L’immigration, vrai ou faux problème ?
Remus Pricopie, recteur à l’Ecole nationale d’études politiques et administratives, la SNSPA, a fait une analyse de la situation sur les ondes de Radio Roumanie, où il évoque la nécessité d'établir des critères clairs dans l’étude des dossiers des demandeurs d’asile.
Corina Cristea, 03.05.2024, 11:34
Etablir des priorités pour mieux gérer les flux
Fruit d’un compromis difficile, le pacte européen sur la migration et l’asile récemment adopté par le Parlement européen intervient dans un contexte de hausses inquiétantes des demandes d’asile et des chiffres de l’immigration illégale dans l’Union, notamment en provenance d’Afrique du Nord. 1,14 millions de demandes d’asile ont été enregistrées l’année dernière, un seuil jamais atteint depuis 2016, selon l’Agence européenne pour l’asile, tandis que les entrées illégales, également en hausse, s’élevaient à environ 380.000. Le résultat? Le nombre croissant de migrants génère des tensions et des divisions entre les 27 États membres de l’Union européenne. Remus Pricopie, recteur à l’Ecole nationale d’études politiques et administratives, la SNSPA, a fait une analyse de la situation sur les ondes de Radio Roumanie, où il évoque la nécessité d’établir des critères clairs dans l’étude des dossiers des demandeurs d’asile. Aussi, dit-il « nous devons aider ceux qui sont dans une situation compliquée. Quelles sont les options dont disposent les Ukrainiens ? Quelles sont les options dont disposent les Syriens ? Il n’y a aucune alternative dans des conditions de guerre et tant qu’il y a un conflit en cours, et il est normal que les gens qui se retrouvent dans des conditions de guerre s’enfuient tout simplement pour sauver leur vies. Vous n’avez aucun moyen de dire « non, nous n’acceptons pas, nous n’approuvons pas, retournez en Ukraine ». Mais il existe d’autres situations où cette migration, en fait, est catalysée soit par des trafiquants, soit provoquée pour d’autres raisons. Il nous faut donc ou une priorisation des migrants, parce qu’en fin de compte, les ressources des pays de l’Union européenne sont limitées », martèle Remus Pricopie. Ecoutons-le :
« L’écart en termes de procédures en matière de politique d’asile entre les différents Etats de l’Union européenne a rendu cette politique assez incohérente. Mais avant que nous analysons la façon dont les demandes d’asile et la politique d’immigration au sens large sont gérées au niveau de l’UE, il ne faut pas se voiler la face : l’immigration est l’une des raisons pour lesquelles le discours extrémiste s’est développé partout en Europe. D’un autre côté, s’avérer capable de gérer ce flux, ce grand nombre de personnes qui arrivent sur le sol européen, devient compliqué. Nous parlons de millions de personnes au niveau de l’Union européenne, nous ne parlons pas de dix ou vingt mille, nous parlons de millions. Certes, la migration existe depuis toujours, depuis que des humains vivent sur la terre. Mais si l’on regarde en arrière, dans les années 70, 80, 90, le nombre d’arrivants représentait un pourcentage relativement faible par rapport à la population des pays respectifs. (…) Prenez l’Autriche, pays avec lequel nous débattons au sujet de notre adhésion à l’espace Schengen, mais l’Autriche compte pour 20% de sa population des gens qui ne possèdent pas la nationalité autrichienne, et cela en sus de nouveaux arrivants qui ont déjà eu accès à cette nationalité. L’Allemagne aussi compte quatre millions de résidents d’origine turque. Les choses sont bien plus compliquées qu’elles ne paraissent de premier abord. »
L’instrumentalisation de l’immigration en tant qu’outil géopolitique
Remus Pricopie attire également l’attention sur un autre aspect ignoré de la question : l’instrumentalisation de l’immigration en tant qu’outil géopolitique, en prenant pour exemple la Turquie, qui utilise les migrants accueillis sur son sol en tant que moyen de chantage à l’égard de l’UE.
Aussi, la nouvelle législation européenne récemment passée au vote devant le Parlement européen impose une approche unitaire au niveau de tous les États membres. Il s’agit d’un règlement et non d’une directive, ce qui signifie qu’il sera bientôt d’application dans tous les États membre. Une législation censée accélérer et simplifier les procédures, mais aussi rendre effectif le retour des demandeurs d’asile dont la demande a été déboutée. Un autre élément nouveau est la constitution des bases de données communes au niveau européen, pour limiter le risque de voir pénétrer le sol européen des personnes qui peuvent présenter un risque de sécurité. Les empreintes digitales et les images faciales de toutes personnes de plus de six ans seront collectées et enregistrées dans la base de données européenne Eurodac. Dans le même temps, selon le nouveau règlement, les États membres sont tenus d’assurer aux demandeurs d’asile des conditions d’accueil équivalentes en matière de conditions de vie, d’éducation et d’assistance médicale. Les demandeurs d’asile dont la demande a été considérée comme recevable auront accès au marché de travail local au plus tard six mois après le dépôt de leur demande. Par ailleurs, un mécanisme de solidarité sera mis en place, afin qu’aucun État membre ne supporte seul la pression migratoire, qu’il s’agisse des Etats situés à la frontière méditerranéenne ou au long des routes migratoires terrestres. Remus Pricopie :
« Le problème migratoire ne peut être surmonté que si les Etats tentent de résoudre, fut-ce partiellement, la cause du problème, la situation délétère qui provoque les vagues migratoires dans les pays d’origine. Pourquoi ces gens quittent-ils leur pays ? Il y a les conflits armés, et j’ai déjà évoqué la situation en Syrie ou en Ukraine. Il y a aussi les régimes politiques dictatoriaux, la violation des droits fondamentaux et la question de la pauvreté. Ainsi, en essayant, à travers les politiques européennes, et même au niveau mondial des Nations Unies, de lutter contre ces causes, la pression migratoire devrait baisser. Si, en revanche, nous tenterions de bâtir des murs ou des clôtures, tôt ou tard le mur sautera. Vous savez, Donald Trump voulait ériger un mur de 4 000 kilomètres de long à la frontière mexicaine. Il ne l’a pas fait finalement. Mais avec ou sans mur il y a eu deux millions d’arrestations à cette frontière l’année dernière. 2 millions de personnes, originaires du Mexique, mais aussi d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud, ont tenté de franchir illégalement cette frontière. Le problème migratoire est une question des plus ardues au niveau global, à l’exception peut-être des conséquences du réchauffement climatique. »
Quoi qu’il en soit, la nouvelle politique en matière d’immigration et d’asile sera d’application à partir de 2026 dans tous les Etats membres de l’UE. (Trad. Ionut Jugureanu)