Le Courrier des auditeurs du 22/10/2021
Ligia répond à vos messages
România Internațional, 22.10.2021, 08:50
En Roumanie, c’est le désastre du point de vue sanitaire. Nous n’avons jamais été confrontés à une catastrophe d’une telle ampleur, et les compteurs ne semblent pas s’arrêter. C’est littéralement dramatique. Les hôpitaux sont sursaturés, les soignants sont épuisés et certains démissionnent car ils ne peuvent plus tenir. En plus, par les temps qui courent, ils n’ont pas le droit de prendre des vacances. Déjà que le pays enregistre un déficit important de médecins, car plusieurs dizaines de milliers ont quitté le pays au fil des ans pour s’installer à l’étranger, en quête d’emplois plus rémunérateurs, de meilleures conditions de travail et d’une autre qualité de vie. Dans ce contexte, Guy Le Louët, de France, que je salue, nous demande pourquoi tant de crainte chez les Roumains sur la vaccination contre le Covid-19 ? En vue d’une bonne compréhension du problème, je dois commencer par contextualiser ma réponse.
A noter que la Roumanie alloue à la Santé le moindre taux du PIB de toute l’UE, moins de 5 %, un taux pourtant supérieur à l’année 2020. Selon Eurostat, en 2018, la Roumanie allouait 580 euros à la santé par personne et par an, alors qu’à l’opposé, le Danemark en allouait 5 260, la moyenne européenne étant de 2 982 €. Dans l’UE, les frais de santé ont représenté 9,9 % du PIB en moyenne en 2018. Les taux les plus importants ont été enregistrés en Allemagne (11,5 %) et en France (11,3 %). Et notre pourcentage est le moindre depuis très longtemps. Pourtant, selon une étude sur la santé dans l’UE en 2019, la Roumanie avait alloué cette année-là 5 % du PIB à la Santé, par rapport à la moyenne européenne de 9,8 %, et 1 029 € par personne et par an, la moyenne européenne étant de 2 884 €. Et l’étude concluait qu’en termes absolus, le système de santé était sous-financé en grande mesure. Il faut aussi savoir que, selon la même étude de l’OCDE pour 2019 (Profil de santé par pays), l’espérance de vie était en Roumanie de 75,3 ans, six ans de moins que la moyenne européenne. Les équipements médicaux insuffisants et le déficit de médecins peuvent contribuer à expliquer ce chiffre. En plus, beaucoup de décès pourraient être évités par une meilleure prévention et par un meilleur traitement. Ces taux sont parmi les plus élevés de l’UE. Les taux de vaccination de la population ont baissé de manière dramatique au fil des années. En 2019, seulement 89 % de la population avait une assurance maladie.
En conclusion, le sous-financement du système affecte la capacité de la Roumanie de répondre aux besoins actuels de la population, et cette situation deviendra de plus en plus difficile à mesure que la population vieillit et que la base de ressources rétrécit.
La Roumanie, avec 34 % de sa population éligible vaccinée ainsi que sa voisine la Bulgarie, avec moins que cela, se partagent les deux dernières places point de vue taux de vaccination en Europe. Je note que la moyenne européenne d’immunisation complète est de 74 %. Le 19 octobre dernier, nous avons enregistré un record négatif de 18 863 nouvelles infections au Covid-19 et 574 décès en un seul jour ! Il est vrai que pendant très longtemps, la Roumanie ne faisait qu’environ 30 000 tests par jour. Au moment où elle est passée à 70 000 tests par jour, les chiffres n’ont plus été si rassurants. La Roumanie est en ce moment un des pays les plus affectés du monde par la pandémie. Et le système sanitaire est au bord du gouffre, car plus de 1 800 lits de soins critiques réservés aux personnes atteintes de Covid-19 sont tous occupés, et quand bien même ils pourraient en rajouter, le nombre de médecins afférents est largement déficitaire. Comme je l’ai déjà dit dans une autre émission, les ambulances font la queue devant les hôpitaux, les médecins ont placé des lits sur les couloirs, ont soigné les patients dans le service des urgences, dans des conteneurs et dans des tentes à l’extérieur des établissements, et tous sont pris. Enfin, les personnes dépendantes d’oxygène sont restées dans les ambulances à attendre de pouvoir être prises en charge à l’hôpital.
Les 72,3 % des personnes hospitalisées maintenant en Roumanie et 92,1 % de ceux qui meurent des suites de la Covid ne sont pas immunisés, selon le Rapport hebdomadaire sur le Covid de l’Institut national de santé publique. Selon la source citée, 94 % des personnes décédées des suites de la Covid avaient au moins une comorbidité. Et avec 18,2 décès par million d’habitants, la Roumanie enregistre le 2e taux de mortalité le plus élevé du monde des suites de la Covid.
