aux problématiques environnementales, a fêté son 15e anniversaire. Depuis sa création, Agent Green a fait campagne pour la protection des espaces verts, a lutté contre l’exploitation forestière illégale et a mené des campagnes de lobbying en faveur des droits des animaux. Ses actions dérangent souvent divers intérêts politiques et économiques et les activistes doivent en payer le prix.
Gabriel Paun, un activiste contre la mafia forestière
Par exemple, le fondateur de l’association, Gabriel Păun a été blessé lors d’altercations avec des membres de la « mafia forestière » alors qu’il cherchait à documenter et entraver la coupe illégale d’arbres. Ainsi, en Roumanie, faire campagne contre certaines atteintes à l’environnement est devenu une question de courage extrême. Or le courage mérite d’être reconnu et, pourquoi pas, récompensé ! C’est ce qu’a pensé Gabriel Păun lorsque, pour célébrer le 15e anniversaire d’Agent Green, il a organisé le Gala du courage afin de décerner 10 prix à des activistes civiques, et pas seulement dans le domaine de l’environnement.
Célèbrer le courrage dans divers domaines
« Je voulais montrer que je ne suis pas seul, mais en même temps attirer l’attention sur le fait que l’activisme civique risque de rester une activité solitaire ». C’est ainsi que l’on pourrait résumer l’intention du Gala du courage, mais son objectif est plus large, comme l’explique Gabriel Păun lui-même : « Il devrait être naturel d’exercer le courage dont nous sommes tous dotés, mais je vois de moins en moins ce courage exprimé et mis en pratique. Cela me donne le sentiment que, au moins dans mon domaine, celui de la conservation de la nature, les choses deviennent, sinon impossibles, du moins difficiles. Une organisation non gouvernementale doit être le porte-parole de toute une société. Mais si la société est silencieuse, si elle est tombée dans le désespoir, le mépris et la non-implication, alors sa voix disparaît. Je l’ai constaté en discutant avec des personnes d’autres secteurs de la société, c’est-à-dire dans tous les secteurs de la société qui sont confrontés au même problème. C’est ainsi que j’ai eu l’idée du Gala du courage, où nous avons célébré le courage de personnes plus ou moins connues agissante dans divers domaines : l’éducation, la science, l’art, la culture, l’activisme, le journalisme. Cet événement a été couronné de succès, au-delà des espérances. »
Les courageux de l’année
La cérémonie s’est déroulée à l’Athénée roumain, au son de des violoncelles de l’ensemble Violoncelissimo dirigé par le président de la Philarmonie de Bucarest, Marin Cazacu et les diplômes ont été créés par l’artiste visuel Dan Perjovski. Qui étaient les lauréats ? Gabriel Păun nous en présente certains : « Nous avons tout d’abord fait monter sur scène une actrice rom, Alina Serban, qui a prononcé un discours absolument magnifique. Elle m’a rempli d’émotion et a été félicitée par le réalisateur Cristian Mungiu, qui a réalisé le célèbre film RMN, un film qui non seulement vaut la peine d’être vu, mais qui doit l’être parce qu’il met en évidence la discrimination ethnique en Roumanie. Nous avons également tendu la main à la communauté LGBTQ, car là aussi, nous sommes encore confrontés à des mentalités rétrogrades et il reste beaucoup à faire. Nous avons également encouragé le journalisme environnemental, afin de nous rapprocher de notre domaine, et nous avons récompensé Ramona Țintea, avec qui nous avons réalisé de nombreux reportages environnementaux sur les forêts, les aliments empoisonnés, les décharges illégales et bien d’autres sujets. Nous avons rendu hommage à Stefan Neagu, un héros des forêts. Nous avons l’habitude d’entendre mon nom ou celui d’autres activistes ou journalistes courageux qui dénoncent des actes répréhensibles, mais il y a aussi des scientifiques, des chercheurs de l’ombre qui sont en train de révolutionner les forêts. Stefan Neagu est à l’origine du célèbre inventaire forestier national qui nous dit combien de forêts poussent en un an, mais aussi combien nous en perdons en même temps sans laisser de traces. Mais ce n’est pas tout. Il a mis en cause un ancien secrétaire d’État aux forêts auprès du ministère de l’environnement. Deux heures après ses révélations, il était licencié sans autre forme de procès. C’est sans précédent et je ne pense pas qu’un activiste ou un journaliste ait réussi à le faire. »
Une cuillère pour éteindre un grand feu
Parmi les lauréats, le poète Radu Vancu a reçu le prix du courage pour la paix, la coopération et l’anti-fanatisme. Radu Vancu démontre ainsi que même les écrivains et les intellectuels soutiennent l’engagement civique, comme le regretté écrivain israélien Amos Oz, qui a mentionné pour la première fois l' »Ordre de la cuillère », devenu le symbole du Gala du courage à Bucarest. Radu Vancu nous en dit plus sur Amos Oz : « Je ne pense pas qu’il imaginait que cela deviendrait un véritable ordre comme c’est le cas aujourd’hui, mais il l’a institué comme une proposition en 2004, dans un livre dont le titre pourrait très bien faire office de logo du Gala du Courage. « Comment guérir un fanatique » est un livre extraordinaire, dans lequel Oz dit notamment ceci : il y a fondamentalement trois types de réaction à une catastrophe, par exemple un incendie. La première réaction consiste à suivre son instinct de conservation, à s’enfuir et à laisser brûler ceux qui ne peuvent pas s’enfuir. La deuxième réaction est d’envoyer une lettre de protestation à son journal préféré. Et la troisième réaction, pour ceux qui n’ont pas accès aux plateformes médiatiques, journaux, télévision et autres, est de prendre un seau, une tasse, un verre, une cuillère à café, tout ce qui est à portée de main, de prendre de l’eau et de venir éteindre le feu. Nous sommes nombreux et beaucoup de cuillères peuvent éteindre de grands incendies. Et il a dit : « Je propose que nous instituions l’ordre de la cuillère, que nous portions éventuellement une cuillère à la boutonnière, ceux d’entre nous qui sont prêts à donner quelques grammes de leur altruisme pour d’autres êtres humains, en essayant de sauver ce qui peut l’être. » »
L’ordre de la cuillère
En 2006, une institution suédoise a même repris cette idée de la coalition de petits gestes pour créer une force puissante et a créé l’« Ordre de la cuillère » qui se porte au revers du manteau et que l’association Agent Green a importé à Bucarest. Radu Vancu poursuit : « J’ai parlé de cet ordre de la cuillère dans mon discours d’ouverture du festival de littérature d’Odessa, en exil à Bucarest. Gabriel Păun a entendu mes propos sur l’Ordre de la cuillère et a eu la merveilleuse idée de proposer la création d’un Ordre de la cuillère lors du Gala du courage. Il est également venu avec des cuillères en argent ornées d’edelweiss, le symbole d’Agent Green. Et nous avons proposé la création de l’Ordre de la Cuillère en Roumanie, parce que nous avons fait un peu d’arithmétique élémentaire. 20 millions de Roumains multipliés par une cuillère de 10 ml chacun, c’est deux cents tonnes d’eau, de quoi éteindre de grands incendies. Il y a suffisamment de courage et d’humanité en Roumanie pour éteindre de grands incendies. »
…a déclaré le poète Radu Vancu, celui qui s’est vu décerner le prix du courage pour la paix, la coopération et l’anti-fanatisme décerné par l’ONG Agent Green dans le cadre d’un Gala du courage.