La communauté séfarade de Bucarest
Ville marchande à ses origines, Bucarest a été durant une grande partie de son histoire une ville multiculturelle. Marchands grecs et arméniens habitaient et travaillaient aux côtés d’une importante communauté juive. Ces derniers étaient basés surtout près de l’actuelle Place Unirii, c’est-à-dire relativement près du centre historique de Bucarest dont le noyau est la rue commerçante de Lipscani.
Steliu Lambru, 05.05.2017, 14:36
Ville marchande à ses origines, Bucarest a été durant une grande partie de son histoire une ville multiculturelle. Marchands grecs et arméniens habitaient et travaillaient aux côtés d’une importante communauté juive. Ces derniers étaient basés surtout près de l’actuelle Place Unirii, c’est-à-dire relativement près du centre historique de Bucarest dont le noyau est la rue commerçante de Lipscani.
D’ailleurs, c’est dans cette zone centrale, pleine de négoces, auberges et différents ateliers que se trouvaient de nombreux magasins juifs qui vendaient notamment des tissus. Ceux-ci appartenaient à une communauté à part, celle séfarade. Les premiers séfarades apparaissent dans l’espace roumain en provenance de l’espace ottoman où ils s’étaient réfugiés depuis l’Espagne après 1492. Ils étaient considérés toujours une sorte d’élite des communautés juives parce qu’ils étaient spécialistes des grandes finances, fonctionnaires ou bien intellectuels. Par ailleurs, ils étaient aussi moins nombreux que les Juifs de rite ashkenazi.
Emil Nicolae, président des communautés juives de Piatra Neamt, nous raconte l’histoire d’un demi-siècle de cette communauté dans l’espace roumain.
Emil Nicolae : « Ils ont toujours compté pour 10% du total de la population juive de chez nous. En Roumanie, ils se sont établis surtout dans le sud, à partir du sud-ouest, de Timisoara vers Craiova et Bucarest. Vu qu’ils étaient commerçants, ils se sont établis dans les villes portuaires de Braila et de Galati, dans le sud de la Moldavie, mais pas plus à l’est que ces deux villes. »
L’histoire des séfarades de Bucarest a été suivie de près et décrite dans le volume « Personnages et histoires du Bucarest séfarade », dont Anca Tudorancea a été co-auteur. Elle raconte quels étaient les quartiers qu’habitaient les séfarades de Bucarest.
Anca Tudorancea : « Il s’agit de la zone commerciale traditionnelle de Bucarest, délimitée par la Place Unirii d’aujourd’hui, du quartier appelé faubourg Popescu, qui est également le plus ancien quartier juif de la capitale. Ce fut ici qu’en 1818, le prince Caragea a permis aux Juifs séfarades de construire quelques-unes des plus importantes synagogues, comme la Grande Synagogue. Malheureusement elle n’existe plus de nos jours. Son existence a été longue, mais elle a été brûlée pendant la rébellion de l’extrême droite roumaine en janvier 1941. C’est un quartier ancien habité par des Juifs, où il y a de nombreuses synagogues appartenant à différentes communautés. Nombre de ces lieux de culte avaient été érigés par différentes associations professionnelles comme celle des tailleurs da la Rue Mamulari. Le monde juif était donc très divers et il n’était pas retranché sur soi-même, il n’était pas compact. »
Hormis les activités commerciales, les Juifs séfarades se sont également fait remarquer par des activités caritatives et culturelles. L’éducation surtout était extrêmement importante pour eux et les familles les plus aisées aidaient les jeunes moins fortunés à continuer leurs études. C’est pourquoi certains séfarades ont fait des performances notables dans les arts et les sciences.
Emil Nicolae : « Ils ont eu des représentants dans le commerce et le secteur bancaire. Mais du point de vue culturel, il faut nommer Simon Benvenisti, éditeur et libraire, Leon Alcalay, propriétaire de la maison d’éditions Alcalay où est apparue pour la première fois la collection « La Bibliothèque pour tous », que d’autres maisons d’édition ont continué après la guerre. Les familles séfarades ont donné à l’Humanité également des personnalités culturelles et scientifiques. Je mentionnerais le compositeur Dan Mizrachi et le savant Nicolae Cajal, qui a également été Président des communautés juives de Roumanie, mais aussi virologue. Mentionnons aussi le poète George Almosnino, l’époux de la célèbre écrivaine roumaine Nora Iuga. »
Malheureusement, après la nationalisation de 1948, nombre de Juifs séfarades ont perdu le droit de propriété sur leurs affaires. Après la création de l’Etat d’Israël, la vaste majorité de cette minorité y ont émigré. Mais la mémoire des quartiers juifs de Bucarest est toujours vivante. En témoigne une exposition de photographie déroulée en marge des Journées de la culture séfarade tenues ce printemps dans la Capitale roumaine. (Trad. Alex Diaconescu)