Le quartier Cățelu – une expérimentation d’urbanisme et architecture à la périphérie de Bucarest
Environ 800 appartements y ont été construits, dans une première étape, sur une superficie dà peu près 6000 mètres carrés dans la seconde moitié des années 1950.
Christine Leșcu, 14.01.2024, 10:30
Installé en 1947, après l’abolition
de la monarchie, et préoccupé à transformer radicalement la société roumaine en
jetant en prison les élites de l’entre-deux-guerres, le régime communiste a
beaucoup retardé la réalisation de son objectif, affirmé haut et fort: l’amélioration
des conditions de vie des ouvriers. En 1953-1954, Bucarest s’est ainsi vu
confronter à une crise du logement.
Très peu de nouveaux ensembles d’immeubles
à étages avaient été construits pour offrir une vie décente aux nouveaux
prolétaires ramenés depuis les campagnes afin de contribuer à « la
construction du socialisme ». L’historien Andrei Răzvan Voinea explique: « En 1953, une réunion plénière du PCR (parti communiste roumain)
décide du financement de la construction de logements à Bucarest et en 1954
débute la construction d’immeubles à étages appelés « bloc/blocuri ».
Cette année-là, commencent des travaux dans les quartiers Vatra Luminoasă,
Bucureștii Noi et Piaţa Muncii. Des pâtés d’immeubles à l’architecture très
intéressante sont en chantier en 1954, mais c’est un long processus et aucun
appartement n’est inauguré. Et puis en janvier 1955, une crise plutôt
inquiétante surgit. L’hiver 54-55 aussi avait été assez rude et, du point de
vue du parti, le besoin de logements est urgent. »
C’est le début de l’histoire
de l’expérimentation ou du quartier Cățelu, à la périphérie Est de Bucarest, à
proximité de la zone rurale adjacente et de la commune homonyme.
Environ 800
appartements y ont été construits, dans une première étape, sur une superficie
d’à peu près 6000 mètres carrés dans la seconde moitié des années 1950. Mais d’où
est-elle sortie cette idée d’expérimentation? À commencer par l’extérieur des
immeubles qui rappelaient l’architecture vernaculaire rurale ou celle d’un
ancien faubourg bucarestois: des maisons à véranda, entourées de jardins et
ouvertes vers un espace commun qui encourageait l’existence d’un esprit de
vivre ensemble. Et tout est parti d’un paquet de cabanes improvisées où
logeaient les ouvriers des fabriques de cette zone-là, raconte l’historien
Andrei Răzvan Voinea: « C’étaient pratiquement des baraques
provisoires, pour loger temporairement les ouvriers bucarestois,
mais elles étaient insuffisantes. Alors, en 1955, en été, on commence à
construire à Cățelu, parce que le parti donne bien-sûr l’ordre d’ériger rapidement
des habitations minimalistes, en mesure d’accueillir beaucoup de monde pour atténuer
ainsi cette crise du logement. On choisit donc ce terrain près du boulevard
Mihai Bravu, qui avait appartenu à la Société de logements à petit prix de l’entre-deux-guerres.
Voilà le contexte d’avant juillet 1955, lorsque sont lancés le projet technique
et son exécution. »
Des logements très rapidement, préférablement aussi petits que possible et à des prix aussi bas que possible, pour y faire loger le plus grand nombre de gens.
Andrei Răzvan Voinea décrit aussi le résultat final de cette
action: « Les
communistes se présentent pratiquement complètement non préparés, c’est la
vérité. Ils ne savent pas du
tout quel visage donner à cette ville socialiste nouvelle qu’ils entendent
construire. Ils n’ont la moindre idée parce qu’ils ne bénéficient pas des
services de l’avant-garde architecturale et artistique roumaine des années 1930-1940,
qui était à coup sûr de gauche, sans pour autant être acquise au parti. Dans ce
contexte, les influences arrivent directement de Moscou et c’est comme ça que
naissent ces pâtés de maisons. En outre, d’autres expérimentations fonctionnalistes
sont menées dans les quartiers Rahova et Ferentari également dans les années
1950, on construit les immeubles à étages du périmètre Piaţa Muncii, avec des
blocs plus élaborés et quelque peu différents. Et on arrive ainsi à l’expérimentation
Cățelu, dont l’architecte chef du projet est Tiberiu Niga, un des grands architectes
roumains, auteur de projets extraordinaires dans les années 30-40. (…) Il
reçoit la commande de la part du parti: « nous voulons des logements très
rapidement, préférablement aussi petits que possible et à des prix aussi bas
que possible, pour y faire loger le plus grand nombre de gens. » (…) Alors
Niga propose cette habitation vernaculaire rurale, avec une pièce principale et
une salle, comme on les appelait dans l’architecture traditionnelle roumaine.
On improvise énormément afin de compenser le manque de matériaux. L’espace
habitable est d’environ 30 à 40 mètres carrés. Il y a ensuite la véranda et ces
espaces publics extraordinaires. Les gens habitaient pratiquement dans un 30
mètres carrés, mais, en sortant, ils ont cette terrasse que tout le monde
utilise pour y laisser le vélo, la poussette pour les enfants, les conserves
fait-maison, une table, des chaises et ainsi de suite. Et il y aussi cet
immense espace de verdure, un jardin en fait. »
Ces
appartements ne
correspondaient aucunement aux normes de logement décent.
Mais les communistes
savaient parfaitement que les ouvriers qui allaient les occupaient venaient des
campagnes où les conditions de vie étaient bien pires, explique l’historien
Andrei Răzvan Voinea: « Les appartements ont une superficie
de 30 et quelques mètres carrés, pratiquement un studio habité par une famille
avec enfants. Y entasser 3 ou 4 personnes
n’est pas chose facile, mais, encore une fois, il ne faut pas oublier le
contexte. On parle d’ouvriers qui habitaient à, la périphérie de la ville, dans
des conditions pires que celles-là. Tant bien que mal, à Cățelu il y avait l’électricité,
l’eau chaude, le réfrigérateur, tout ce confort moderne. En plus, on y avait
aussi construit un tas de restaurants, de petits magasins, de librairies … Cățelu
ne veut pas dire uniquement les habitations, cela veut dire également école, car
on y a construit deux établissements scolaires et une maternelle, verdure et
proximité avec l’emploi. Des choses que ces gens n’avaient pas auparavant. »
Avec le temps, d’autres quartiers de
barres d’immeubles à étages ont été construits autour du quartier Cățelu, au
fur et à mesure que le régime communiste systématisait et modifiait l’infrastructure
et la structure sociale de la ville. Mais les maisons imaginées par l’architecte
Tiberiu Niga pour créer un pont vers le monde rural dont étaient issus les
ouvriers de l’époque sont toujours debout. (Trad. Ileana Ţăroi)