L’esclavage dans l’espace roumain durant l’Antiquité
La pratique de l'esclavage semble avoir été utilisée de tous temps, partout dans le monde
Steliu Lambru, 23.10.2023, 14:09
Aussi étrange et inacceptable que cela puisse nous paraître aujourd’hui,
punie de nos jours par le droit international et les législations nationales,
la pratique de l’esclavage n’avait rien d’inacceptable dans l’Antiquité. En
outre, et en dépit de l’image que cette pratique renvoie dans l’imaginaire
collectif de nos jours, l’esclavage dans l’Antiquité ne revêtait pas toujours
dans la réalité les formes les plus extrêmes.
Aussi, si la pratique de l’esclavage semble avoir été utilisée de tous
temps, partout dans le monde, sa présence fut pour la première fois attestée
dans l’espace roumain lorsque s’installent les premiers colonies grecquessur le pourtour de la mer Noire, entre le 8e
et le 6e siècle avant J.C. Ces colons entrent forcément au contact
des Gètes, ce peuple barbare selon les Grecs, qui vivait dans l’espace
carpato-danubien-pontique. Et c’est parmi leurs voisins gètes que les colons
grecs recruteront la main d’œuvre qu’ils utiliseront dans l’agriculture, dans
les mines, l’artisanat et dans les travaux publics de construction de leurs
cités.
Les archéologues ont essayé de comprendre les relations qui prévalaient
entre les colons grecs des premiers temps et les populations locales. Dragoș
Hălmagi, de l’Institut d’Archéologie « Vasile Pârvan » de l’Académie
roumaine croit pour sa part que les Gètes avaient un statut de
« population dépendante » envers les Grecs. Ecoutons-le :
« Dans la région du Pont-Euxin, c’est ainsi qu’ils appelaient la
mer Noire, les Grecs n’ont pas fait appel aux esclaves. Même s’il y avait un
commerce d’esclaves, en Thrace tout comme chez les Scythes, que l’on connaît
grâce aux écrits des contemporains qui sont parvenus jusqu’à nous et aux
sources archéologiques. Or, les esclaves étaient employés par les Grecs
notamment en tant que main d’œuvre utilisée dans l’agriculture. Platon et
encore Aristote prônaient l’emploi d’esclaves d’origines diverses, qui ne
parlent pas la même langue. C’était une précaution censée empêcher les esclaves
à se rebeller, censée rendre une possible rébellion improbable. Dans notre cas,
les colonies grecques étaient entourées par des populations gétiques. En faire
des esclaves devait s’avérer compliqué. Il est dès lors probable à ce que les
Grecs se soient pris autrement. Des inscriptions font d’ailleurs état des
communautés où Grecs et barbares vivaient ensemble »
Selon Dragoș Hălmagi, l’esclavage dans
l’Antiquité ne revêtait pas les formes extrêmes qu’il connaitra que bien plus
tard dans l’histoire. Dragoș Hălmagi :
« Les traces laissées par les esclaves ne
diffèrent pas beaucoup pour l’archéologue de ceux laissées par les hommes
libres. Les tombes sont plus modestes, avec moins de vases et d’objets en métal
à l’intérieur. Mais ces distinctions sont minimes. Très peu d’éléments nous
indiquent si l’on a à faire à une tombe d’homme libre ou à celle d’un esclave.
Par ailleurs, souvent les esclaves adoptaient les coutumes, les traditions, la
façon de s’habiller de leurs maîtres. »
Le statut des populations dépendantes mentionnées par l’archéologue Dragoș
Hălmagi peuvent se confondre toutefois au statut d’esclaves. Ces populations
fournissaient la main d’œuvre, dont le statut demeure assez incertain pour les
chercheurs. Aussi, si les colonies grecques installées autour de la mer Noire
ne semblent pas avoir eu recours aux esclaves pour fournir une main d’œuvre
bonne marché à l’agriculture, leur présence est mieux attestée dans l’artisanat
et les travaux publics, notamment dans la construction des places fortes. Mais
les sources grecques ne font pas mention de l’utilisation des Gètes en tant
qu’esclaves. Davantage encore, à partir du 4e siècle avant J-C, les
sources hellènes commencent à parler de Scythes, de Sarmates, de Thraces. Une
mosaïque hétéroclite de diverses ethnies dont le pouvoir était exercé tour à
tour par l’un ou l’autre de leurs leaders militaires. Dragoș Hălmagi appuie sa
thèse par les paroles du poète latin Ovide, en exile à Tomis, l’actuelle ville
de Constanta, au 1er siècle avant notre ère :
« Le premier auteur qui
mentionne la présence des populations Gètes sur ce territoire est Ovide. Mais
il ne parle pas que des Gètes, mais « de bon nombre d’autres populations
de souche ». Maintenant, il nous est difficile de comprendre s’il
entendait épater son auditoire lorsqu’il livrait ce genre d’informations, ou si
ces informations recouvraient une réalité. Dans certains passages de ses
écrits, les Gètes et les Sarmates sont nominalisés ensemble, comme s’il
s’agissait d’un même peuple, sont ceux qui savent manier l’arc, dit-il. Il
prétend aussi avoir appris la langue des Gètes et des Sarmates, comme s’il
s’agissait d’une seule et unique langue. »
Quoi
qu’il en soit, il est certain qu’à l’instar de ce qui sépare l’homme de
l’Antiquité de l’homme des temps modernes, la conception de l’esclavage du
premier devait recouvrir une réalité bien différente de ce qu’elle allait
recouvrir des siècles plus tard. (Trad.
Ionut Jugureanu)