La révolution roumaine de 1989. Retour
La manifestation organisée par le pouvoir pour conforter sa popularité dans l'après-midi du 21 décembre se transformera sous les yeux ébahis du dictateur en une manifestation de rejet du pouvoir communiste.
Steliu Lambru, 25.12.2023, 00:20
Depuis 1989, la fin de l’année constitue pour les Roumains à plusieurs égards un moment de fête autant que le temps du souvenir. Parce que c’est le moment où la dictature communiste, la dictature honnie de Nicolae Ceaușescu s’écroulait avec fracas, laissant la place à la liberté et à la démocratie. Mais c’est aussi le temps du débat. 34 années se sont déroulées depuis lors. Et malgré cela, toute la lumière n’a pas été faite sur les tenants et les aboutissants des événements d’alors, sur le déchaînement de violence et les coupables des crimes qui ont eu lieu durant les jours de la révolution de 1989.
Reprenons le déroulement des événements de cette année-là.
Le 16 décembre, quelques personnes se rassemblaient silencieusement en signe de solidarité devant la maison du pasteur réformé Laszlo Tokes, critique acerbe du régime communiste, que la milice, la police d’alors, tentait d’expulser de sa paroisse de Timisoara, pour l’envoyer prêcher dans un village obscur du département de Salaj. De jour en jour les gens qui se rassemblent devant sa maison paroissiale deviennent plus nombreux, plus véhéments aussi, alors que la répression s’organise. Devant la masse de plus en plus consistante de manifestants qui commencent à formuler des revendications aux connotations de plus en plus politiques, la milice est épaulée par les troupes de la Securitate, la police politique du régime, mais aussi par des militaires.
L’ordre de faire feu sur les manifestants est donné par le président et secrétaire général du parti communiste, Nicolae Ceausescu en personne.
Des centaines de manifestants y laisseront leur vie. La révolution démarre et s’emballe à Timisoara. Face à la répression du régime, dans un pays où les manifestations et les grèves étaient hors la loi, le 18 décembre les principales plateformes industrielles de la ville se mettent en grève. Les manifestants investissent le centre de la ville, les principaux bâtiments du pouvoir local et régional, détruisant les symboles du régime. Pour la première fois depuis belle lurette, les notes d’un vieux chant révolutionnaire, entendu pour la première fois lors de la révolution de 1848 et intitulé « Réveille-toi Roumain ! », se font entendre dans la place centrale de la ville. Ce chant deviendra après 1989 le nouvel hymne d’Etat de la Roumanie démocratique.
Le même jour, Nicolae Ceausescu, confiant dans les capacités de répression de son régime et dans l’obédience de ses proches, s’envolait pour une visite d’Etat en Iran. Il y restera deux jours, alors que Timisoara s’embrase, échappant à tout contrôle du pouvoir. Au JT du soir du 20 décembre 1989, de retour à Bucarest, Ceausescu dénonce et accable les manifestants de Timisoara, qu’il traite de hooligans, et annonce l’organisation d’un grand rassemblement populaire pour le lendemain à Bucarest, dans une tentative de montrer la force du régime et le soutien populaire dont il dispose.
Paul Niculescu-Mizil, ancien dignitaire communiste, ancien ministre, membre du Comité central du parti communiste et du Comité politique exécutif de ce dernier au mois de décembre 1989, a eu l’occasion de prendre part aux conciliabules secrets de hauts dignitaires du régime en sursis. Condamné plus tard à trois années de prison pour son rôle dans la répression de 1989, il est interviewé en 1997 par le Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine au sujet de la manifestation organisée par Nicolae Ceausescu le 21 décembre 1989, moment où le pouvoir avait vacillé et où tout a basculé :
« En 1989, aucun membre du Comité politique exécutif n’osait plus tenir tête à Ceausescu. Plus personne ne pouvait rien lui suggérer. Ses quelques conseillers faisaient partie des forces de répression et des forces armées. A part ceux-là, il n’écoutait plus personne. Pour ma part, je lui avais une fois reproché cela, qu’il ne s’entourait que des yes men, des gens qui ne lui disaient rien de vrai. Et je lui ai dit que ce sont ceux-là qui vont le trahir. Je lui avais répété cela à plusieurs reprises. »
Mais la manifestation organisée par le pouvoir pour conforter sa popularité dans l’après-midi du 21 décembre se transformera sous les yeux ébahis du dictateur en une manifestation de rejet du pouvoir communiste.
La manifestation se délite, les manifestants commencent à huer le dictateur qui haranguait la foule depuis le balcon du siège du Comité central du parti communiste. Les forces de répression ouvrent à nouveau le feu sur les manifestants, à Bucarest cette fois. Le bain de sang organisé par le pouvoir communiste dans la nuit du 21 au 22 décembre 1989 hante encore la mémoire des bucarestois. Le lendemain matin, le ministre des Armées, le général Vasile Milea, se donne la mort dans son bureau du Comité central du parti communiste. Paul Niculescu-Mizil :
« Vous savez, jusqu’au dernier moment Ceausescu croyait dur comme fer qu’il était aimé par le peuple. Vous l’avez entendu lors de son procès. Le matin du 22, à 7 heures, le général Milea le réveille et fait son rapport. Il fait état des victimes de la répression qu’il avait diligentée pendant la nuit. Et Ceausescu le rabroue violemment : « Pourquoi y a-t-il des victimes ? Qui t’en avait donné l’ordre ? », lui reproche-t-il. Milea est sorti tout retourné de l’entrevue. Il est allé dans un bureau attenant, il a téléphoné à son ministère, et avait relaté l’entrevue qu’il a eu avec le commandant suprême. Ensuite il s’est donné la mort. Mais il ne s’est pas suicidé parce qu’il se faisait des reproches pour ce qu’il avait commis, mais parce que Ceausescu le lui avait reproché. »
Le 22 décembre, tout Bucarest se rassemble pour crier sa colère place du Palais, devant le siège du Comité central. Pris de panique, Ceausescu quitte en catastrophe les lieux par hélicoptère. Il n’ira pas loin. Il se fera attraper, juger et condamner à mort, et sera exécuté le jour de Noël, le 25 décembre 1989. Avec lui, il emportera dans la tombe les derniers vestiges d’un régime honni, importé en 1945 par les chars de l’Armée rouge. C’était la fin d’une époque, d’une parenthèse historique qui dura 45 années. (Trad. Ionut Jugureanu)