Reconstruire l’histoire en miniatures
Ion Puican, 27.05.2022, 12:28
Le Musée national d’histoire de la Roumanie (MNIR) a
récemment accueilli une exposition intitulée Reconstruire l’histoire en
miniatures rassemblant histoire, art, scénographie, théâtre et film. Il s’agit
ainsi d’une série de maquettes cinématographiques et des photos de celles-ci
qui illustrent des reconstitutions historiques de la Seconde Guerre mondiale, y
compris la bataille de Kharkov en Ukraine.
Nous en avons discuté avec l’artiste et scénographe
Andrei Mențeanu, initiateur et réalisateur de ce projet : « Je
commencerais par vous avouer qu’il y a quelques années, quand j’ai commencé ce
projet – réalisé avec beaucoup de passion et auquel j’ai consacré beaucoup de
temps – , je n’imaginais pas que la situation des années 1940 (où se situait
mon action) allait se reproduire si vite sur le territoire du même pays, si
proche du nôtre. De janvier à mars 1943, les armées allemande et russe se sont
livré une guerre atroce. Il y a eu pendant longtemps une forte contre-attaque
allemande, avant le retrait jusqu’à Berlin en 1945. L’action a donc lieu en
Ukraine, dans la région de Kharkov et dans les villages adjacents, notamment au
sud, dans la commune moldave d’Alexeevca, à laquelle beaucoup de miniatures
sont consacrées. Du point de vue de la perspective, l’échelle que nous avons
utilisée pour réaliser les maquettes est, techniquement parlant, de 1/ 35.
C’est une échelle spécifique pour les musées, qu’utilisent les réalisateurs de
maquettes. En effet, mon rêve, c’est que cette dimension tridimensionnelle
existe dans tous les musées de notre pays, afin de faire revivre l’histoire
dans ce format-là. On a l’habitude de puiser dans les archives photographiques pour faire nos recherches d’informations.
Moi-même je devrais avoir dans mon archive 2500 de photos de la région de
Kharkov. Pourtant, mené par le désir de rendre publiques les horreurs de la
guerre par le biais des compositions plastiques, artistiques et notamment
photographiques, j’ai essayé de me rapprocher de la réalité le plus possible.
Concrètement, il s’agit d’une reconstruction. Je n’ai donc pas le droit de ne
pas relater avec exactitude ce qui s’est passé ».
Coïncidence ou pressentiment? Quel est l’avis de Andrei
Mențeanu sur le lien entre la guerre de 1945 en Ukraine et la guerre actuelle?
Andrei Mențeanu : « C’est une coïncidence
historique, à mon avis, il ne s’agit pas d’une prémonition. Je pense en effet
que c’est un hasard, et personnellement je suis très intéressé par tout ce qui
s’est passé sur le front est, si bien que j’avais failli choisir la bataille de
Stalingrad. C’est quand même un sujet qui a été souvent évoqué, donc pour
changer, j’ai choisi le combat suivant, celui de Kharkov, tout aussi atroce et
qui a eu lieu peu après le retrait de
l’Allemagne de Stalingrad ».
Enfin, nous avons demandé à Andrei Mențeanu quel est le
degré de difficulté dans la réalisation d’une maquette de reconstitution
historique : « Le temps alloué à cet ouvrage a été de cinq ans. En
effet, j’aurais pu raccourcir cette période à deux ans, voire un an et demie,
mais je n’y ai pas travaillé tous les jours. J’ai dû trouver des solutions, j’ai
souvent changé d’avis et ainsi de suite. Il y a eu des plans techniques, des
esquisses. Le tout est composé d’un
mélange de matériaux: du carton mousse, du bois de pin, de hêtre, des lattes,
de la gaze, de la résine, du plastique, moins souvent du métal. Je suis parti à
zéro, grâce à une recherche minutieuse, aux photographies. Je n’avais pas le
droit à l’erreur, car dans les années 40, sur le territoire de l’Ukraine, à
l’époque État soviétique, les architectures étaient éclectiques. Les façades
datant de l’époque du tsar subsistaient, mais à côté des éléments
architecturaux socialistes, stalinistes. Il y aussi les matériaux de
construction: on a utilisé de la chaux, du ciment, du sable. Il existe des
magasins spécialisés pour les réalisateurs de maquettes, professionnels ou
amateurs, qui travaillent sur des maquettes de très petites dimensions. On peut
y trouver de la boue spécifique en pot, des imitations d’eau, de neige, de
sable etc. Pourtant, travaillant sur une maquette de très grandes dimensions,
je n’avais pas les moyens de me procurer tous ces matériaux qui sont très
coûteux. En revanche, si j’utilisais des matériaux de construction, dont se
servent les maçons, tout devenait réalité: la boue se transformait en boue, le
ciment en ciment et ainsi de suite ».
Ambitieux projet mettant en avant de véritables prouesses
techniques en termes de reconstitution du passé et qui donne à réfléchir sur
les rapports étroits entre histoire d’hier et histoire présente. (trad. Ilinca
Gângă)