Le président de la Roumanie a qualifié la situation de « drame national de proportions terribles ». « L’Etat a échoué dans sa mission de protéger ses citoyens », déclarait récemment le chef de l’Etat roumain, Klaus Iohannis. Il a affirmé que les préparatifs en vue de la 4e vague de la pandémie avaient été déficitaires et que la campagne de vaccination anti-Covid s’était déroulée beaucoup trop lentement. Quant à lui, le gouvernement explique l’échec de la campagne de vaccination par les fausses nouvelles et la dissémination des théories de la conspiration.
Bien sûr, des appels à la vaccination ont été faits, repris et multipliés au fil du temps, et la Roumanie a toujours eu des vaccins, depuis le 27 décembre dernier. La Roumanie a commandé beaucoup de vaccins et n’en a jamais manqué. Comme la population ne s’est pas pressée pour se faire vacciner, certaines doses ont été vendues à d’autres pays, données ou se sont périmées. Même des Roumains qui vivent à l’étranger sont rentrés au pays pour se faire immuniser ici, où ils pouvaient en bénéficier plus tôt que dans les pays où ils sont installés.
Pourquoi cette réticence des Roumains à se faire vacciner ? Je pense que c’est aussi une histoire de mentalités : le Roumain se soigne d’abord avec ce qu’il a sous la main, avec ce que lui recommande la voisine ou le voisin et ne se présente chez le médecin que très tard, quand la maladie est déjà avancée. En plus, suite à tout ce qui est arrivé ces 30 dernières années, il ne fait pas confiance aux politiciens. Il y a même un parti parlementaire qui n’est pas d’accord avec la vaccination et le dit haut et fort, dans un langage accessible à tout un chacun. Je pense que la population prête beaucoup l’oreille à ce que dit la voisine ou le voisin. En outre, depuis le début de la pandémie, il y a une multitude de textes et de vidéos qui inondent les réseaux sociaux, prétendant que ceux qui se sont fait vacciner vont mourir, que c’est un complot pour réduire la population de la planète ou encore que l’on devient stérile si on se fait vacciner. Même une personne de 80 ans, atteinte d’une forme sévère de Covid et hospitalisée, a motivé ainsi le fait qu’elle ne s’était pas fait vacciner ! Les spécialistes parlent aussi de manipulation et de désinformation, dont beaucoup de Roumains tombent victimes. Même ceux qui sont atteints de maladies graves, et qui risquent de développer des formes sévères de la maladie s’ils s’infectent au coronavirus. Un expert en politiques de santé estime que l’Etat n’a pas fait l’effort d’éduquer la population à cet effet. Par contre, tous les négationnistes se sont exprimés sur les réseaux sociaux. Les autorités n’ont pas pris de mesures fermes pour stopper le phénomène.
Même parmi les soignants, ils ne sont pas tous immunisés, loin s’en faut. Et certains ne recommandent pas la vaccination. Il est vrai que suite à la hausse inouïe des chiffres de la maladie, les gens commencent à se vacciner davantage, et il y a des files d’attente devant les centres de vaccination. De ce fait, des marathons de la vaccination recommencent à être organisés en Roumanie. Cette semaine, l’OMS a estimé que si le rythme de vaccination qui existait jusqu’à la semaine dernière est maintenu, le taux d’immunisation de 70 % sera atteint en Roumanie en mai 2024 ! Et nous ne sommes même pas à une phase de plateau des contaminations. Où va-t-on arriver ? Certains craignent même qu’il y ait un nouveau variant roumain du virus.
La Roumanie a demandé et reçu de l’aide par différents mécanismes européens. Elle a même transféré des malades en état grave en Hongrie, en Pologne et l’Autriche a aussi accepté de nous aider. Pourtant, je pense qu’il eut fallu d’abord balayer devant notre porte. Pour mémoire, en été, la Roumanie avait les mesures les plus relaxées du monde. Elle a permis l’organisation d’un très grand festival, avec des dizaines de milliers de participants, ensuite d’une très grande réunion politique, avec plusieurs milliers de délégués, pour ne citer que ces deux exemples. Et même maintenant, lorsque le taux de contamination est supérieur à 16 % à Bucarest et il est de plus de 25 % par mille habitants dans le département limitrophe, toujours pas de confinement ni de mesures drastiques. Le masque sera obligatoire partout, mais à peine à partir de lundi, soit une mesure qui entre en vigueur 5 jours après avoir été prise ! Les élèves vont avoir deux semaines de vacances pour limiter l’interaction humaine. Oui, les pays européens nous ont envoyé des équipements et des médicaments, les Moldaves ont détaché des soignants en Roumanie, mais lorsque le moment est si grave, sans être spécialiste, je pense qu’il aurait fallu adopter des mesures plus sévères, et bien à l’avance. L’OMS a détaché une experte en gestion des désastres qui passera deux mois en Roumanie afin d’essayer de voir les causes de cet état de choses et de proposer des solutions. Voilà, Guy, j’espère avoir répondu au moins en partie à ta question de la plus grande actualité.
