Enseigner les sciences dans les écoles de Roumanie
Les travaux pratiquent manquent ce qui impacte sur l'intérêt des enfants roumains pour les sciences
Christine Leșcu, 18.10.2023, 11:47
Si les disparités socio-économiques entre les différentes régions de Roumanie est une réalité bien connue, on commence à parler aujourd’hui d’un autre clivage, qui peut être lié au premier, celui de l’accès à l’éducation. Une étude réalisée récemment par la revue Newsweek montre que malgré le fait que la Roumanie soit le pays européen le mieux classé en 2022 en termes de nombre de médailles obtenues par des élèves aux olympiades scolaires internationales, les résultats des tests du Programme pour l’évaluation Internationale des élèves, le PISA, sont particulièrement mauvais puisque la Roumanie arrive avant dernière au classement européen. C’est sur les résultats de ces tests PISA que se mesure habituellement le niveau d’analphabétisme fonctionnel. En Roumanie, plus de 40% des élèves de moins de 15 ans sont considérés analphabètes fonctionnels, cette classification inclut la capacité à comprendre un texte mais aussi l’utilisation des connaissances scientifiques. L’enseignement des sciences dans le secondaire est justement une thématique qui a été débattue dans le cadre du Bucharest Science Festival qui vient de s’achever. Des professeurs d’Université et des lycéens ont pu échanger au cours de nombreux ateliers pratiques.
Parmi eux se trouvait Cristina Todașcă, vice-doyenne de la Faculté d’ingénierie Chimie et Biotechnologie de l’Ecole polytechnique, qui a observé certaines particularités chez la génération récente d’étudiants ayant choisi d’étudier à Polytechnique.
Les travaux pratiques manquent considérablement avant l’entrée à l’Université. On ne fait plus beaucoup d’expérience, ni en chimie ni en physique. On ne peut pas comprendre des concepts abstraits juste en suivant un cours déroulé à la craie au tableau. Si on mettait l’accent sur la partie expérimentale, surtout dans les premières années d’école, les concepts seraient plus facilement compréhensibles pour les enfants. Ce serait plus facile pour eux s’ils pouvaient voir comment ça fonctionne. Les enfants qui sont confrontés régulièrement à la science, dès le primaire, apprennent beaucoup plus facilement plus tard les mathématiques, la physique, l’informatique et la biologie. Tout ça demande un certain niveau d’imagination pour comprendre ce qui se passe par exemple au niveau de l’atome. Et donc, pour comprendre ce qu’il s’y passe, il faut imaginer, voir les effets des théories et comprendre l’utilité des concepts. Ainsi les choses deviennent beaucoup plus simples et faciles à comprendre pour les jeunes.
Le besoin de travaux pratiques ou de généralisation des expériences en laboratoires à l’école et au lycée est un sujet très discuté, pour l’instant sans résultat. Par ailleurs, la pratique scientifique devrait être accompagnée d’une réflexion philosophique, afin que les élèves développent les processus mentaux qui mènent à l’approfondissement des connaissances scientifiques. La philosophie et les sciences devraient être enseignées de manière complémentaire et adaptée à l’âge des élèves.
C’est ce qu’affirme Emilian Mihailov, maître de conférences à la Faculté de philosophie de l’Université de Bucarest quand on lui demande à quel âge on devrait commencer à enseigner les sciences et la philosophie.
Je pense que c’est une très bonne question, de se demander à quel âge on doit commencer à étudier ces matières. La réponse nous montre à quel point l’éducation philosophique et l’éducation scientifique sont proches. A l’origine, c’était la même chose, l’éducation scientifique faisait partie de l’éducation philosophique. Mais pourquoi était-ce la même chose ? Pourquoi allaient-elles ensemble ? Parce que la philosophie naît du sentiment d’étonnement. Et c’est de cet étonnement que naît aussi la science. C’est pourquoi je pense que l’éducation scientifique philosophique devrait intervenir dès l’enfance. Les enfants illustrent par excellence l’étonnement. Moi je préconiserais qu’on commence dès le primaire. Ce qui voudrait dire que nous, à l’école primaire, nous pourrions cultiver ces pratiques éducatives qui explorent la fascination des humains, pas la mémoire. Je ne dis pas que la mémoire n’est pas importante, elle est extrêmement importante, l’esprit se développe à travers elle, c’est-à-dire à travers la mémoire des informations. Mais, en plus de la mémoire, nous devrions explorer ce qui fascine les enfants.
Et de curiosité, d’imagination, les enfants n’en manquent pas. La preuve en est qu’ils sont capables de briller dans une discipline rarement enseignée au lycée, l’astronomie. Cristian Chițu, le directeur de la société GMV Romania qui travaille en lien direct avec l’Agence spatiale européenne, a observé ce phénomène, il nous raconte.
Je commencerais en disant qu’il est intéressant que la Roumanie remporte des médailles aux olympiades internationales d’astronomie et d’astrophysique alors que ces matières ne sont pas enseignées au lycée. Cet enseignement est délivré de manière bénévole par des professeurs au sein de centres dédiés du type « club des élèves ». Mais même comme ça, nous réussissons à obtenir des résultats et à surprendre tout le monde. Moi-même je suis surpris, mais je ne pense pas pour autant que ces matières devraient devenir obligatoires à l’école. Peut-être qu’il faudrait un tronc commun avec des matières obligatoires et un ensemble d’option comme l’astronomie ou l’astrophysique, peu importe le nom qu’on lui donne. Parce que notre problème à l’heure actuelle c’est que tout le monde sort de l’école programmé par les mêmes matières.
Mais comment faire avec la majorité des élèves, qui sans être particulièrement intéressés par l’astronomie ou une autre matière scientifique, ont besoin d’acquérir des bases scientifiques pour leur vie future ? Cristian Chițu essaie de déplacer le problème.
On ne peut pas enseigner par la force. C’est démontré. Si quelqu’un ne veut pas apprendre un métier, il ne l’apprend pas. Mais peut-être que le problème ne vient pas des élèves qui, peut-être, ne sont pas intéressés, mais qu’il vient de nous, les autres, ceux qui ne parviennent pas à éveiller l’intérêt de ces jeunes ou au moins à les amener à formuler quelques questions de base. Par exemple, combien de planètes composent le système solaire ? Je suis sûr que si on pose cette question, on reçoit plein de réponses différentes. En fin de compte on vit toujours à une époque où certains croient que la terre est plate.
Ainsi, le développement de l’expérimentation scientifique, une réflexion sur les concepts scientifiques de base et la stimulation de la curiosité naturelle des touts petits constituent tout autant de perspectives pour tenter de lutter contre le décalage actuel, entre une élite qui remporte des concours internationaux et un groupe toujours plus fourni d’élèves condamnés à l’analphabétisme fonctionnel. (Trad. Clémence Lhereux)