La guerre de l’information toujours plus sophistiquée
Le temps de la guerre menée sur les seuls champs de bataille est depuis longtemps révolu.
Corina Cristea, 19.07.2024, 09:32
La période électorale qui approche, surtout dans le contexte de la guerre
qui fait toujours rage à nos frontières, doit nous faire prendre des mesures
adéquates pour palier à toutes éventualités, a récemment précisé sur les ondes
de Radio Roumanie Iulian Chifu, professeur des universités et expert en
sécurité et relations internationales.
Guerre de l’information, guerre psychologique, guerre hybride
Car le temps de la guerre menée sur les seuls champs de bataille est
depuis longtemps révolu. La guerre de l’information, la guerre psychologique,
la guerre hybride font aujourd’hui partie intégrante des moyens déployés sans
retenue par toutes les parties d’un conflit.
« La guerre de l’information
entend produire des réalités alternatives en faisant fi des réalités
objectives, en pervertissant la vérité, en utilisant un mix de demi-vérités et de
faux semblants aux allures de vérité, en truffant le message des syllogismes et
des sophismes, et en utilisant les outils de la propagande pour accréditer des
contre-vérités dans l’esprit des gens », expliquait le professeur Chifu
dans une récente tribune publiée dans le quotidien Adevarul.
L’objectif
principal de la guerre de l’information est d’altérer, d’influer, sinon de
contrôler la décision de l’adversaire en matière de politique étrangère, de
politique de sécurité et de défense, en utilisant des schémas narratifs voués à
saper la confiance, accréditer des contre-vérités censées s’introduire dans
l’inconscient collectif, pour fragiliser l’adversaire, pour le manipuler et le
désinformer.
Sommes-nous préparés?
Dans quelle mesure s’avère la société roumaine capable de faire
face aux moyens déployés par la guerre ide l’information ? Voici l’avis
éclairé du professeur Iulian Chifu :
« Nous avons récemment
testé si l’on peut dire la résilience du public face aux infox, face à la
désinformation. Et si je me permettrais de brosser le portrait du Roumain moyen
de ce point de vue je dirais qu’il réagit plutôt bien, il s’avère relativement
méfiant, voire suspicieux devant une information livrée à l’improviste. Il
regarde à deux fois l’origine du message, il se pose des questions au sujet de
son contenu. Mais là l’on parle d’une moyenne. Car si l’on regarde de près le
paysage média roumain actuel, l’on se rende facilement compte qu’on a devant soi
deux types de public. Car il existe aussi un public prêt à croire dur comme fer
le mensonge le plus éhonté. Ensuite, ne nous laissons pas berner par les
apparences, car même le public ou l’individu le mieux averti peut tomber
victime, dans certaines conditions, d’une infox. Et là l’effet est terrible.
Car ce dernier bénéficie aux yeux des autres d’un degré de crédibilité bien
supérieur à la moyenne. Et alors une infox adoptée et retransmise par un
émetteur crédible risque d’être prise pour de l’argent comptant. Parce que le
volume d’information auquel chacun de nous se voit confronté au quotidien est
tel qu’il devient impossible de vérifier jusqu’au bout chaque bout
d’information qui nous tombe sous les yeux. Et alors l’on se fie volontiers aux
infos transmises par une source crédible. »
La guerre de l’information se déroule sur trois
paliers.
Selon Iulian Chifu, il s’agirait tout d’abord de tenter d’altérer l’espace public de
l’adversaire, en comprenant en cela l’espace média, internet, les médias
sociaux, en usant pour cela d’un mix de propagande, de manipulation, de
désinformation, difficilement décelable.
Au deuxième palier de l’opération l’on
retrouve les actions qui relèvent des relations publiques. Des personnalités
qui disposent d’un certain degré de confiance sont embrigadées, afin d’influer
la décision politique à travers des thèses qu’ils véhiculent dans l’espace public.
Au troisième palier l’on retrouve des opérations élaborées de manipulation psychologique,
censées produire une certaine réponse au sein du public visé. Il peut s’agir de
provoquer ou d’accentuer des peurs ancestrales ou subliminales, créer une émotion
collective, soit rendre le public cible prêt à réagir de la manière désirée
face à une situation donnée, face à un événement censé surgir ultérieurement.
Mais où en sommes-nous dans cette guerre de l’information ?
Le professeur Iulian Chifu explique:
« La technique de la guerre de l’information a été raffinée au fil du
temps. Si lors de ses premières phases cette guerre ciblait des groupes
entiers, à l’heure actuelle elle cible des individus selon leurs préférences,
en prenant en considération leur profil psychologique. Lors des deux dernières
générations de la guerre de l’information l’on se rapporte à la structure des
valeurs de l’individu et à l’ensemble des processus mentaux qui se rapportent à
la fonction de connaissance. Lors de l’avant-dernière étape, la 5e,
de la guerre de l’information, l’on était parvenu à faire douter la cible des
informations que lui fournissaient ses propres sens : l’ouïe, la vue, par
exemple. L’individu arrive à mettre en doute la perception de la réalité
fournie par ses propres sens. La dernière génération, la 6e, vise le
piratage des esprits, soit entrer dans le processus de cognition de la cible,
l’altérer, la diriger, la manipuler à sa guise. La cible est l’individu. Cette
6e génération technologique de la guerre de l’information n’est
encore formulée que de manière théorique. Personne n’y est encore parvenu.
Vladimir Poutine avait demandé à ses services de renseignement début 2022 de
plancher là-dessus. Le professeur israélien Yuval Harari prétend qu’une telle
arme existerait déjà. Mais à l’heure qu’il est, personne n’en détient la
preuve. Il n’en est pas moins vrai que l’arsenal dont la guerre de
l’information ne cesse de se doter devient de plus en plus étoffé et
sophistiqué, et qu’il devient à l’individu isolé de plus en plus difficile de
s’y prémunir efficacement ».
Comme dans toute guerre pourtant des contre-mesures existent, nous assure
pour sa part Iulian Chifu, en précisant que les services de renseignement
roumains s’avèrent loin d’être inactifs face à ce type de menace.
(Trad. Ionut Jugureanu)