Les temps forts du programme « Timisoara Capitale Européenne de la Culture 2023 ».
Victor Brauner – inventions et magie/ Adrian Ghenie – Le corps impossible/ La Biennale Art Encounters / Brancusi, sources roumaines et perspectives universelles/ Des rencontres avec plusieurs lauréats du Prix Nobel / Musique, danse, théâtre et cinéma
Valentina Beleavski, 01.01.2024, 01:33
Une ouverture spectaculaire
En 2023, la ville roumaine de Timisoara
(ouest) a été Capitale Européenne de la Culture, un titre qu’elle a partagé
avec deux autres villes – Vezprem de Hongrie et Eleusis (Elefsina) de Grèce.
Nous passons donc en revue les principaux moments de cette année culturelle qui
vient de s’achever.
La ville de Timişoara a officiellement
endossé ses habits de Capitale européenne de la culture 2023 le 17 février
dernier, lors un show grandiose, qui a réuni rien qu’au centre-ville, Place de
l’Union (Unirii) quelque 17 000 spectateurs venus écouter quelques-uns des
meilleurs DJ du moment, se régaler d’un spectacle aérien surprenant.
Au total
plus de 60 000 participants ont profité des quelque 130 événements tenus dans
32 endroits de la ville, le weekend de février qui a marqué l’ouverture de la
Capitale Européenne de la Culture.
Sous la devise « Shine your light – Light up
your city! », ce qui se traduirait par « Illumine ta ville à travers toi-même !
», cette ville surnommée la Petite Vienne a souhaité montrer dès le premier jour
au monde ses traditions culturelles et son expérience de cohabitation et de
tolérance entre minorités, cultures et religions différentes.
Victor Brauner – inventions et magie
Entre février et mai 2023, l’Institut
français de Timisoara a proposé une exposition événement consacrée à Victor
Brauner, peintre, sculpteur et poète juif roumain né au début du 20e
siècle.
L’exposition « Victor Brauner -
invention et magie » a été le fruit d’une collaboration inédite avec le Centre
Pompidou de Paris.
Il s’agit en fait de l’exposition la plus importante et la
plus ample jamais organisée en Europe de l’Est sur cet artiste surréaliste
d’origine roumaine. 120 ans après sa naissance ce peintre est toujours trop peu
connu en terre roumaine. C’est pourquoi la commissaire d’exposition Camille
Morando a sélectionné une centaine de toiles, dessins, sculptures,
illustrations et documents témoignant de l’ensemble de la carrière artistique
de Victor Brauner vécue entre Bucarest et Paris entre les années 1920 et 1960.
Une cinquantaine d’ouvrages ont été un prêt de la part du Centre Pompidou de
Paris.
Le tout a été exposé au Musée national
d’art de Timisoara, une rare occasion de voir au même endroit autant d’œuvres
de ce grand artiste, qui reste à ce jour un repère du surréalisme mondial. Un
effort considérable de faire venir en Roumanie un nombre si grand d’œuvres
d’art, fruit d’un travail assidu d’une équipe de plusieurs dizaines de
personnes, comme l’a déclaré pour la presse roumaine Ovidiu Sandor président de
la Fondation Art Encouters, un des organisateurs de l’événement. D’ailleurs
cette exposition a été possible grâce à un partenariat entre le Musée d’art de
Timisoara, le Centre Pompidou de Paris, la Fondation Art Encoutners et
l’Institut Français de Timisoara.
« Victor Brauner – inventions et
magie » – « une exposition qui aurait dû avoir lieu il y a longtemps
en Roumanie », aux dires du même Ovidiu Sandor pour le quotidien Adevarul.
Adrian Ghenie – Le corps impossible
L’un des coups de coeur à l’affiche du
projet Timisoara, Capitale européenne de la culture, a été, sans nul doute,
l’exposition de l’artiste, Adrian Ghenie. Organisée par la Fondation Art Encounters, du 20 avril au 18 juin dernier,
l’exposition intitulée « Adrian Ghenie – Le corps impossible » a réuni une
série d’ouvrages de date récente de cet artiste incontournable de l’art roumain
contemporain.
Considéré comme un véritable phénomène sur le marché
international de l’art, Adrian Ghenie
est né en 1977, à Baia Mare, dans le nord de la Roumanie, mais vit actuellement
à Berlin. Ses tableaux proposent un mélange inédit d’abstrait et de réalisme et
une profondeur psychologique,
troublante. On a dit de son art
qu’il ressemble à un véritable acte
politique et révolutionnaire. Il a
représenté la Roumanie à la Biennale de Venise en 2015 et a présenté des
expositions personnelles en 2019 au Musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg et
au Palazzo Cini à Venise. En 2022, deux de ses peintures ont été installées de
manière permanente dans le cadre historique de Chiesa della Madonna della
Mazza, à Palerme, dans le cadre d’un projet indépendant organisé par Alessandra
Borghese.
