Les enfants laissés en Roumanie par les parents partis travailler à l’étranger
Nous répondons aujourd'hui à Christian Ghibaudo, Gilles Gautier et Jacques Augustin de France.
România Internațional, 03.08.2018, 14:50
Les statistiques officielles font état de 3,5 à 4 millions de Roumains partis travailler à l’étranger. Non officiellement, les organisations de Roumains de la diaspora estiment qu’il y a 5 millions de Roumains en Europe et un million aux Etats Unis et au Canada. Ce sont surtout des personnes dans la force de l’âge, qui pensaient aller là, envoyer de l’argent au pays, se faire construire une maison moderne, et rentrer après avoir mis de l’argent de côté. Ils se proposaient d’y rester 5 à 10 ans, mais la crise est arrivée, et 20 années sont déjà passées. Cela a créé et continue de créer maints problèmes dans ce pays, déserté par une main d’œuvre en âge de travailler, qui ne paie plus la sécurité sociale et autres assurances en Roumanie, laissant le pays avec un manque à gagner difficile – voire impossible – à combler. Et cela crée un immense problème surtout pour les enfants que ces parents – partis en quête d’un emploi plus rémunérateur ou d’un emploi tout court, voire d’une vie meilleure – ont laissés ici, aux bons soins de leurs grands-parents ou de la famille élargie. L’ampleur du phénomène est énorme, elle touche près de 250.000 enfants, alors que les effets sur les petits sont dévastateurs, selon les spécialistes.
Les chiffres ne sont toutefois pas unitaires. Ainsi, l’Autorité nationale pour la protection des droits de l’enfance et l’adoption dénombrait, l’année dernière, 95.000 enfants dont les parents travaillaient à l’étranger, 10.000 de plus qu’en 2010. Sur ce chiffre, plus de 17.400 enfants avaient leurs deux parents à l’étranger, et 64.700, un seul parent parti. Les Inspections scolaires territoriales indiquent pour leur part que 212.350 enfants ont les parents à l’étranger, et expliquent que les statistiques de la DGASPC ne prennent en compte qu’une partie du phénomène. L’Association Sauver les enfants a fait le calcul en reprenant les chiffres des Inspections scolaires et en ajoutant ceux des enfants qui ne vont pas à l’école maternelle et qui ne sont pas inscrits à l’école ou ceux qui ont abandonné l’école ; leur estimation fait état de 250.000 enfants dans cette situation au niveau national. Ces enfants laissés pour compte sont les jeunes de demain, inadaptés et victimes sûres des dépendances et de la dépression. L’ONG met en garde que, dépourvus de l’affection des parents, les enfants rencontrent des difficultés émotionnelles, sociales et éducationnelles. Ils deviennent plus vulnérables du point de vue émotionnel, ne s’intéressent plus aux études, ont des difficultés à faire leurs devoirs et ont des problèmes de communication avec leurs tuteurs et leurs parents. Quel que soit l’âge des enfants dont un seul ou les deux parents partent travailler à l’étranger, ils ressentent cette situation comme un abandon.
La difficulté réside à intégrer cette expérience traumatisante dans leur histoire de vie. Les enfants en arrivent à conclure qu’ils ne sont pas importants en tant que personnes, ne méritent pas d’être aimés, que les autres ne sont pas dignes de confiance et que le danger de se voir quitter est tout le temps présent, expliquent les spécialistes de Sauver les enfants pour un grand quotidien bucarestois. Pour attirer l’attention, les enfants abandonnés entrent en conflit avec les autres, deviennent introvertis ou s’opposent à tout. Bien souvent, les parents argumentent que c’est pour leur avenir qu’ils vont travailler à l’étranger, et leur apportent des cadeaux chers. En fait, l’argent et les biens ne peuvent pas compenser leur absence ni leur affection. Gândul raconte l’histoire d’une fillette abandonnée à la naissance par sa mère partie travailler en Espagne, et dont le père est inconnu. Elle est passée par plusieurs centres de placement, de nouveau chez la mère, puis est arrivée chez une assistante maternelle. Chez cette personne, tout s’est très bien passé pour l’enfant. Pendant ce temps, la mère lui téléphonait de temps en temps. Au bout de plusieurs années, la mère, qui avait réussi à trouver un emploi stable, a pris la fillette et l’a emmenée avec elle en Espagne. Seulement, la fillette n’a pas pu s’adapter. Quelques mois plus tard, l’enfant était de retour au pays et demandait d’être placée chez la même assistante maternelle. Entre temps, cette dernière avait démissionné. Pourtant, vu les liens d’attachement, sa famille a pu l’accueillir. La fillette a de bons résultats au lycée, et dernièrement, la mère garde le contact avec elle, ce que l’enfant accepte aussi. Pour éviter les problèmes de comportement, les enfants devraient voir régulièrement un psychologue. L’incidence des problèmes de santé mentale est 2,6 fois plus élevée parmi ces enfants par rapport aux autres. En général, les grands-parents ou les membres de la famille élargie se bornent à leur offrir un toit et de la nourriture, alors que ces derniers ont besoin d’attention, d’amour et de compréhension.
La psychologue Keren Rosner est d’avis que l’attachement vis-à-vis des grands-parents n’est pas comparable à celui à l’égard des parents. Les filles sont crédules et peuvent devenir mères à un âge très tendre. En tout cas, le départ des parents constitue un grand risque pour les enfants et elle avertit que les enfants peuvent tomber victimes de la consommation d’alcool et de drogues. La Roumanie a mis en place depuis 2010 un programme de soutien à ces enfants. 6500 en ont déjà bénéficié. Il s’agit de 17 centres locaux, avec des équipes interdisciplinaires composées d’assistants sociaux, de psychologues et d’enseignants qui fournissent des services de soutien psycho-social, éducationnel et des activités de socialisation pour les enfants. Les personnes qui ont la charge des enfants ne sont pas oubliées non plus ; ainsi, 4500 adultes ont également pu profiter de ce soutien, dispensé par l’ONG Sauver les enfants. Il existe également en Roumanie un service conseil et information qui aide ces deux catégories de bénéficiaires – les enfants et les personnes qui s’occupent d’eux. Toutefois, rien n’égale ni ne remplace les parents.