« Arsenie. La vie dans l’au-delà», un documentaire controversé
Sa première internationale a eu lieu à Karlovy Vary, où le film a été inclus dans la compétition « Proxima » de la 57e édition de cette prestigieuse manifestation
Corina Sabău, 14.10.2023, 11:54
Le long métrage « Arsenie. La vie dans l’au-delà » est
un documentaire du type road movie (qui fait voyager) écrit et réalisé par Alexandru
Solomon, inspiré de la vie du moine Arsenie Boca et du culte qui s’est créé autour
de sa personne.
Sa première internationale a eu lieu à Karlovy Vary, où le
film a été inclus dans la compétition « Proxima » de la 57e
édition de cette prestigieuse manifestation. On le retrouve également à l’affiche
de la sélection nationale du festival Astra Film prévu du 15 au 22 octobre à Sibiu
(centre).
Le film vient d’être projeté dans les salles de Roumanie.
Les réactions n’ont pas tardé et ont été des plus controversées. Si bien que deux
institutions publiques ont refusé de projeter le film d’Alexandru Solomon, alors
que l’Archevêché de Sibiu est allé jusqu’à demander aux organisateurs du
Festival Astra Film de Sibiu de l’interdire. La réponse des organisateurs a été
ferme : « Ce film documentaire
a cette qualité unique : il ramène devant le public des questions et des
débats réels pour les gens, il expose et propose aux spectateurs d’approcher
tout sujet de plusieurs perspectives. Un film documentaire porte l’empreinte
des valeurs partagées par ses réalisateurs et souvent il touche à des sujets très
sensibles face auxquels le public peut avoir des réactions très différentes. Ce
qui est un avantage. Nous souhaitons tous avoir une société ouverte, avec des
gens libres de tous les points de vue ».
Mais, au fait, d’où viennent ces controverses ? Pour
le comprendre, il faut d’abord connaître le sujet du film. Eh bien, Alexandru
Solomon suit les traces d’Arsenie Boca, un moine persécuté par le régime communiste.
En fait, Arsenie Boca était un hiéromoine, c’est-à-dire un moine qui, à la
demande de son supérieur, a été ordonné prêtre. Le documentaire nous emmène sur
ses traces. Les pèlerins et le réalisateur recréent les supposés miracles
réalisés par Arsenie Boca. C’est au travers des yeux des fidèles, suivis par un
réalisateur plutôt sceptique, que le film tente de montrer comment l’image de
ce moine qui sera canonisé, se reflète dans la société roumaine. C’est un véritable
phénomène, affirme Alexandru Solomon :
« A mon avis, le phénomène Arsenie Boca
en dit long sur la manière dont la société roumaine fonctionne en ce moment. C’est
bien un phénomène, une construction qui est née sous nos yeux ces 30 dernières
années. Ce qui est aussi intéressant, c’est que très peu de moines ou saints ont
bénéficié d’une telle envergure, d’une telle popularité, au 21e siècle.
Je pense notamment au fait que ce culte n’a cessé de prendre de l’ampleur après
la mort d’Arsenie Boca, en 1989. Mon film a justement pris cette direction. Je l’ai
déjà dit, mon film n’est pas et ne se propose pas d’être une biographie d’Arsenie
Boca, même s’il reconstitue quelques moments de sa vie. C’est la raison pour
laquelle j’ai opté pour une formule qui est à la limite de la fiction. Puisque
ce culte réunit une série de couches de fiction, de légendes qui se superposent
aux faits réels. En fait, on n’arrive plus à faire la différence entre ce l’invention
et le fait historique. Alors je me suis également intéressé à cet aspect, à ce
processus de fiction qui se tisse autour d’un personnage réel et à la manière
dont, en fin de compte, la légende éclipse l’histoire. »
Selon Alexandru Solomon, pour de nombreux Roumains, la
légende du moine Arsenie Boca remplit le vide laissé par les désillusions de ces
dernières décennies. En fait, son film veut montrer ce que ce culte dit de la
société roumaine, qui a construit une figure très populaire qui lui offre de l’espoir
et de la compassion par ces temps difficiles. Alexandru Solomon poursuit :
« Au-delà de l’influence de l’Eglise Orthodoxe
sur toutes nos vies, j’ai voulu comprendre le fondement populaire de ce type de
culte, de cette pensée magique, en fin de compte, qui se sépare de la tradition
européenne fondée sur le rationnel. Car il s’agit d’un phénomène qui n’est pas
local, ni propre à la Roumanie. A regarder dans le monde, on voit partout une
sorte de retour à la pensée magique, qui se manifeste par exemple dans les théories
conspirationnistes d’Amérique, de Turquie ou de Pologne. Quant à la Roumanie,
ici, je trouve qu’il existe un profond sentiment d’abandon social, ressenti par
de larges pans de la société, qui se réfugient dans la foi. La confusion que je
dénonce à la fin de mon film porte sur mon constat que l’on a beau confronter
les légendes et les faits historiques, la pensée magique et la raison, il y
aura toujours un mur insurmontable séparant les deux. Et pour cause. Les gens écoutent
les arguments rationnels, ils lisent des textes sur les faits, mais en fin de compte
cela ne change pas leurs convictions. C’est quelque chose que j’ai compris en
réalisant ce film. Et donc, je respecte la foi des gens, qui est intouchable. A
mon avis, c’est leur droit de croire. Si cela les aide, alors très bien. Mais
mon film s’interroge sur ce qui ce passe si cette foi est spéculée. Moi, j’explore
le moment où cette foi devient une source de manipulation commerciale, financière,
politique même, et devient la norme imposée aux autres. »
Autant de questions auxquelles le film « Arsenie. La
vie dans l’au-delà » d’Alexandru Solomon tente de répondre. Une chose est
sûre, tout sujet lié à la religion suscite toujours des controverses, notamment
dans un pays très croyant, comme la Roumanie. Et ce documentaire n’y fait pas
exception. (Trad. Valentina Beleavski)