Allemands et Soviétiques dans la Roumanie à l’époque de la Seconde Guerre mondiale
La Roumanie, à l'instar des autres nations d'Europe centrale et de l'Est, a subi l'occupation allemande d'abord, l'occupation soviétique ensuite, lorsque le vent a tourné.
Steliu Lambru, 19.02.2024, 11:11
Si les guerres demeurent par
définition les pires moments de l’histoire de l’humanité, la Deuxième Guerre
mondiale s’est démarquée entre toutes par les formes extrêmes de barbarie qu’elle
avait promu, notamment à l’encontre des populations civiles. Le droit
international, refondé après la guerre, a tenté de rendre cette barbarie
désormais impossible. Malgré tout, et même en prenant en considération les
dispositifs légaux en vigueur à l’époque, bon nombre des crimes de guerre et
des crimes contre l’humanité commis pendant cette guerre sont demeurés impunis.
La mémoire collective des nations occupées a été durablement marquée par la
foule d’abus et d’exactions, par l’ampleur des souffrances qu’elles ont eu à
subir dans l’intervalle.
La Roumanie, à l’instar des autres
nations d’Europe centrale et de l’Est, a subi l’occupation allemande d’abord,
l’occupation soviétique ensuite, lorsque le vent a tourné. Et à l’instar des
autres nations, les Roumains n’ont pas davantage pu s’empêcher de comparer les
deux régimes d’occupation. Et si les souvenirs des contemporains, les documents
d’archives font état d’une occupation allemande clémente voire amicale à
certains égards, l’occupation soviétique a laissé une marque indélébile, le
souvenir d’une sauvagerie irrationnelle, agressive, souvent gratuite. Le Centre
d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine a recueilli les témoignages des
ceux qui ont connu, pour les avoir subis, les deux régimes d’occupation.
Petre Radu Damian, assistant médical en
1939, racontait 60 années plus tard, en 1999, son sentiment à la vue des unités
allemandes de transmission accompagnés d’une unité médicale, des troupes qu’il
croisa à Câmpina, et qui l’avaient bluffées par leur organisation et la
technologie dont elles disposaient :
« Nous nous sommes rencontrés devant notre unité,
où il y avait le colonel qui commandait l’unité motorisée allemande. Ils nous
avaient reçu en amis. Je me suis rapidement lié d’amitié avec un médecin
allemand originaire du Banat, cette région de Transylvanie qui avait intégré la
Roumanie après la Première Guerre mondiale. Un capitaine dirigeait l’unité
médicale allemande. On a bien collaboré. Ils utilisaient déjà les résultats des
analyses avant de poser un diagnostic. »
Aristide Ionescu, commerçant de son état, se rappelait
avec nostalgie, dans l’interview qu’il donna en 2000, de la manière dont les
Allemands qui logeaient dans la maison de ses parents du département de Vâlcea
s’étaient comportés :
« L’on était en 1940. Les Allemands préparaient
leur offensive en Russie. Chez nous ils avaient été logés dans les bâtiments de
l’école communale, dans des barraques spécialement conçues à cet effet. Ils
étaient très corrects, ils payaient toujours ce qu’ils prenaient chez les
paysans. Ils avaient établi leur commandement chez nous, dans la maison de mes
parents, et plus précisément dans la pièce qui faisait office de bibliothèque.
A côté de cette pièce, il y avait deux chambres à coucher. La première était la
mienne, dans l’autre s’était installé le commandant allemand. Il nous faisait
confiance, tenez il ne fermait jamais la porte à clé. Depuis lors, je fis de
même. Et puis, une nuit, ils avaient reçu l’ordre de départ et nous ont quitté
à la hâte. Le lendemain matin, une moto s’arrête devant notre porte. Et le mec
descend et, nous adressant la parole en français, nous tend un petit coussin
que le commandant avait emporté par mégarde dans ses bagages. »
Le vent tourne pourtant et, en 1944, il est temps à ce
que les Soviétiques remplacent les Allemands. Une tout autre paire de manches. Petre
Radu Damian :
« Les Russes venaient
souvent en bande, plus rarement isolés. Ils arrivent aussi dans notre rue. Et
puis, l’un d’eux, juché sur un cheval probablement volé, avec une sorte de
guitare autour du cou, me fait signe d’attraper deux oies, qu’il attacha par
les pieds et voulait me les faire porter là où son peloton avait élu domicile. Notre
chien est devenu agressif et ni une ni deux il sort sa balalaïka et la lance
sur le chien. Il était complètement bourré le mec. Ils étaient tous bourrés
tout le temps. Ils cherchaient les tonneaux et tiraient à coups de fusil dans
les tonneaux remplis de vin. C’étaient des méchants. »
Mais bien plus graves que l’attitude et les vols dont
s’étaient rendues coupables les troupes soviétiques, il y avait les crimes et
les viols. Aristide Ionescu se rappelait dans son interview conservée par le
Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine d’un tel viol perpétré
par les militaires soviétiques. Ecoutons-le :
« C’est le 20 septembre 1944 que les Russes
arrivent dans notre commune. Trois Russes, dotés de fusils-mitrailleurs. Ils
enfoncent la porte de la première maison, il s’agissait de la maison de notre
filleul, un dénommé Trican. Il les a fait manger, leur a donné à boire, ils se
sont soulé la gueule. Et puis le soir, complètement ivres, ils ont violé
l’ancêtre de la famille, une dame de plus de 60 ans, seule femme qui était
demeurée à la maison. »
Le comportement des troupes soviétiques d’occupation
hantera pour longtemps la mémoire de ceux qui les avaient croisées. (Trad.
Ionut Jugureanu)