Jacques Augustin – « d’où est née l’amitié entre la Roumanie et la République de Moldova? »
Ce n'est pas par hasard que la République de Moldova a occupé et occupe toujours une place à part dans nos programmes et nous évoquons souvent cet Etat ex-soviétique.
Alex Diaconescu, 23.09.2022, 17:43
Mais de temps en temps, il faut rappeler certains repères historiques. Eh bien, l’actuelle République de Moldova faisait partie jusqu’au début du 19e siècle de la principauté médiévale de Moldavie. Durant la période des guerres napoléoniennes et à l’issue d’une guerre russo-turque – soit en 1812 – l’Empire des Tsars s’empare du territoire délimité grossièrement par les rivières Prut à l’ouest et Dniestr à l’est, soit la partie est de la principauté de Moldavie, à l’époque vassale de l’Empire Ottoman. Pendant plus d’un siècle, la région est une province de l’Empire des Tsars, soumise à un processus de « russification » de la population locale, doublé par l’installation de Russes et d’Ukrainiens. Selon les recensements réalisés à la fin du 19e siècle, moins de la moitié de la population se déclarait roumaine ou moldave. Entre temps, l’union des principautés roumaines de Valachie et de Moldavie, en 1859, donne naissance à la Roumanie. A la fin de la Première guerre mondiale, sur la toile de fond du chaos produit par la révolution bolchévique, tous les peuples de la Bessarabie votent pour l’indépendance du pays et puis pour l’union avec le Royaume de Roumanie.
Pendant une vingtaine d’années, la région fait partie de ce que l’on appelle « la Grande Roumanie » et connait un certain développement par rapport au siècle dernier lorsqu’elle avait tout simplement un statut de grenier. Les chemins de fer sont adaptés aux normes européennes et les écoles bénéficient de davantage de financements. Mais l’attention des autorités de Bucarest est rivée sur la Transylvanie, et la Bessarabie demeure une véritable cendrillon parmi les régions du pays. Le status quo change dramatiquement en 1940, lorsqu’en vertu des accords secrets entre Hitler et Staline, l’Union Soviétique occupe la région suite à un ultimatum lancé aux autorités de Bucarest. Récupérée par la Roumanie, pour trois années seulement durant la Seconde guerre mondiale, la Bessarabie est à nouveau occupée par l’URSS qui la transforme en République socialiste soviétique et entame un processus de russification encore plus intense que celui déroulé par l’Empire des Tsars avec la déportation des Roumains et l’installation de colons russes.
Economiquement, la République socialiste soviétique moldave demeure un pays agraire, dont les principales industries et sources d’énergie se retrouvent sur la rive gauche de la rivière Dniestr. Et voilà qu’avec la chute de l’URSS en 1991, la République de Moldova déclare son indépendance. Avec deux tiers des habitants roumanophones, le pays aurait pu s’unir avec la Roumanie, comme ce fut le cas en 1919. Mais la situation était beaucoup plus compliquée. La population russophone n’est pas du tout insignifiante, les liens économiques avec les autres Etats ex-soviétiques, et surtout avec la Russie, sont très importants et la petite république doit aussi faire face à la sécession de la Transnistrie, soit le territoire situé à l’est de la rivière Dniestr, qui détenait à l’époque toute l’industrie et surtout toutes les sources d’énergie du pays. Des combats ont opposé les forces de Chisinau aux séparatistes épaulés par l’armée russe. Le pays le plus pauvre d’Europe a connu des périodes très difficiles ces vingt dernières années avec des crises économiques ou politiques et évidemment des scandales de corruption. L’alternance entre les politiciens pro-russes et pro-européens place le pays dans un état d’oscillation entre l’ouest et l’est, entre l’Occident et la Russie. Le seul élément constant dans toute cette incertitude a été l’appui de la Roumanie.
Le « soft power » de Bucarest se traduit par des aides humanitaires, des financements non-remboursables et des bourses d’étude. La nationalité roumaine accordée à tout citoyen de la République de Moldova est un autre aspect à ne pas négliger, vu que le passeport roumain assure l’accès des ressortissants de ce pays au marché de l’emploi de l’UE. Sur le plan énergétique, un gazoduc entre la Roumanie et la République de Moldova a été construit et depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la petite république ex-soviétique a été branchée au réseau énergétique européen, qui inclut aussi la Roumanie. L’aide accordée par la Roumanie à la République de Moldova a visé plusieurs domaines dont notamment l’enseignement et la santé. Je ne vais donner que quelques exemples concrets. Durant la pandémie, la Roumanie a livré à la République de Moldova des aides humanitaires sous la forme de fournitures sanitaires et de vaccins anti-covid. Conformément au site du ministère des Affaires Etrangères de Bucarest, grâce aux aides offertes par la Roumanie, 200 minibus scolaires ont été achetés et un millier de maternelles ont été rénovées partout dans le le pays, y compris dans la minuscule région autonome moldave de Gagaouzie. L’aide de Bucarest ne tient compte ni de l’ethnicité des bénéficiaires, ni de la langue dans laquelle ils s’expriment, ni de leur opinion politique. Et ce n’est pas tout, puisque la Roumanie est l’avocat le plus actif de la République de Moldova dans ses efforts d’adhérer à l’Union Européenne.
D’ailleurs dès le début de la crise ukrainienne, plusieurs donateurs européens et internationaux dont l’Allemagne, la France et la Roumanie ont mis en place une plateforme d’aide à la République de Moldova dans le contexte de la guerre en Ukraine. Désormais, les liens entre les deux Etats devraient se renforcer vu que la République de Moldova semble avoir un parcours européen stable grâce à la présidente pro-européenne Maia Sandu. D’ailleurs, dans le contexte de la crise ukrainienne, l’ex République soviétique a accédé au statut de pays candidat à l’UE. En fin de compte, la frontière entre les deux Etats devrait disparaitre de facto suite à son intégration à l’UE.