Anca Vasiliu, lauréate de l’Académie Française pour l’ensemble de sa recherche en philosophie
Parmi les lauréats de l’Académie française en 2022 figure
la chercheuse roumaine Anca Vasiliu, historienne et philosophe, qui a reçu le
Grand prix de philosophie, pour
l’ensemble de son œuvre. La chercheuse, également récompensée en 2013 par
l’Académie française du Prix Montyon et de la médaille d’argent pour sa monographie
Images de soi dans l’Antiquité tardive,
est née à Bucarest en 1957. Avant son départ en France au début des années
1990, elle avait travaillé à l’Institut d’histoire de l’art. En 1998, elle a
été recrutée en France par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS)
en tant que chercheuse. Elle travaille actuellement au Centre Léon Robin de
recherche sur la pensée antique de l’Université de la Sorbonne Paris IV.
Christine Leșcu, 21.02.2023, 01:56
Parmi les lauréats de l’Académie française en 2022 figure
la chercheuse roumaine Anca Vasiliu, historienne et philosophe, qui a reçu le
Grand prix de philosophie, pour
l’ensemble de son œuvre. La chercheuse, également récompensée en 2013 par
l’Académie française du Prix Montyon et de la médaille d’argent pour sa monographie
Images de soi dans l’Antiquité tardive,
est née à Bucarest en 1957. Avant son départ en France au début des années
1990, elle avait travaillé à l’Institut d’histoire de l’art. En 1998, elle a
été recrutée en France par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS)
en tant que chercheuse. Elle travaille actuellement au Centre Léon Robin de
recherche sur la pensée antique de l’Université de la Sorbonne Paris IV.
Anca Vasiliu est docteur habilitée à diriger des
recherches doctorales. Elle a enseigné des cours en philosophie grecque
classique à l’Université Paris X Nanterre entre 1998 et 2004. Depuis 2007, elle
enseigne à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne. Au CNRS, depuis 2000, elle
coordonne le Séminaire de recherche sur la transmission des thèmes et de
concepts philosophiques de l’Antiquité au Moyen Âge. En 2003, elle a fondé la
revue franco-roumaine de philosophie ancienne Chôra.
Elle a publié
plusieurs monographies, portant sur l’image dans les théories de l’âme, de
l’intellection et du langage dans l’antiquité et l’antiquité tardive. Parmi ses nombreux
œuvres, il faut mentionner : La
traversée de l’image (Desclée de Brouwer, Paris, 1994), Du diaphane. Image, milieu, lumière dans la
pensée antique et médiévale (Vrin, Paris, 1997), Dire et voire. La parole visible du sophiste (Vrin, Paris, 2008), Divine technique. Art et langage homérique à
la fin de l’Antiquité (Classiques Garnier, Paris, 2016), Penser Dieu. Noétique et métaphysique dans
l’Antiquité tardive (Vrin,
Paris, 2018), ainsi que Montrer l’âme. Lecture du Phèdre de Platon (Sorbonne
Université Presses, 2021). Elle a publié aussi un volume de poèmes, intitulé
Entre la gloire et la peau (Corlevour, Paris, 2020).
Une autre
direction de sa recherche est l’image dans l’iconographie monastique byzantine moldave.
Parmi ses œuvres, on retrouve Architectures de l’image. Monastères de
Moldavie, XIVe-XVIe siècles (Paris, Méditerranée, 1998), livre qui
a été traduit en italien (Jaca Book, Milan) et en allemand (Hirmer Verlag,
Munich) et qui a été vendue en 10.000 exemplaires.
Passer de l’histoire de l’art à la philosophie
antique était un processus naturel, avoue Anca Vasiliu, car entre ces deux
domaines il y a une connexion indéniable :
« A la fin des années 1970, lorsque j’étudiais l’histoire
de l’art à Bucarest, j’ai choisi d’étudier également la culture byzantine.
L’art byzantin est très profondément lié à la pensée, à la théorie de l’image
et à la culture ancienne de l’Antiquité. Moi je m’intéressais au langage de
l’image dans le monde byzantin et médiéval. Alors ce fut inévitable pour moi
d’aller aux textes et d’étudier les textes patristiques et la théologie des
premiers siècles byzantins, évidemment en essayant de comprendre les sources de
cette pensée. C’était déjà un point de départ philosophique. Par conséquent, le
passage à la philosophie dans le monde universitaire français, que j’ai fait en
préparant mon doctorat, a été tout à fait naturel. Ce n’était pas du tout une
rupture, mais tout simplement une continuité. La philosophie antique et de l’antiquité
tardive, que j’explore maintenant, est un domaine de recherche lié aux thèmes
que j’avais abordés. Dans la première partie de ma formation, j’ai fait des
recherches sur l’esthétique, la perception, la définition du visuel et du visible,
sur la question de la lumière et de l’optique, sur l’image, ou bien sur la
constitution de l’image par le biais du langage. J’avais déjà commencé à aborder
tous ces sujets lorsque j’étudiais en Roumanie et que je travaillais en
Roumanie dans la recherche. C’était, donc, une continuité. Les choses se sont
enchaînées tout naturellement. »
Les monographies Dire
et voire. La parole visible du sophiste (Vrin, Paris, 2008) et Montrer l’âme. Lecture du Phèdre de Platon (Sorbonne Université Presses, 2021) sont les deux
premières parties de la thèse d’habilitation d’Anca Vasiliu, intitulée Vérité de l’image, de Platon à Basile de Césarée.
