Le Plan Z
Dans les années 1980, les responsables du régime communiste évoquaient un plan de sauvetage du dirigeant de la Roumanie socialiste Nicolae Ceaușescu en cas de troubles sociaux et de protestations de rue. Appelé « Le Plan Z », celui-ci n’a pas pu être mis en application lors de la Révolution anticommuniste de décembre ‘89 à cause du refus des hommes du régime de soutenir l’impopulaire leader politique
Steliu Lambru, 05.08.2024, 09:24
Un contexte mitigé
Occupés après 1945 et soumis à des régimes communistes inféodés à Moscou, les pays d’Europe centrale et orientale ne disposaient pratiquement d’aucune stratégie de défense nationale, étant à la merci de l’Union soviétique. Un grand frère soviétique qui n’a pas hésité à occuper la Hongrie en 1956 et la Tchécoslovaquie en 1968 pour tuer dans l’œuf les tentatives réformistes des dirigeants communistes locaux. Se sentant menacée également par une possible agression soviétique, la Roumanie, seul Etat du bloc communiste ayant condamné l’invasion de la Tchécoslovaquie, chercha à élaborer un plan de défense nationale, agencé autour de ce que le dirigeant roumain de l’époque, Nicolae Ceaușescu, a appelé la doctrine militaire de « guerre populaire ».
Un plan pour mettre à l’abri la famille dirigeante
Le général Neagu Cosma, qui a travaillé dans les structures de sécurité du régime d’avant 1989, dévoilait en 2002 dans une interview conservée par le Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine, les détails de ce que la presse allait appeler le Plan Z. Un plan conçu dès le départ dans la logique de toute stratégie de sécurité nationale.
Neagu Cosma : « L’on avait analysé tout d’abord un bon nombre de plans concernant les possibilités d’évacuation de l’administration, du commandement des opérations militaires ainsi que du commandant suprême dans l’éventualité d’une guerre. Certains ont prétendu par la suite que ces plans étaient conçus pour que Ceausescu et sa famille puissent se mettre à l’abri. Ce que je puis vous répondre c’est que les plans de sauvetage et d’évacuation de Ceausescu dans l’éventualité d’une invasion militaire respectaient les règles habituelles prévues dans de telles situations par n’importe quel Etat au monde. Ceausescu était le commandant suprême de l’armée, et dans n’importe quelle armée et dans n’importe quel pays, le commandant et le commandement doivent disposer d’un plan d’évacuation, pour qu’ils puissent continuer d’exercer leurs missions en sécurité. »
Qu’est-ce que « Le Plan Z » ?
Baptisé Rovine IS 70, le plan Z visait à assurer la survie des éléments essentiels de l’État roumain dans des circonstances extrêmes.
Neagu Cosma : « Le plan reçut finalement le nom de code Rovine IS 70. Après l’effondrement du régime communiste fin 1989, la presse l’appela le plan Z. Le plan était censé être mis en œuvre lorsque, à la suite d’un acte d’agression dirigée contre la Roumanie, apparaissait le danger imminent d’occupation temporaire de la capitale et d’une partie du territoire. En l’absence de ce plan, une occupation aurait paralysé la lutte de résistance armée. Il fallait donc pouvoir assurer le sauvetage efficace du commandant suprême et du commandement militaire. Selon ce plan de sauvetage, Nicolae Ceauşescu devait être exfiltré du siège du Comité Central du parti communiste par le tunnel qui relie le bâtiment du Comité Central à l’ancien Palais Royal qui se situe juste en face. »
Une stratégie en 8 points
Le plan organisait, entre autres, la guérilla, le sabotage, le retrait de l’armée jusqu’à la frontière avec la Yougoslavie et la sauvegarde de Ceaușescu et de la direction de l’armée dans l’éventualité d’une invasion soviétique. Conçu en 8 points, il a été amélioré au fil des années.
Neagu Cosma : « Il fallait tout d’abord s’assurer que la radio et la principale chaîne de la télévision publique puissent continuer d’émettre. Préparer et mettre en place les équipes chargées du sabotage des troupes de l’envahisseur. Evacuer ensuite le quartier général et le commandant suprême, soit exfiltrer Ceaușescu du siège du Comité Central du parti communiste, au cas où ce dernier aurait été encerclé. L’on avait par ailleurs planifié de concevoir un détecteur des radiations nucléaires à l’Institut de recherches en Physique atomique de Măgurele. Il fallait aussi sécuriser les routes situées au sud des Carpates tout comme les voies de passage qui traversaient les Carpates en vue de leur utilisation en cas de retraite précipitée. Le plan précisait également le lieu de redéploiement des institutions essentielles au bon fonctionnement de l’Etat dans l’éventualité de l’occupation de la capitale par l’ennemi. Une autre mesure prévoyait la mise en place d’une commission mixte composée du ministre des Transports, du chef de la section organisation du Comité Central du parti communiste et des spécialistes pour étudier et présenter des propositions visant à réguler le trafic ferroviaire et routier entre Bucarest et Timisoara dans l’éventualité d’une agression militaire. Enfin, les documents qui relevaient de la sécurité nationale avaient été microfilmés, pour être facilement transportables au besoin, et la méthode de cryptage qui servait aux communications secrètes allait être changée ».
L’échec du Plan Z
Mais l’impopularité croissante du régime et le cynisme du couple Ceaușescu ont fait que le plan Z se soit avéré inapplicable au mois de décembre 1989, échouant à protéger la liberté et la vie de Nicolae Ceaușescu, victime cette fois de la fureur des masses populaires révoltées.
Neagu Cosma : « Ça n’a pas marché à ce moment-là, parce qu’il n’y avait plus personne pour l’appliquer. En 1989, plus personne n’était disposé à mettre en œuvre ce plan de sauvetage du dictateur, pas même un seul, car ils en avaient tous marre. Même les officiers de sa garde rapprochée ont fait défection. Le vent avait tourné, et ils avaient senti cela. C’est pourquoi le Plan Z, comme on l’a finalement appelé, n’a pas été déclenché. Il n’avait plus personne qui soit disposé à l’appliquer. »
Au mois de décembre 1989, le régime communiste implosa, et les structures censées assurer la protection de son leader l’abandonnèrent. Aussi, la Roumanie tournait la page de 45 années de dictature communiste. (Trad. Ionut Jugureanu)