La soviétisation de l’Académie roumaine
L'une des premières institutions culturelles roumaines visées par la soviétisation a été la prestigieuse institution de l'Académie roumaine, fondée en 1866.
Steliu Lambru, 11.12.2023, 09:10
L’instauration du régime communiste en Roumanie
A la fin de la
Seconde guerre mondiale, l’URSS n’a eu de cesse avant d’installer au pouvoir
des partis frères dans tous les pays occupés ou, selon la propagande soviétique,
libérés par l’Armée rouge. Ce processus de soviétisation du système politique,
judiciaire et administratif d’abord, économique ensuite, ne s’était pas fait
sans heurts et sans l’action répressive de la police politique et des organes du
parti communiste.
L’une
des premières institutions culturelles roumaines visées par la soviétisation a
été la prestigieuse institution de l’Académie roumaine, fondée en 1866.
Pendant
ses plus de 80 années d’existence, l’Académie avait compté dans ses rangs les
plus prestigieux scientifiques roumains et étrangers. Mais le régime installé
le 6 mars 1945 n’hésitera pas à mettre brutalement un terme à cette belle histoire,
l’Académie roumaine étant supprimée le 9 juin 1948 par décret du Conseil des
ministres, laissant la place à une nouvelle institution asservie au pouvoir :
l’Académie de la République populaire de Roumaine, devenue plus tard l’Académie
de la République socialiste de Roumanie. Les anciens académiciens déchus souffriront
les affres des persécutions politiques. De la vieille garde, 33 membres, qui
avaient occupé la dignité de ministre avant 1945, seront jetés en prison. La
plupart, une vingtaine, se verront embastillés dans le pénitentiaire de Sighetu
Marmației, dans le nord de la Transylvanie, surnommé la « prison des
ministres ». Six y laisseront leur vie.
L’académicien Alexandru Lapedatu se donne la mort
Andrea
Dobeș, chercheur au Mémorial des victimes du communisme et de la résistance,
érigé après 1989 dans le pénitentiaire de Sighet s’est penchée sur le sort de l’académicien
Alexandru Lapedatu qui, rongé par sa maladie gastrique et en l’absence des
soins, se donne la mort le 30 août 1950, à l’âge de 73 ans.
Andrea Dobes : « Alexandru
Lapedatu avait été retenu dans la nuit de 5 à 6 mai 1950,
lors d’une perquisition domiciliaire. Les enquêteurs lui avaient confisqué 3 calepins,
un traité sur l’histoire des Etats-Unis, un certain montant en espèces, une
montre, deux paires de lunettes, d’autres affaires personnelles. Parmi les
objets confisqués par les enquêteurs, aucun ne pourrait présenter un quelconque
intérêt réel pour la Securitate ou les enquêteurs du régime. Mais le régime
avait dressé la liste des personnes qu’il comptait arrêter, dont tous les
anciens dignitaires, les anciens ministres qui avaient exercé leurs fonctions
entre 1918 et 1945. A l’endroit du nom de l’historien il y avait cette mention :
bien qu’il n’ait constitué pas une menace et qu’il n’ait déployé aucune activité
d’opposition, il était connu pour être un adversaire résolu du régime
communiste. Voilà une tête d’accusation pas si inédite que cela dans l’époque. »
Le sort tragique de l’économiste Gheorghe Tașcă
Gheorghe Tașcă, économiste
et professeur des universités, ministre du Commerce en 1932 et membre de l’Académie
roumaine, avait subi le même sort.
Andrea Dobes : « Lorsqu’il
a été arrêté, dans la même nuit du 5/6 mai 1950, Gheorghe Tașcă était âgé de 75
ans. Il est déposé à Sighet le lendemain. Il meurt dix mois plus tard, le 12
mars 1951, à cause de terribles conditions de détention subies. L’historien Constantin
Giurescu, incarcéré à Sighet pendant un peu plus de 5 années et qui est parvenu
à rédiger ses mémoires, pense qu’il est achevé par une pneumonie, au bout d’une
souffrance interminable. L’ancien juriste Alexandru Popescu-Necșești, lui aussi
emprisonné à Sighet pendant cette période, parle lui aussi des râles qui lui
parvenaient la nuit depuis la cellule de Gheorghe Tasca ».
La mort mystérieuse de Gheorghe Brătianu
Gheorghe
Brătianu, célèbre byzantiniste et ancien ministre, membre de l’Académie
roumaine, meurt lui aussi dans des conditions non élucidées jusqu’à ce jour, à
55 ans, en 1953, dans la même prison politique de Sighet.
Andrea Dobeș nous
rappelle la mémoire du célèbre historien : « Gheorghe
Brătianu avait été violemment attaqué par la presse communiste dès 1944. Aussi,
le 15 août 1947, prétextant de la nécessité d’assurer sa sécurité, le régime
lui impose un régime d’arrêt à domicile dans sa résidence bucarestoise, où il
est surveillé nuit et jour. Il sera finalement arrêté le 6 mai 1950, et convoyé
au pénitentiaire de Sighet le lendemain. Le même Constantin Giurescu rappelle
dans ses mémoires les derniers jours de la vie de Bratianu, ainsi qu’un
événement qui aurait pu constituer la cause de sa mort. En effet, pendant que
Gheorghe Bratianu était dans la cour de promenade, Giurescu entend le bruit
sourd d’un coup de poing. Un bruit qui se répète, suivi d’une suite de jurons, alors
que Gheorghe Bratianu était accompagné dans sa cellule. L’évêque Ioan Ploscaru raconte
pour sa part la manière dont les bourreaux avaient forcé le byzantiniste de ramasser
le fumier des cochons, les mains nues, la veille de sa mort. »
Le leader politique Iuliu Maniu, condamné à mort
Mais
le seul membre de l’Académie roumaine qui fut formellement condamné, fut-ce à l’issue
d’un simulacre de procès, a été le leader national-paysan, Iuliu Maniu. Le
futur cardinal Alexandru Todea lui donna dans la prison, sur son lit de mort, l’extrême-onction.
Andrea Dobeș : « Iuliu
Maniu fut condamné à la prison à vie le 11 novembre 1947 prétendument pour haute
trahison. Son procès eut lieu devant un jury populaire à Bucarest, à l’Ecole de
guerre. Une fois condamné, il fut transféré à Galati puis, le 16 août 1951, à
Sighet. A 80 ans, affaibli, le grand homme d’Etat n’était plus que l’ombre de
lui-même. L’homme de presse et secrétaire général du parti national-paysan, Nicolae
Carandino, avec lequel Iuliu Maniu partagea sa cellule, pris soin de lui
pendant les derniers moments de sa vie. »
Même
parmi ceux qui ne finirent pas leur vie en prison des membres déchus de l’Académie
roumaine, la plupart ont mené une vie de misère et de déchéance. Surveillés par
la police politique, harcelés par le régime communiste, arrêtés et enquêtés,
interdits des bibliothèques et éloignés de l’enseignement, ils bénéficièrent d’une
réhabilitation tardive, après la chute du régime communiste, lorsqu’ils réintégreront,
à titre posthume, l’Académie roumaine. (Trad.
Ionut Jugureanu)