Les enfants, victimes de la guerre
L'histoire de la Roumanie ne fait pas exception, les enfants roumains payant un lourd tribut durant les années sombres.
Steliu Lambru, 12.02.2024, 10:58
Le 20e siècle, tant marqué
par les régimes totalitaires, les guerres, les génocides, les déplacements
forcés de populations, par des pandémies et des catastrophes naturelles, a constitué
une période tragique pour des dizaines sinon des centaines de millions d’individus.
Une catégorie de victimes sort toutefois du lot : les moins capables de se
défendre, les plus fragiles, les enfants. L’histoire de la Roumanie ne fait pas
exception, les enfants roumains payant un lourd tribut durant les années
sombres.
Le Centre d’histoire
orale de la Radiodiffusion roumaine a recueilli au fil des ans les témoignages
bouleversants de certaines victimes. Dans le Nord de la Transylvanie, cette
partie détachée de la Roumanie et occupée par la Hongrie après 1940, la solution
finale est déclenchée au mois de mai 1944, après l’occupation de la Hongrie par
les Allemands. Dans une interview enregistrée en 1997, Grigore Balea, prêtre
gréco-catholique, se rappelle la déportation des juifs de Transylvanie vers les
camps de la mort dans des wagons de marchandise. Alors qu’il n’était qu’un
jeune enfant, il se souvient de la tentative de sa mère d’apporter un seau d’eau
pour soulager la soif d’une famille juive avec 9 enfants, qui attendait depuis
des jours d’embarquer dans ces trains : « L’un des soldats magyars a observé le manège,
il s’en est approché, et a frappé ma mère d’un coup de poing à l’arrière de la
tête. Mais je n’oublierai jamais la douleur de ma mère, pas tant la douleur que
lui a provoquée ce coup, que la douleur d’assister à cette déportation en masse
des familles entières vers une destination que l’on devinait tragique. Sur les
quais de la gare de Viseu, les enfants étaient arrachés aux mères, ils étaient
séparés. Ni moi, ni ma mère n’y avons assisté, mais on l’avait appris par la
suite. Les enfants, les mères criaient et pleuraient. C’était déchirant. »
Ileana Covaci, originaire de la commune de Moisei, ce lieu
du massacre où 29 Roumains et 2 juifs ont trouvé la mort le 14 octobre 1944, se
souvient de sa déportation en Autriche, pour les besoins d’une prétendue
enquête pénale. Ileana Covaci : « Les
gendarmes magyars sont arrivés en pleine nuit. Moi et ma sœur cadette étions
enfants, et dormions. Ils nous ont réveillés, et ils nous ont mené à la mairie.
Nos parents aussi. C’est dans ses locaux qu’on dut rester jusqu’au matin,
enfermées à clé. Nous pleurions, alors que personne ne nous disait rien. Enfin,
le matin ils nous disent qu’ils vont nous amener en Autriche pour trois mois.
Il s’agissait apparemment d’une histoire de vol, dont on ignorait tout. »
Ana Darie, originaire
de Săliștea de Sus, dans le Maramureș, racontait les souffrances de ses filles,
provoquées par l’appartenance supposée de son mari, leur père, aux groupes qui
faisaient barrage aux communistes, dont le régime de dictature commence à
montrer son vrai visage à partir du 6 mars 1945 : « Mes
filles ont été exmatriculées. Une seule a pu continuer de suivre les cours de l’école.
Mais l’une de celles qui avaient été jetées dehors a eu la chance de rencontrer
une dame à grand cœur, professeur de roumain à Baia Mare. C’est elle qui l’a
aidée. Puis elle a pu réintégrer l’école, aller au lycée. Le proviseur l’y a
aidé, alors que les mecs du conseil populaire ne voulaient rien entendre. Mais
elle a finalement eu son bac. »
Condamné
par le régime communiste à 13 années de prison politique, peine qu’il exécutera
dans le terrible pénitentiaire d’Aïud, Sima Dimcica laissait à la maison trois enfants mineurs.Ecoutons
le témoignage de Sima Dimcică : « Vous
savez, lorsque l’on m’avait arrêté, mon benjamin venait d’avoir 6 mois, le
cadet 3 ans, et l’aîné 5 et demi. Lorsque je suis rentré à la maison, ce dernier
avait presque 20 ans, le cadet 16, mon benjamin 14. J’avais honte. J’avais
honte de les avoir abandonnés. Et ils avaient honte de moi. Et le jour où je
rentre, je les vois et leur demande d’emblée : « Où est maman ? ».
« A Aïud », répondent-ils. Ces salauds de communistes l’avaient fait
venir au pénitentiaire, où ils m’avaient volé 13 années de ma vie, ce jour
précis, alors que le matin même j’avais été libéré. Ils l’avaient faite venir exprès,
sans raison précise, juste pour la terroriser. Je n’ai pas fermé l’œil de la
nuit. Je me demandais ce qui lui était arrivée. Mais c’étaient juste des
tracas, des chicanes. Ils passaient maîtres à ce jeu-là ».
Ion Preda avait
fait partie du groupe de partisans anticommunistes dirigé par Toma Arnăuțoiu. Embastillé,
libéré finalement, mais persécuté jusqu’à la fin du régime communiste, il
faisait dans une interview donnée en 2000 le bilan de sa vie : « Mes
enfants ont énormément souffert. Pendant de longues années. La plus petite a
été mise à l’orphelinat. Après ma libération, j’ai pu la ramener à la maison.
Elle a pu suivre le lycée, s’est mariée ensuite à un aviateur. Mais elle a
perdu son enfance dans cet orphelinat. Moi aussi j’avais laissé mes années de
jeunesse entre les murs de la prison. Ce fut une période terrible. Mais d’un
autre côté, j’ai tenu bon. J’ai lutté pour la liberté de mon pays, j’ai lutté
pour que ce pays demeure tel que je l’avais connu : libre, démocrate, où l’on
puisse y vivre honnêtement, pas en esclave »
L’enfance volée, maltraitée, gaspillée ou tout
simplement écrasée par les régimes totalitaires et de terreur qui se sont succédé
dans la Roumanie du 20e siècle constitue encore une page trop
méconnue de l’histoire récente du pays. (Traducere Ionut Jugureanu)