Les Pâques des Débonnaires
Selon les légendes, les Débonnaires sont les premiers êtres humains apparus sur la Terre, dont l’existence excédait le plan physique. Ils étaient incapables de faire le moindre mal et vivaient dans un coin éloigné de la civilisation ; ils peuplaient, plus exactement, les « Ilots Blancs » d’un delta mythique formé par la rivière qui prend sa source en dessous de l’arbre de vie du Paradis. Cette rivière marque en fait la frontière entre les deux mondes — celui des vivants et celui des morts.
Monica Chiorpec, 27.04.2014, 13:00
Selon les légendes, les Débonnaires sont les premiers êtres humains apparus sur la Terre, dont l’existence excédait le plan physique. Ils étaient incapables de faire le moindre mal et vivaient dans un coin éloigné de la civilisation ; ils peuplaient, plus exactement, les « Ilots Blancs » d’un delta mythique formé par la rivière qui prend sa source en dessous de l’arbre de vie du Paradis. Cette rivière marque en fait la frontière entre les deux mondes — celui des vivants et celui des morts.
Les Débonnaires passent leur vie à jeûner et à prier, pour que les péchés des humains soient pardonnés. Sabina Ispas, directrice de l’Institut d’ethnographie et de folklore de Bucarest, nous en dit davantage: « C’est une belle tradition d’origine médiévale liée en quelque sorte aux légendes sur le Jardin d’Eden. Cette légende roumaine parle de l’existence d’une île des Débonnaires, un endroit mirifique, un jardin où ces êtres humains exceptionnels mènent une vie exemplaire. Ils ne portent pas de vêtements, ils vivent au sein de la nature, ils se nourrissent uniquement de végétaux et la vie qu’ils mènent est d’une autre qualité. En fait, ils sont des saints. Souvent, la tradition les associe aux trépassés auxquels on a accordé le bonheur de connaître le Paradis. Or, les Débonnaires, dont la vie est si extraordinaire, apprennent que les saintes Pâques sont fêtées sur Terre lorsque les vivants heurtent des œufs peints en rouge, en prononçant la formule : « Le Christ est ressuscité ! », avec la réponse « En vérité, il est ressuscité ! » Les coques d’œuf jetées dans l’eau des rivières finissent par arriver dans les eaux de cette rivière mythique et de là, en faisant le tour du monde, arrivent sur l’île des Débonnaires, ces bienheureux. Les Débonnaires apprennent donc ainsi que les saintes Pâques sont fêtées sur la Terre et ils les fêtent, eux aussi, en recevant ces coques d’œufs peints en rouge. »
A l’occasion des Pâques des Débonnaires, surtout dans le nord du pays, en Bucovine, on faisait rouler des œufs teints et on faisait un pique-nique. Une bonne partie des aliments spécifiques aux Pâques étaient laissés choir par terre, pour commémorer les Débonnaires. Le plus souvent, dans les communautés traditionnelles d’Olténie et de Dobroudja (sud et sud-est), les Débonnaires sont associés aux aïeux disparus depuis au moins sept ans, ces Pâques à part devenant une sorte de Fête des morts/Toussaint. Pour la première fois après la Résurrection, les gens emmenaient la Lumière reçue à l’église — et préservée dans des chandelles — aux tombeaux des disparus.
En plus, pour les Pâques des Débonnaires, on ne commémorait pas seulement les morts de la lignée généalogique ascendante, connue, mais toutes les âmes de l’au-delà, désignées de manière générique par les vocables « les Oubliés », « les Inconnus » ou encore « les Blancs ». Les Débonnaires sont également perçus dans certaines régions comme les âmes des enfants non baptisés, mais aussi comme les véritables piliers de la terre, sans lesquels le monde sombrerait dans le chaos.
L’élément central dans le culte des Débonnaires, c’est l’œuf teint en rouge de la fête de Pâques. Symbole archétypal de l’Univers, on considère que l’œuf est à l’origine de toutes les choses, de la régénération et de la permanence de la vie sur terre. L’œuf est aussi un symbole de la résurrection, de l’existence extraordinaire, qui outrepasse le monde concret. Par l’œuf teint de Pâques, l’on célèbre aussi l’existence mythique des Débonnaires, projections de l’imaginaire traditionnel, qui veillent depuis un lieu éloigné, légendaire, sur les vivants.