L’insertion sociale des personnes vulnérables
Les personnes vulnérables sont également en proie à une santé précaire.
Christine Leșcu, 22.11.2023, 00:35
Les entreprises sociales, actives depuis de nombreuses
années déjà en Roumanie, se révèlent extrêmement utiles pour l’insertion
sociale des personnes vulnérables. Par exemple, l’association Ateliers sans
frontière, recrute par le biais de ses entreprises sociales, en CDD et au
SMIC, des personnes qui peinent à trouver du travail par ailleurs : des SDF,
des mères célibataires victimes de violences domestiques, d’anciens détenus et
des personnes qui cherchent à sortir de leur dépendance. Certains bénéficient
également de conseils et de cours de requalification afin de se préparer à
réintégrer le marché du travail et à vivre de manière autonome.
Qui sont ces
personnes? Ateliers sans frontière offre une réponse complexe et détaillée à
cette question dans une étude récemment réalisée que nous présente Claudia
Petrescu, sociologue à l’Institut de recherche sur la qualité de la vie. Nous
avons regardé le niveau d’éducation de ces personnes. Quand elles s’expriment
sur leur vulnérabilité, elles font toujours référence au même niveau
d’éducation. 28% de l’échantillon des personnes étudiées n’ont pas dépassé le
niveau collège, n’ont même pas fini le collège en fait. Concernant les revenus,
39% des personnes les tirent de leur salaire, ce qui est très gratifiant. Mais
25% de ces revenus proviennent des entreprises d’insertion ou d’emplois
protégés, ce qui est beaucoup. Seul 14% travaillent pour d’autres types
d’employeurs, hors dispositifs spéciaux. 55% n’ont pas de revenus constants ou
pas du tout de revenu. Si on se penche sur les difficultés auxquelles les
personnes questionnées se heurtent, c’est l’absence d’un lieu de travail qui
est en tête. Elles sont 40% à l’affirmer. Suivent les problèmes de santé, 34%
et l’absence d’un logement, 13%. En quatrième place, on retrouve les
difficultés liées aux enfants. Elles sont nombreuses car nous avons beaucoup de
femmes victimes de violence. Et nous avons beaucoup de femmes qui n’ont
nulle part où laisser leur enfant pendant qu’elles travaillent huit heures de
suite. Parmi ceux ayant déclaré que l’absence d’emploi était leur principal
problème, 22% ont abandonné l’école à la fin du collège. C’est pour cette
raison que nous disons que le niveau d’éducation est important pour (comprendre
la situation de ) ces personnes.
Les personnes vulnérables sont également en proie à une
santé précaire.
Il n’est pas question ici de handicap, les personnes en
situation de handicap n’entrent pas dans cette catégorie, mais de maladies
chroniques. Dans ce cas, ce ne sont pas que les chances d’être recruté qui
baissent, mais aussi la possibilité de garder son emploi dans un contexte où
l’état de santé ne permet pas un effort prolongé. C’est pourquoi les
entreprises sociales aident ces personnes à se maintenir en poste. Claudia
Petrescu: Il est très important de comprendre
qu’il ne suffit pas de leur offrir un travail, il faut aussi apporter le soutien
nécessaire pour qu’elles puissent se maintenir en poste. Ce n’est pas facile.
Ce sont des personnes qui manquent d’éducation, des personnes qui ont réussi
par le biais d’entreprises sociales à obtenir une formation professionnelle
etc. Mais ce n’est pas la seule chose qui importe. La partie liée au suivi
occupe une place centrale dans ces entreprises sociales d’insertion. Les
professionnels du secteur savent le temps qu’il faut pour informer et conseiller
correctement les personnes vulnérables. Parfois, un des employés ne vient pas
travailler, on ne sait pas pourquoi et les accompagnateurs essayent de le
chercher, de savoir où il est et ce dont il a besoin afin de réussir à le
maintenir à son poste. Mais ce besoin de suivi et de soutien varie d’une
personne à l’autre, pour certains cette période dure un mois, pour d’autres un
an… ou deux, jusqu’à ce qu’ils puissent trouver du travail hors milieu
protégé.
Le marché du travail est en manque de main d’œuvre
C’est ce que révèle une étude réalisée par la Confédération patronale Concordia. Son
directeur exécutif, Radu Bumete, nous apporte des éclairages: Comme nous sommes nombreux à le
noter, bien que nous ne soyons plus un pays pauvre, nous en avons parfois
encore l’air. Et c’est le problème. Mais pourquoi dit-on que la Roumanie est un
pays pauvre? Nous avons la 10e économie d’Europe. Nous avons dépassé la République
Tchèque, la Finlande, le Portugal, la Grèce. Juste devant nous se trouvent le
Danemark et l’Autriche. Je ne parle pas de revenu par habitant, mais de
l’économie roumaine dans son ensemble. Nous avons aussi du capital, du capital
autochtone. Il y a beaucoup d’argent en Roumanie et aussi des investissements
étrangers. Donc il y a de l’argent, il y a de la technologie. Nous produisons aussi
beaucoup de choses extraordinaires en Roumanie. Mais nous avons un problème
concernant le nombre de travailleurs, il n’y a pas assez de monde pour faire
tourner cette économie florissante. Si nous gardons la trajectoire actuelle,
nous n’arriverons pas là où nous souhaitons arriver, parce que nous manquons de
personnes.
Que disent les statistiques sur cette pénurie de main
d’oeuvre? Où sont donc passés ceux qui devraient faire tourner l’économie roumaine?
Beaucoup sont à l’étranger, mais Radu Bumete avance une autre explication: Selon l’Institut national de
Statistique, en 2020-2021, il y a avait en Roumanie 12 millions de personnes
aptes au travail, âgées entre 15 et 64 ans. Sur ces 12 millions, environ 8
millions travaillent. Elles sont actives, font quelque chose et touchent un
salaire. Mais nous avons aussi 4 millions de personnes qui sont totalement
absentes du marché du travail bien qu’elles aient l’âge de travailler. Elles
pourraient théoriquement travailler, mais elles ne le font pas. Ce qui fait que
le nombre de personnes travaillant soit bien moins élevé en Roumanie que dans
d’autres pays de la région. Et on devrait s’interroger sur cette situation
parce qu’une partie de ces 4 millions de personnes sont de toute évidence des
personnes vulnérables.
Il reste donc beaucoup à faire pour améliorer la
situation des personnes vulnérables quand et si elles parviennent à sortir des
dispositifs d’aide offerts par les entreprises sociales. (Clémence Lheureux)