Pourquoi travaillons-nous ?
Les résultats de l'étude "Pourquoi travaillons-nous ?" montrent des changements clairs dans l’attitude des salariés envers leurs responsabilités, notamment en ce qui concerne les moins de 40 ans mais aussi des évolutions sur les attentes que les employeurs et les employés ont les uns envers les autres.
Luiza Moldovan, 12.06.2024, 10:07
Le centre de Stratégie, management et développement intelligent du Département de sciences politiques, d’administration et de communication de l’Université Babeș-Bolyai de Cluj-Napoca a réalisé une étude nommée : Pourquoi travaillons-nous ? Les résultats montrent des changements clairs dans l’attitude des salariés envers leurs responsabilités, notamment en ce qui concerne les moins de 40 ans mais aussi des évolutions sur les attentes que les employeurs et les employés ont les uns envers les autres. Ainsi, aujourd’hui le salaire n’est plus le premier aspect pris en compte pour le choix d’un poste, les gens cherchant plutôt un équilibre entre leur vie professionnelles et personnelle. On note aussi un changement d’attitude des employeurs en termes d’autorité et une nouvelle interprétation des fonctions de cadre. Le chef autoritaire qui donne des ordres incontestés tend à disparaitre, face à une génération qui ne se laisse plus impressionnée par ce type de comportement.
Tudor Țiclău, qui est conférencier au sein du département d’Administration et de management public de l’Université de Cluj, détaille pour nous les critères de choix mis en évidence par cette étude :
« Concernant les critères de sélection pour trouver un emploi, nous avons testé 9 facteurs. En premier lieu apparaît la sécurité de l’emploi, en effet 87% des personnes interrogées estiment qu’il s’agit d’un critère important ou très important. En deuxième position vient le type d’emploi, en troisième – les opportunités d’évolution et en quatrième – l’équilibre vie professionnelle/vie personnelle. Il est intéressant de noter que ces critères se retrouvent aussi chez les étudiants. Nous avons mené la même enquête auprès d’étudiants et la seule différence est que la sécurité de l’emploi arrive pour eux en quatrième position, tandis que l’équilibre entre vie professionnelle et personnelle arrive en première position. Le type d’emploi et les opportunités d’évolution qu’il offre restent aux mêmes places. Un autre élément remarquable est que le salaire et les bénéfices se classent en cinquième et sixième position, ils ne sont donc pas des critères décisifs. Ils ne prennent de l’importance que s’ils sont très éloignés des attentes. En queue de classement on trouve le travail à domicile et les valeurs des entreprises et en tout dernier le fait de travailler avec des technologies de pointe. En fait, seule la moitié des personnes interrogées considère qu’il s’agit d’un critère pertinent. Ce même classement est valable aussi pour les étudiants ».
L’étude montre également le souhait et la capacité des employeurs d’entretenir des relations plus ouvertes qu’auparavant avec leurs employés. Tudor Țiclău dresse le tableau des nouvelles relations de travail :
« L’équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée, mais aussi le bien être au travail sont des éléments de plus en plus importants. Et à partir de nos observations, nous pouvons dire que les directions des entreprises accueillent et accompagnent ces transformations souhaitées par les salariés. Ces critères d’équilibre entre vie professionnelle et vie privée et de bien-être au travail sont particulièrement importants pour la jeune génération, la génération Z. Et nous pensons qu’ils devraient mener à un nouveau paradigme de compréhension des relations entre les entreprises et les salariés, notamment lié au fait que pour ces jeunes travailleurs, l’identité professionnelle a beaucoup moins d’importance que pour les générations antérieures. En d’autres termes, les gens ne s’identifient plus à leur travail. Ça va même plus loin, dans le sens où les postes doivent être façonnés pour correspondre aux besoins des employés. On observe cette délimitation entre la vie professionnelle et la vie personnelle qui représente une revendication forte de la part des jeunes, une demande de respect des limites. Par exemple, ces salariés considèrent qu’une fois la journée de travail terminée, ils n’ont pas à prendre sur leur temps personnel pour régler une situation restée en suspens, ils le feront le lendemain ».
Nous assistons donc à un changement sans précédent des relations entre employeur et employé et ce grâce à la jeune génération, comme nous le rappelle Tudor Țiclău.
« On voit également un changement au niveau de l’encadrement. Il est clair que l’approche classique où un chef autoritaire donne des ordres et explique comment les choses doivent être faites ne fonctionne plus. Aujourd’hui, l’équation de l’encadrement est bien plus complexe. Déjà, pour qu’un cadre soit accepté, quelle que soit l’entreprise ou sa position, il doit posséder des qualités humaines, faire preuve d’empathie, être capable de discuter et de comprendre les besoins des salariés. C’est sur cette base qu’ensuite peuvent se développer les autres compétences attendues d’un cadre : des compétences techniques, une vision, la capacité à partager cette vision, bref des compétences spécifiques au travail de l’entreprise. Les salariés attendent avant tout d’un cadre qu’il soit capable de les comprendre en tant qu’individus, de comprendre leurs besoins et de les traiter comme des égaux. Il y a une réaction de résistance à toute forme d’autorité formelle, c’est caractéristique de la génération Z et ça ne se limite pas au domaine professionnel. C’est un rejet global des valeurs traditionnelles ».
On se demande souvent pourquoi les entreprises préfèrent recruter des jeunes plutôt que des personnes plus âgées, avec plus d’expérience. Tudor Țiclău éclaire notre lanterne.
« Il ne s’agit pas réellement d’une préférence pour des personnes plus jeunes, mais d’une préférence pour un certain type de salarié, qui se retrouve principalement parmi les jeunes. Pour commencer, les entreprises veulent des employés prêts à apprendre en permanence, afin de s’adapter à des marchés en évolution constante. Car un salarié disposé à se former en permanence sera performant dans un plus grand nombre de situations qu’un autre. Ensuite, les entreprises attendent également que leurs employés aient une attitude proactive et soient autonomes dans la résolution des problèmes. Plus précisément, il est attendu des employés qu’ils essaient de résoudre seuls les difficultés auxquelles ils sont confrontés et qu’ils n’aient recourt à leur autorité formelle que lorsque leurs ressources ou leur position ne leur permettent pas de résoudre le problème. Les responsables veulent également des employés qui souhaitent évoluer au sein de l’entreprise et beaucoup d’entreprises ont développé des instruments et des programmes qui cherchent à encourager ce type de comportement. En fin de compte, il relève de l’intérêt de tous que la relation de travail ne soit pas interrompue ».
Respect de la vie privée et individualisation des responsabilités au sein de l’entreprise sont donc les deux faces de ce nouveau paradigme qui tend à s’imposer partout dans le secteur privé. (trad. Clémence Leheureux)