« Le corps impossible » a été la
première exposition solo que Ghenie a faite en Roumanie, cette dernière décennie.
Le public a pris d’assaut le pavillon
d’exposition pour admirer les 3 tableaux et 12 dessins inspirés de la période
de pandémie et d’isolement, lorsque le contact interhumain se faisait à travers
les nouvelles technologies. Dans cette exposition, Adrian Ghenie a mis en avant
des thèmes nouveaux, tels la relation des gens avec les réseaux sociaux, avec
leurs propres corps ou encore avec le temps. L’artiste affirme avoir observé
que, de nos jours, le corps humain est soumis à un langage d’expression
différent, qui lui impose de nouvelles postures et qui entraîne des changements
anatomiques, tels des bras plus longs, adaptés aux gadgets actuels.
Le vernissage a eu lieu le 20 avril, en
présence de l’artiste, de la commissaire d’exposition, Diana Marincu,
directrice artistique de la Fondation Art Encounters et des organisateurs.
Disons aussi que les œuvres d’Adrian
Ghenie sont vendues pour des sommes élevées lors de ventes aux enchères
internationales et font partie de collections d’art du monde entier. A titre
d’exemple, sa peinture Pie Fight Interior 12 s’est vendue pour presque 10,4
millions dollars américains, lors d’une vente aux enchères Christie’s à Hong
Kong.
La Biennale Art Encounters, l’art contemporain à l’honneur
Nous restons dans le monde des arts
visuels pour marquer un autre moment phare de la Capitale Européenne de la
Culture 2023 – la 5e édition de la Biennale Art Encoutners, qui
s’est voulue cette année le rendez-vous incontournable des arts, des sciences
et de la fiction. Huit semaines durant, du 19 mai au 16 juillet dernier, la
Biennale a proposé un programme très intense, avec au menu : des tours
guidés à travers la ville, des rencontres avec des artistes modernes, des
conférences et des concerts, le tout pour mettre les projecteurs sur l’art
contemporain et sur la relation entre l’art et la technologie.
Le titre même de
cette Biennale était très parlant : « My Rhino Is Not a Myth. Art – science
– fictions », en français : « Mon rhinocéros n’est pas un mythe. Art,
science et fictions ». Comme l’explique pour la presse roumaine Ovidiu
Șandor, président de la Fondation Art Encounters, le choix du rhinocéros n’est
pas un hasard, il renvoie à la gravure d’Albrecht Durer que personne n’a jamais
vue et à une réplique jamais énoncée dans la pièce « Les rhinocéros »
d’Eugène Ionesco. Tout cela pour marquer la transition entre le réel et
l’imaginaire, pour annoncer le visiteur qui aura droit à une immersion totale
dans un monde qui n’existe pas encore, dans la fantaisie.
Les arts numériques,
les sciences et la fiction étaient donc au rendez-vous le printemps dernier à
Timisoara, dans un programme conçu par le commissaire d’exposition suisse
Adrian Notz.
Brancusi, sources roumaines et
perspectives universelles
Sans doute le moment le plus attendu et
le plus convoité du programme Timisoara Capitale Européenne de la Culture 2023
a été l’exposition « Brancusi, sources roumaines et perspectives
universelles » .
Faire revenir Constantin Brancusi en Roumanie, c’est
l’objectif de cette exposition ouverte du 30 septembre 2023 au 28 janvier 2024
au Musée national d’Art de Timisoara.
Elle réunit pour la première fois en
Roumanie une centaine d’œuvres – sculptures, gravures, photos, documents
d’archive, articles de presse, vidéos – qui illustrent les particularités de
l’artiste roumain devenu célèbre par le fait qu’il a réussi à créer des formes
pures, libérées de toute influence. « L’exposition est un retour symbolique de
Brancusi dans son pays natal, un pays qu’il n’a jamais quitté » renchérit la
commissaire de l’exposition Doina Lemny.
Le concept de l’exposition est inédit. Le visiteur est
plongé dans l’univers unique de Brancusi, c’est une immersion totale en fait.
