L’ours dans la mentalité populaire roumaine
Monica Chiorpec, 16.11.2022, 13:31
Les journées de « Tonton Martin », soit
le surnom populaire de l’ours brun, à la mi-novembre mettent au premier plan un
animal-phare de l’espace situé à l’intérieur de l’arc des Carpates : l’ours.
Symbolisant la force, la verticalité, mais aussi la royauté, l’ours est présent
dans un grand nombre de légendes et de contes roumains, en tant que personnage
qui aide le héros. C’est pourquoi les communautés locales lui dédiaient des
journées spéciales.
Visant à apprivoiser les ours ou bien à les tenir à
distance des troupeaux de moutons ou de bétails, ces journées des tontons
Martins étaient respectées tant durant la saison froide qu’au printemps.
Détails avec Delia Suiogan, ethnologue à
l’Université du Nord de Baia Mare : « La fête s’appelle aussi la
journée de Tonton Martin. La fête des Martins fait référence à une divinité,
une demi-divinité de l’ancien calendrier dace, qui portait une peau d’ours et
marquait l’union entre l’homme et l’animal. Dans les contes traditionnels
l’ours n’est pas nommé, il est appelé le « vieil homme » ou bien
« le vieux ». Evidemment, c’est un parallèle avec nos ancêtres
mythologiques. C’est un culte des ancêtres. Dans le calendrier traditionnel, on
découvre que toutes ces journées des ours ont lieu avant la fête des morts en
hiver, en automne ou au printemps. Elles sont le moment où on interpelle les
ancêtres de la famille, soit les personnes décédées de plus de sept ans afin
qu’ils reviennent pour aider les vivants. »
Au cours de ces jours de novembre, les paysans ne
partaient pas à la chasse et ne posaient pas de pièges pour attraper des
animaux sauvages afin d’apaiser les esprits des forêts et de tenir les loups à
distance des troupeaux et des maisons. Qui plus est, les mères de famille ne nettoyaient
pas les maisons et ne vidaient pas les poubelles pour ne pas offenser les
animaux. Hors de question de coudre, de tisser ou de faire d’autres travaux
manuels. De plus, il était également déconseillé d’utiliser des objets pointus.
Les femmes se rendaient pourtant aux confins des forêts à la recherche de
racines et de plantes médicinales et invoquaient leurs pouvoirs curatifs.
Delia
Suiogan : « Les
mères de famille partaient sur les champs et dans les bois à la recherche de
ces plantes curatives qu’elles cueillent pendant différentes périodes de
l’année. Elles prononcent une incantation pour que celles-ci reçoivent leur
pouvoir curatif qui sera ensuite transféré sur l’homme. Evidemment il y a tout un rituel et les
femmes mettent toutes ces actions sous le signe de la puissance de l’ours.
Elles reçoivent une partie de sa puissance si elles déroulent ces activités
durant cette fête. Jadis, les hommes costumés en peau d’ours sillonnaient les
villages roumains. Ces guérisseurs marchaient sur le dos des personnes malades
afin de transférer cette puissance de l’ours de l’animal à l’homme. »
Il s’agissait surtout de
personnes qui souffraient de maux de dos et la technique était une sorte de
chiropratique rudimentaire. Au début elle était pratiquée avec des ours
véritables qui marchaient sur le dos des personnes en souffrance. Enfin, sachez
que ceux qui respectaient la fête des Tontons Martin d’automne pensaient être
mis à l’abri des mauvais esprits, mais aussi des attaques des loups et des
ours. Des haches étaient suspendues aux toits des maisons, signe de protection
qui tenait à distance les esprits maléfiques tout au long de l’hiver. (Trad. Alex Diaconescu)