Productivité, salaires et dialogue social
... au niveau de l'UE.
Florin Orban, 07.11.2017, 14:00
Cela fait plus de dix ans que la Roumanie fait partie de l’UE et que les Roumains espèrent voir leurs salaires s’accroître pour approcher, ne serait-ce que dans une petite mesure, les rémunérations de leurs confrères occidentaux. Bien que les statistiques fassent état d’une augmentation salariale en Europe de l’Est aussi, il s’agit d’une majoration plutôt insignifiante, opinait récemment, à Bruxelles, Luca Visentini, secrétaire général de la Confédération européenne des syndicats.
Luca Visentini : «Les disparités salariales entre les différents pays communautaires ne sont pas négligeables. Et cela dans le contexte où la productivité dans l’est du continent se monte jusqu’à 70, 80, voire 90% de celle affichée en Occident. En revanche, les salaires des Européens de l’est représentent à peine 25, 30 et très rarement 40% des revenus occidentaux. Il est donc évident qu’à force d’encourager cette compétition intérieure injuste fondée sur une main d’œuvre bon marché, le marché unique risque de s’écrouler. C’est un aspect à solutionner à tout prix et du coup, il serait très nécessaire de renforcer la coopération entre les pouvoirs publics et les partenaires sociaux afin que les salaires suivent la tendance ascendante de la productivité. Cela nous permettrait même de booster davantage la productivité en Europe».
Pour mieux comprendre la raison pour laquelle les salaires des est-Européens restent en dessous de la productivité, voici les propos de Dumitru Fornea, membre du Comité économique et social européen, chargé des relations internationales au sein de sa confédération syndicale nationale: «D’un pays à l’autre, les politiques salariales diffèrent. Inutile donc d’invoquer une productivité en Europe de l’Est inférieure à celle d’Occident; cet aspect-là n’est plus d’actualité. Il est déjà avéré que les pays de l’Est affichent un taux de productivité presque similaire à celui d’Occident. Du coup, les écarts salariaux découlent plutôt des politiques sociales et salariales, tout comme des accords conclus par les gouvernements des pays de l’Europe Centrale et de l’Est avec les différentes sociétés multinationales. Il convient de préciser que ces dernières ont conditionné leur présence sur le territoire de tel ou tel Etat par la mise en place de politiques salariales qui leur soient favorables. Il est sûr et certain que toutes ces compagnies font de leur mieux pour conserver leurs avantages concurrentiels par rapport à d’autres régions du monde. Lors des discussions menées avec les gouvernements de tous ces Etats est-européens, il est monnaie courante que ces sociétés menacent de boucler leurs valises pour déménager au Bangladesh ou au Pakistan en cas d’une majoration du salaire minimum ou moyen.»
Quant aux représentants des milieux d’affaires, ils ont une opinion plutôt différente.
Emma Marcegaglia, à la tête de l’Organisation patronale BusinessEurope: «On est bien d’accord que le niveau salarial risque de poser un problème, surtout en Europe de l’Est. Mais il serait nécessaire que les majorations salariales suivent le même rythme que la productivité au niveau national, non seulement celle liée aux coûts de la main d’œuvre. Il appartient à chaque société de voir si elle peut ou pas supporter des majorations salariales. Par conséquent, on devrait privilégier le dialogue social et les négociations. »
Malheureusement, ni le dialogue social, ni les négociations ne sont forcément couronnés de succès. En Roumanie, par exemple, cela fait déjà une bonne dizaine d’années qu’ils font long feu.
Dumitru Fornea, syndicaliste et membre du Comité économique et social européen: « On a mis en place une modification de la Loi du dialogue social, parallèlement à une soi-disant américanisation des rapports industriels, dans le sens où le gouvernement se propose de décourager les négociations des conventions collectives de travail au niveau national et au niveau de chaque branche d’activité. Autant de changements censés aboutir à un nouveau type de relations industrielles. Pour ce qui est des mouvements de protestation, ceux-ci se sont vus strictement réglementer par un cadre législatif plutôt flexible, susceptible de mettre en difficulté toute organisation syndicale. En revanche, tant que les gouvernements des pays concernés, comme par exemple celui de Roumanie, s’engagent auprès des entreprises et du patronat de bloquer tout aspect susceptible de les défavoriser – et je pense à la syndicalisation, aux conventions collectives, à la mise en place de clauses sociales – ceux-ci se permettront de rejeter le partenariat social.»
En décembre 2016, le Parti social démocrate remportait les élections de Roumanie grâce à un programme de gauche qui faisait de la majoration salariale sa priorité numéro 1. Dirigé par le premier ministre Mihai Tudose, l’actuel gouvernement de Bucarest, le deuxième depuis l’installation du PSD au pouvoir, s’est dit ouvert à toute initiative avancée par les organisations syndicales.
Dumitru Fornea: « La Roumanie a à sa tête un gouvernement arrivé au pouvoir grâce à un programme ciblé sur la modification de la Loi du Dialogue social afin qu’elle serve les intérêts des organisations syndicales et privilégie les négociations collectives. L’actuel cabinet s’est engagé à opérer une augmentation salariale dans la fonction publique et à mettre en place un cadre favorable au dialogue social. Reste à voir si toutes ces mesures se concrétiseront ou pas. On espère que sous la pression des organismes européens, la Roumanie arrive d’ici quelques années à avancer dans une direction plus constructive que la direction actuelle, en bénéficiant d’un dialogue social d’une plus grande qualité. Car pour l’instant, tout ce que l’on fait, c’est de nous réunir afin d’examiner des projets de modification législative qui semblent n’aboutir à rien de concret.»
Suite à la mise en place d’une nouvelle loi des salaires dans la fonction publique, la Roumanie semble avoir fait un premier pas vers une majoration de ses revenus. Mais certaines prévisions ainsi que toute une série de mesures fiscales ont fini par mettre en colère à la fois syndicats et patronats. (Trad. Ioana Stancescu)