Christian Ghibaudo (France) – Les aventures de Pif le chien publiées en Roumanie
... dans des journaux ou dans des magazines totalement dédiés ?
Alex Diaconescu, 03.03.2023, 15:09
l’histoire de la revue Pif en Roumanie est très intéressante. Et pour pouvoir la raconter j’ai dû interroger aussi mon père, qui était adolescent dans les années ’60 – ’70, justement durant l’âge d’or de la revue Pif. En effet, durant cette période-là les Roumains avaient la possibilité de s’abonner à des publications étrangères, voire occidentales. Certes, il s’agissait de publications agrées par le régime et les publications de gauche et surtout celles financées par les communistes étaient privilégiées. A Bucarest, par exemple, certains kiosques proposaient aussi des magazines occidentaux, tel Paris Match. Mais le nombre des exemplaires était assez limité et les pages contenant des articles qui ne convenaient pas au régime étaient tout simplement découpées au ciseau. On pouvait retrouver seulement le titre et le résumé d’un article inconfortable portant par exemple sur la démolition des villages traditionnels roumains. Tel n’était pas le cas des revues Pif ou Rahan qui comptaient dans les années ’60 et ’70 parmi les quelques publications pour les enfants et les jeunes disponibles sur le marché roumain. Ces magazines étaient lus et relus, prêtés, collectionnés en séries complètes, sinon échangés pour d’autres jouets, puisqu’un abonnement n’était toujours pas à la portée de tout le monde.
L’apparition d’un gadget vendu en accompagnement de la revue Pif aurait pu enchanter davantage les abonnés. Peu d’entre eux arrivaient à obtenir le très convoité gadget, puisque le plus souvent il était volé en route vers le destinataire final. Tout était ensuite à retrouver sur le marché noir. Mais les quelques fortunés qui avaient enfin la chance de pouvoir ouvrir le film en plastique du magazine pouvaient sentir l’odeur de l’Occident, car Pif était complètement supérieur à tout ce que l’on publiait en Roumanie à l’époque, tant côté contenu, que côté qualité graphique.
Pour les jeunes roumains, parcourir un exemplaire original de Pif était une incursion dans l’Occident capitaliste, ce qui est assez ironique vu que la publication était éditée par le Parti communiste français. Mais même entre camarades communistes, les questions pécuniaires pouvaient mener à des dissensions majeures. Un tel épisode a eu lieu lorsque les autorités roumaines ont cessé de payer pour les revues arrivées en Roumanie, ce qui a poussé les Français à menacer par leur retrait du marché roumain. Finalement, un compromis a été scellé et pendant une certaine période de temps, la revue RAHAN fut imprimée en Roumanie. On disait que ces numéros étaient facilement identifiables puisqu’ils se dégradaient plus rapidement.
Autre anecdote à propos de Pif : on pouvait choisir un ami par correspondance parmi les jeunes de tous les pays où le magazine était vendu. Beaucoup de jeunes roumains se son liés d’amitié avec des lecteurs étrangers. Certains lecteurs roumains ont réussi à émigrer grâce justement aux invitations officielles faites par leurs amis par correspondance. Parallèlement, à commencer par 1967, le régime a sorti son propre magazine pour les jeunes appelé « Cutezatorii »/ « Les téméraires », publication dans laquelle l’idéologie communiste était beaucoup plus présente. Seul son supplément « La fusée des téméraires » était dépourvue de textes doctrinaires, car son contenu était presqu’exclusivement technique. Mais le succès des deux revues n’a jamais atteint celui de leurs correspondantes de France, puisqu’entre autres le contenu de BD, dont les aventures en langue roumaine du célèbre chien Pif, était beaucoup plus réduit. Et cela même si « Les téméraires » était le fruit d’une collaboration franco-roumaine : un des personnages des séries BD roumaines, le robot Minitechnicus portait la signature justement de Jose Cabrero Arnal, le créateur des personnages tels Placid et Muzo ou Pif et Hercule et ainsi de suite.
Minitechnicus déssinné pour la première fois par l’artiste durant sa visite en Roumanie en 1970, a bénéficié d’une grande notoriété et c’est probablement pourquoi une décennie plus tard il allait être supprimé, puisque selon les idéologues du Parti unique, son nom n’était pas roumain. Vers la fin des années 1980, Pif n’était plus disponible en Roumanie, où le régime imposait ses propres publications, dans lesquelles la propagande communiste et nationaliste était omniprésente. Ironie du sort, la seule publication toujours disponible d’une qualité quasi-identique à Pif et dépourvue en grande partie de la propagande communiste était un magazine soviétique de BD sorti en différentes langues étrangères dont en français. Somme toute Pif a marqué toute une génération en Roumanie et a contribué au renouveau de la francophonie dans ce pays.
Par le biais de cette revue les Roumains entraient en contact avec la culture française, avec la culture populaire occidentale et avec une culture tout à fait inhabituelle pour nous, celle de la BD. Des générations entières d’enfants ont appris le français, de manière intuitive et spontanée, en lisant des bandes dessinées. Vous pouvez apprendre davantage sur la revue Pif et la BD en Roumanie à l’époque communiste si vous recherchez sur notre site rri.ro l’édition de notre dossier « Pro Mémoria » de novembre 2014 qui contient une interview avec le réputé politologue Ioan Stanomir, également passionné de BD.