Dès l’entrée, on est plongé dans le noir. La seule lumière qui existe tombe sur
chacune des sculptures exposées, sur les articles affichés ou bien sur les
messages descriptifs. Rien d’autre autour pour distraire le visiteur, qui est
invité à pénétrer l’univers intime, personnel de Brancusi, de regarder de plus
près chaque création pour mieux la comprendre. On découvre d’abord les têtes
d’enfant endormi qui ont fasciné l’artiste qui a voulu surprendre la douceur,
l’innocence et la tranquillité de l’enfant qui dort, la perfection en fin de
compte. Puis, il tourne vers la naissance, puis vers les muses, les visages
féminins, un peu trop fantastiques pour son époque et uniques à ce jour. « Mademoiselle
Pogany » domine la salle des muses, en douceur. Suit la pièce consacrée au
vol, qui présente deux créations qui restent à jamais imprimées dans la mémoire
du visiteur : « Maiastra », l’oiseau-lyre de Brancusi, une
grande sculpture en cuivre poli installée sur un piédestal en pierre. Elle veille
du haut de son socle, majestueuse, brillante, imposante. Un peu sur la
diagonale, un autre chef d’œuvre de Brancusi attend le visiteur : « L’oiseau dans
l’espace ». C’est l’image sublimée du vol, que Brancusi se félicitait d’avoir
enfin trouvée.La salle suivante présente
une variante plus petite, sculptée dans un morceau unique de bois, de la
Colonne sans fin. On y remarque les traces des outils, on imagine Brancusi
travailler juste devant nos yeux. La dernière salle est un petit cinéma où
roule un film en français sur la création de l’ensemble monumental la Voie des
Héros de Târgu Jiu et notamment sur la construction de l’immense Colonne sans
Fin, sous l’œil attentif de Bracunsi lui-même. C’est la fin de l’exposition.
Une fois de plus ce projet a été possible grâce une
collaboration étroite avec quelques-uns des plus grands musées d’Europe :
Le Centre Pompidou de Paris, la Tate Gallery de Londres, la Fondation
Guggenheim, le Musée d’art national de Bucarest, le Musée d’art de Craiova et
plusieurs collections privées.
Tout cela fait de « Brancusi,
sources roumaines et perspectives universelles », l’exposition la plus
importante consacrée en Roumanie à ce grand sculpteur, ces 50 dernières années,
le moment phare de la Capitale Européenne
de la Culture 2023 et sans doute l’exposition la plus importante de
l’année 2023 en Roumanie.
Et ce n’est pas tout
Plein d’autres manifestations culturelles, artistiques et
scientifique ont figuré à l’affiche de la Capitale européenne de la Culture
2023. Les projets écolos n’y maquaient pas non plus.
« La Pépinière. 1306 plantes pour Timisoara », une installation temporaire,
avec une structure métallique modulaire qui proposait au public d’explorer la
ville depuis les hauteurs de chaque plateforme. Une invitation à avoir une
autre perspective sur les bâtiments historiques connus et à réfléchir sur les
manières de percevoir l’espace public. Histoire aussi d’ouvrir le dialogue sur
les changements climatiques, la désertification, l’absence des espaces à
l’ombre, la crise des ressources ou encore la cohabitation du patrimoine
naturel et de la ville.
La vie académique de la ville a été tout aussi
effervescente, grâce notamment aux rencontres avec 5 lauréats du Prix Nobel,
invités par l’Université de l’Ouest de Timisora. Il s’agit d’Orhan Pamuk (Nobel
de Littérature), Jean Marie Lehn (Nobel de Chimie), Jean Pierre Sauvage (Nobel
de Chimie) et Eric Maskin (Nobel d’Economie) ainsi que de la jeune Nadia Murad,
Prix Nobel de la Paix en 2018, la première femme qui a eu la force et le
courage de dévoiler au monde les atrocités commises par l’Etat Islamique.
Bien évidemment, les concerts en tout genre, les
spectacles de théâtre de rue, les festivals de théâtre, des projections de
films ou encore les manifestations culturelles marquant les 34 ans écoulés depuis
la Révolution anticommuniste roumaine n’ont pas manqué.
Timisoara a clôturé son vaste programme culturel par un
weekend de concerts, à la mi-décembre, avec comme principale invitée, la
chanteuse britannique d’origine
géorgienne, Katie Melua.
« Le rideau est tombé
sur une année pleine de magie et d’inspiration pour Timisoara, qui a brillé sous
le titre de Capitale européenne de la Culture 2023 », lit-on sur le site
officiel du programme, timisoara2023.eu
Mais cette aventure continuera, puisque
la ville souhaite perpétuer l’esprit de la Capitale, à l’infini.