Les relations entre la Roumanie et la Turquie dans l’entre-deux-guerres
Lors du lancement du deuxième recueil de documents « Roumanie-Turquie Relations diplomatiques », portant sur la période 1938-1944, Özgür Kâvanci Altan, l'ambassadeur turc en Roumanie, a parlé de l'histoire des relations diplomatiques entre les deux pays
Steliu Lambru, 05.02.2024, 13:26
Les premiers contacts noués entre les Etats médiévaux roumains et l’Empire
ottoman ont été plutôt conflictuels. L’expansion ottomane dans les Balkans
amène les Turcs aux portes du Danube. En 1369 les armées conjointes du voïvode
roumain Vladislav Vlaicu et du roi magyar Louis 1er se mesurent aux
troupes du sultan Murad 1er. Après une période glorieuse de
résistance face aux tentatives ottomanes, vers la fin du 15e siècle les
principautés danubiennes tombent dans l’escarcelle de Constantinople, des liens
de vassalité les nouant dorénavant à l’empire dominant de la région, et ce
jusqu’au conflit russo-turc de 1877-1878, à la suite duquel les principautés
roumaines, réunis en 1859 dans un même Etat, recouvrent leur indépendance. Les
siècles de domination ottomane n’ont pourtant pas manqué de laisser des traces
dans la culture et dans le mode de vie des Roumains. Après la guerre
russo-turque de 1877-1878 les deux nations nouent des relations apaisées, avant
de les retrouver ensemble dans la période de l’entre-deux-guerres au sein d’une
alliance défensive, la Petite Entente, aux côtés de la Yougoslavie et la Grèce.
Aujourd’hui, la Roumanie et la Turquie
sont liées par un partenariat stratégiquesigné
en 2011, et qui couvre des aspects militaires et économiques.
Lors du lancement du deuxième recueil
de documents « Roumanie-Turquie Relations diplomatiques », portant
sur la période 1938-1944, Özgür Kâvanci Altan, l’ambassadeur turc en Roumanie,
est revenu sur la riche histoire des relations diplomatiques entre les deux
pays dans la période de l’entre-deux-guerres :
« La Turquie et la Roumanie ont toujours été proches l’une de l’autre,
Etats voisins et alliés. Et ce recueil de documents couvre une période où nous
étions alliés, une période marquée par le resserrement des relations
bilatérales et par l’amitié nouée entre nos leaders politiques, en particulier entre
nos ministres des Affaires étrangères qui étaient amis. J’ai été impressionné
par la finesse de la pratique diplomatique qui caractérisait la période, les
manières arborées dans la pratique diplomatique. Cela fait 146 ans depuis que
nos deux Etats ont établi des relations diplomatiques. Il s’agit d’une relation
particulière donc, unique je dirais. Car notre histoire commune va bien au-delà
de ces 146 années. Rappelez-vous, lorsque la Roumanie avait obtenu son
indépendance par rapport à l’empire ottoman, ce dernier l’avait tout de suite
reconnue. Ce fut le deuxième Etat ayant reconnu l’indépendance de la Roumanie.
Et depuis lors, nos relations bilatérales ont été bâties sur la nécessité de la
coopération. »
Dans la période qui nous occupe, dans
l’entre-deux-guerres, les diplomaties turque et roumaine se sont énormément
investies dans la constitution de cette alliance défensive, antirévisionniste,
que fut l’Entente ou le Pacte balkanique, signé en 1934 pour mettre fin aux
revendications issues de la Première Guerre mondiale. Car les Balkans
constituaient toujours, à l’aune de la Grande Guerre, un point sensible sur la
carte du monde. Et les Etats vainqueurs, les Etats qui désiraient maintenir le
statu quo instauré à Versailles ont trouvé nécessaire de constituer cette
alliance censée faire barrage aux visées révisionnistes des Etats vaincus.
L’historien Ionuț Cojocaru s’est penché sur le processus de négociations qui a
abouti par la constitution du Pacte balkanique au milieu des années 1930 :
« C’était il y a 90 ans. Une alliance dont l’initiateur a été le
président turc, Mustafa Kemal Atatürk. C’était une bonne idée. En 1930 sont organisées les premières
conférences balkaniques. La première a lieu à Athènes, la deuxième à Istamboul,
en 1931. L’année suivante, c’est le tour de Bucarest de les accueillir. Suivra
la ville de Salonique, en 1933. Après cela, en 1934, le Pacte balkanique est
signé. La Turquie est partie prenante. Il y a eu des difficultés à conclure un
tel pacte, car la Turquie était liée par un accord à l’URSS, alors que les
relations entre la Roumanie et l’Union Soviétique étaient gelées. Mais la
Roumanie espérait pouvoir renouer des liens avec le pays des Soviets par
l’entremise de la Turquie ».
La constitution du Pacte balkanique
avait été une démarche longuement mûrie, censée freiner sinon empêcher les
tentatives révisionnistes. Ionuț Cojocaru :
« La Roumanie, la Turquie représentaient des Etats récents,
constitués, dans leur format de l’époque, à l’issue de la Première Guerre
mondiale. Et constituer une alliance face aux revendications révisionnistes
était devenue une nécessité. Pourtant, lors du déclenchement de la Deuxième
Guerre mondiale, cette alliance montre ses limites. Les alliances marchent bien
en temps de paix. En temps de guerre, c’est plus compliqué. »
En effet, les Accords de Munich de 1938, le Pacte germano-soviétique de
1939 ensuite changent la donne et l’équilibre des forces en présence sur le sol
européen. A la suite de ces bouleversements, la Roumanie et Turquie se
retrouvent dans des camps opposés. Ionuț Cojocaru :
« La Turquie avait une place privilégiée. Elle bénéficiait d’une
grande stabilité en termes de politiques intérieures. Ismet Inönü, qui avait
négocié à Lausanne la reconnaissance internationale de la Turquie, devient
l’homme fort après la mort d’Atatürk. Son expérience dans les relations
internationales, les pertes subies par la Turquie lors de la Grande Guerre, le
fait maintenir la Turquie à l’écart de la Deuxième Guerre mondiale. La Roumanie
et la Turquie se voient alors séparées par une guerre. »
L’arrivée des communistes au pouvoir
en Roumanie allait encore séparer les deux Etats qui, chacun, se retrouvait
alors, pendant la Guerre froide, dans le camp opposé. Ce qui n’empêchera pas
que, malgré tout, des relations cordiales, de bon voisinage, puissent se
développer. Un rapprochement accentué encore davantage depuis la chute des
régimes communistes dans l’Europe centrale et de l’Est. (Trad. Ionut Jugureanu)