Elles sont consacrées à la problématique de l’image dans la philosophie de
Platon. La troisième partie de
sa thèse est la monographie intitulée « EIKÔN. L’image dans le discours des trois Cappadociens », consacrée
à la pensée philosophique des trois théologiens les plus importants du IVe
siècle, Basil de Césarée (ca. 329-378), son frère cadet, Grégoire de Nysse (ca.
335-395) et leur ami, Grégoire de Nazianze (ca. 329-390). Etant toujours en
dialogue dynamique avec le célèbre philosophe ancien Platon, les Pères
Cappadociens ont utilisé la notion de l’image (eikôn en grec ancien), qui est devenue le concept d’icône divine,
d’une manière à la fois rhétorique, exégétique et théologique.
Mais comment Anca Vasiliu s’est-elle adaptée aux
exigences académiques d’un domaine de niche, mais tellement fascinant, comme
celui de la philosophie ancienne et de l’Antiquité tardive ? Ce fut un processus
lent, mais assumé, répond la chercheuse, qui poursuit :
« L’adaptation a été lente. C’est un
environnement très exigeant, qui m’a motivée. En fait, cette exigence motive
tous ceux qui souhaitent vraiment se professionnaliser d’une manière profonde
et qui sont passionnés de leur travail. C’est un milieu très exigeant, mais c’est,
effectivement, un domaine de niche qui demande beaucoup de travail, une sorte d’option
pour une vie extrêmement réservée et intériorisée. Lorsque l’on écrit une monographie
de philosophie, on ne doit pas s’attendre à des ventes énormes et à un grand
nombre de lecteurs. Mais en France, la philosophie est une discipline
populaire, une discipline qui attire encore beaucoup de jeunes, même vers notre
spécialisation, celle de la philosophie antique et médiévale. Nous avons
beaucoup de doctorants, beaucoup d’options pour mener des recherches dans la
philosophie d’une manière très professionnelle. C’est la deuxième raison pour
laquelle cela vaut la peine de s’occuper de ces sujets et de promouvoir la
formation dans la philosophie ancienne. En effet c’est la philosophie antique
qui pose les fondements de la pensée philosophique en général ainsi que de
l’esprit critique et du raisonnement. Bien que la recherche de l’antiquité soit
un domaine de niche, c’est la niche d’où les grands esprits sont issus. »
Ajoutons au panorama des monographies publiées par
Anca Vasiliu toute une collection d’articles et d’études disséminées dans des
volumes collectifs. Parmi les thèmes que la chercheuse Anca Vasiliu a abordés,
il faut noter la vue et le regard, la constitution du visible, les usages des images
visuelles, linguistiques ou mentales, ou bien le mélange du langage et de
l’image dans le discours philosophique.
Au cours des dernières années, Anca Vasiliu a
continué sa collaboration avec le milieu universitaire roumain, notamment pour témoigner
de la beauté et de la profondeur des textes anciens. Elle est co-directrice de
la revue de philosophie ancienne et médiévale Chôra, parue chez les Editions Polirom. Elle a collaboré aussi à la
traduction de la monographie Le Vocabulaire
Européen des Philosophies, dont elle a coordonné la partie consacrée à la
philosophie roumaine.
Anca Vasiliu nous en offre des détails :
« « Le Vocabulaire Européen des Philosophies » n’est pas seulement un dictionnaire de
termes philosophiques. L’intention n’était pas de faire un dictionnaire de
termes philosophiques. L’ouvrage se veut une réflexion culturelle et politique de la place que les concepts européens de
la philosophie, qui sont en effet des concepts gréco-latins, occupent de nos
jours encore. Par la façon dont ils ont migré vers d’autres langues et
cultures, ils ont diffusé la culture gréco-latine et, en même temps, ils ont
été transformés contextuellement par leur traduction ou transposition dans d’autres
langues et, par la suite dans d’autres cultures. Du coup, le livre que nous
venons de publier n’est pas une simple traduction. Par rapport à l’édition
française entièrement traduite, nous introduisons aussi de nombreux termes
roumains, issus de textes philosophiques ou de culture populaire, que nous
avons retrouvés dans des thèses philosophiques de Lucian Blaga ou de Constantin
Noica. Ces termes ont leur propre histoire linguistique, culturelle et philosophique.
Ce dictionnaire contient également des données sur les traducteurs de
philosophie des XVIIIe, XIXe et de la première moitié du XXe siècles qui, par leurs
traductions du grec, du latin, de l’allemand et de l’italien, sont devenus les
fondateurs des écoles philosophiques roumaines. »
Le Grand prix de philosophie de l’Académie française,
que la chercheuse Anca Vasiliu a reçu pendant la séance publique annuelle du 1er
décembre 2022, a été créé en 1987 pour récompenser une œuvre perçue comme une
contribution majeure à ce domaine. Notons que la plupart des lauréats de ce
prix sont des auteurs nés en France. Après Emmanuel Lévinas, Anca Vasiliu est
le 2e citoyen français né hors de France à recevoir ce prix, ainsi
que la troisième femme à être récompensée par cette distinction. (trad. Andra
Juganaru)