La démocratie, en déclin
Rapport : "La démocratie meurt lentement. (...) Les tendances au rétrécissement de l'espace public et les attaques contre les libertés des citoyens ont continué, lentement mais sûrement."
Christine Leșcu, 02.04.2024, 20:21
Rapport sur l’état de la démocratie
Trois ONGs – le centre de ressources pour la participation publique, ActiveWatch et l’Association pour la technologie et Internet – viennent de publier leur troisième Rapport sur l’état de la démocratie. Leur analyse porte sur l’année 2023 et la conclusion est tranchante.
Le rapport conclut : « La démocratie meurt lentement. Même si on n’observe pas de régression spectaculaire par rapport aux années précédentes ou par rapport à d’autres pays voisins, les tendances au rétrécissement de l’espace public et les attaques contre les libertés des citoyens ont continué, lentement mais sûrement. »
Oana Preda, chargée de plaidoyer au Centre de ressources pour la participation publique détaille cette conclusion.
« Nous sommes toujours sur un déclin qui a commencé il y a quelques années et auquel nous nous sommes déjà habitués. Le fait que nous avons fini par nous y habituer est un problème en soi, parce que notre vigilance en est affaiblie. C’est pourquoi nous nous obstinons à signaler tous les dérapages que nous observons et à les réunir dans notre rapport annuel qui nous permet de dresser une situation d’ensemble. Comme d’habitude, nous nous sommes concentrés sur certains thèmes qui nous semblent pertinents au regard de la qualité de l’espace civique et de la démocratie en général ».
Atteintes à la liberté de réunion
Parmi ces thèmes, le rapport pointe en premier lieu les atteintes à la liberté de réunion. De nombreuses manifestations ont agité l’Union européenne en 2023 et même si les choses ont été plus calmes en Roumanie, les autorités ont fait preuve d’un zèle excessif, comme l’explique Oana Preda.
« L’année 2023 a commencé avec un projet de modification du Code pénal initié par le premier ministre de l’époque, Nicolae Ciuca qui proposait de punir de 7 ans de prison les troubles au calme et à l’ordre public. Nous considérons qu’il y a là un danger, un risque d’abus et d’intimidation des personnes qui voudraient par exemple participer à des manifestations, sans pour autant troubler l’ordre public. Heureusement, suite aux pressions de la société civile et des médias de masse, le projet de loi a été retiré et nous y avons échappé. Mais nous devons rester vigilants parce que ce genre d’attaques émergent dans l’agenda politique au moment où on s’y attend le moins. Au-delà du cadre législatif, 2023 a été une année pauvre en manifestations et pourtant on a observé un excès de zèle de la part des forces de l’ordre, sans commune mesure avec la réalité des manifestations. On peut parler de l’intimidation subie par de potentiels activistes, des personnes solidaires des victimes de la guerre à Gaza et qui n’ont pourtant pas fait énormément de bruit. La presse a rapporté comment nombre d’entre eux ont été interpelés et conduits au poste de police, ou alors ont reçu des visites de la police à leur domicile, afin de leur faire comprendre qu’ils feraient mieux de ne pas participer aux manifestations, de ne pas publier sur ce sujet sur facebook et qu’en fait ce serait mieux qu’ils ne s’expriment pas du tout à ce sujet ».
La liberté de la presse
Suivant une tendance en cours depuis plusieurs années, la liberté de la presse a été menacée en 2023 pour des raisons financières : soit l’argent manque pour soutenir une réelle démarche journalistique, soit les financeurs exercent des pressions sur les rédactions, les empêchant d’effectuer leur travail de journaliste. Par exemple, les publications La gazette des sports et Libertatea ont été contraintes de changer radicalement leurs équipes et leur ligne éditoriale à cause des ingérences de leurs actionnaires. Par ailleurs, la journaliste indépendante Emilia Șercan, connue pour avoir démontré que de nombreuses thèses d’hommes politiques en vue étaient plagiées, a continué à être harcelée.
Oana Preda : « Sans faire de généralité, on peut néanmoins dire qu’en 2023 une bonne partie de la presse a été achetée, souvent avec des fonds publics. Par exemple, en 2023, les partis politiques ont dépensé pour la presse et la propagande environ 121 millions de lei, soit plus de 24 millions d’euros. C’est ce qui explique que des informations qui seraient susceptibles d’affecter l’image des partis au pouvoir restent entre nous, dans notre bulle. En 2023 on a vu comment l’indépendance éditoriale était sacrifiée au profit. Il y a les cas de La Gazette des sports et de Libertatea. Il y a l’exemple de la journaliste Emilia Șercan, avec son dossier qui devait faire la lumière sur les abus subis en 2023. Ce dossier a été classé brusquement, sans aucune explication. Comme je l’ai déjà dit, tout ceci explique un peu pourquoi les informations ne sortent pas d’un petit cercle d’initiés ».
L’accès aux informations publiques
L’accès aux informations publiques est régi par une loi qui a de nouveau été amendée en 2023.
Oana Preda: « L’accès aux informations d’intérêt public est essentiel pour les journalistes et les activistes. Nos consœurs du Centre FILIA qui est une association féministe, ont sollicitées des informations sur les cas d’infractions sexuelles contre des mineurs, le Parquet leur a répondu que pour accéder à ces informations, la personne sollicitante devait apporter la preuve qu’elle faisait bien partie de l’association et présenter une procuration prouvant qu’elle a le droit de solliciter l’accès aux informations. Il y a aussi une réponse reçue par nos collègues du Centre pour l’innovation publique de la part du Secrétariat général du gouvernement. L’association demandait qu’on lui fournisse la liste des personnes occupant des postes de secrétaire d’Etat et de conseiller d’Etat. Cette liste n’a pas été fournie sous prétexte qu’elle contient des données à caractère personnel. Ce ne sont que deux exemples parmi d’autres mais qui montrent bien que les institutions rivalisent de créativité pour se prévaloir abusivement d’exception prévues par la loi. Ainsi, des collègues qui contrôlaient systématiquement certains types d’informations, ne reçoivent aujourd’hui plus les données qu’ils recevaient auparavant. Nous ne nous en rendons pas compte mais ce genre de chose s’installe lentement ».
La situation se détériorant rapidement, il faudrait que la vigilance dépasse le cercle des associations civiques pour devenir l’affaire de toutes et tous. (Trad. Clémence Lheureux)