Ian Tilling, expat en Roumanie
Après la révolution de 1989, les médias internationaux regorgeaient d’images d’enfants roumains institutionnalisés dans des orphelinats épouvantables. Peu de temps après, des dizaines de convois humanitaires arrivaient en Roumanie. Des étrangers aussi y venaient nombreux, profondément touchés par ce qu’ils avaient vu dans la presse et déterminés à donner un coup de main à ces enfants en détresse. Parmi eux, notre invité daujourdhui, le Britannique Ian Tilling, qui, à cette époque-là, était agent de police. Il a travaillé pendant deux ans avec les enfants en situation de handicap, dans le centre de Plătărești, puis a décidé de retourner en Roumanie, cette fois pour toujours. Au bout de 23 ans au sein de la police de Kent, Ian a pris sa retraite et a radicalement changé de vie. Il s’est installé en Roumanie et a fondé, en 1992, le centre Casa Ioana, un lieu qui se veut un nouveau départ pour les victimes de la violence domestique et pour les familles sans abri. A la tête d’une équipe enthousiaste, Ian a attiré de nombreux expatriés dans cette aventure. En plus, il organise régulièrement des actions humanitaires pour les sans-abris de Bucarest.
Hildegard Ignătescu, 15.11.2020, 13:51
Lorsqu’il est arrivé en Roumanie pour la première fois, c’était en août 1990. Il venait de conduire à travers l’Europe un camion chargé d’aides humanitaires. Une infirmière l’accompagnait. Ian Tilling se souvient que, pour pouvoir franchir la frontière roumaine, il avait improvisé sur place un tampon en se servant d’une pièce de monnaie de 10 pennies avec l’effigie de la reine d’Angleterre. Il se rappelle aussi l’image de la Roumanie du lendemain de la révolution et explique pourquoi il a décidé de s’y installer définitivement : « Le voyage vers Bucarest a été affreux et merveilleux à la fois. Affreux parce que les routes, comme les conditions, étaient très difficiles. En revanche, les paysages et la nature étaient magnifiques, ce qui a rendu le voyage très intéressant. Quand nous sommes arrivés à Bucarest, tard dans la nuit, la ville nous a semblé terne. On ne s’y attendait pas du tout. Nous sommes finalement arrivés à l’hôtel Athénée Palace, trop luxueux à notre goût et un peu cher, mais nous n’avions pas d’autre endroit pour dormir. Je me souviens que le lendemain matin nous avons été accueillis par un enfant. Il a offert une fleur à l’infirmière qui m’accompagnait. Un beau geste de la part de ce gosse qui allait devenir notre petit guide local. Au départ, j’ai travaillé à l’orphelinat Mère Teresa, à Bucarest. Ensuite, j’ai rencontré quelques infirmières britanniques et je me suis rendu au centre de Plătărești. J’y ai travaillé pendant un mois avec les enfants atteints de handicaps physiques et mentaux sévères. Le seul endroit où je pouvais acheter de la nourriture, c’était le marché. Il y avait aussi une épicerie sur le boulevard Magheru, mais les choses essentielles, je les trouvais au marché. Il n’y avait pas de panneaux publicitaires et tout était morne, monotone. On voyait des files d’attente devant les magasins et l’éclairage public n’existait que sur les grands boulevards. Je me suis rendu aussi à Brasov. Je suis resté une nuit dans cette ville si différente de Bucarest et si belle, située dans les montagnes. Nous sommes ensuite retournés au Royaume-Uni sans aucune mésaventure. Nous avons fait halte à Vienne, où nous avons passé la nuit. Je me souviens avoir été enchanté, le lendemain matin, de regarder par la vitrine d’un magasin où l’on vendait des articles sanitaires et cosmétiques pour la salle de bains. Ce qui m’a fasciné, ce sont les couleurs et les formes de ces objets que j’ai été surpris de voir après tant de gris. Ce dont je me souviens encore, c’est que, de retour au Royaume-Uni, en faisant mes courses dans un supermarché ordinaire, j’ai réalisé avec stupéfaction que là, la nourriture pour les chiens était plus variée que celle offerte à un être humain à Bucarest. Le contraste était énorme. J’avoue avoir été content de quitter la Roumanie, après y avoir passé quatre semaines d’émotions extrêmes. Je ne pensais pas y revenir un jour. Mais, comme je l’ai dit, nous nous sommes arrêtés à Vienne et, tout le chemin du retour, nous avons pensé à la Roumanie et nous avons tous les deux changé d’avis. C’était comme si un aimant invisible nous tirait en arrière, ce qui s’est finalement produit. »
Ian Tilling est un entrepreneur social apprécié. Pendant les 30 ans écoulés depuis son installation en Roumanie, il a coordonné plusieurs équipes qui ont mis en œuvre des programmes européens et un programme de la Banque Mondiale destiné à l’inclusion sociale des sans-abris et des familles monoparentales. L’association qu’il a fondée et qu’il dirige, Casa Ioana, abrite 20 familles et neuf femmes qui reçoivent des soins, des conseils psychologiques et professionnels censés les aider à mener une vie indépendante. Au bout d’une année, soit la période daccueil proposée par Casa Ioana, plus de 80% de ceux qui y ont vécu trouvent un logement et un travail. Au fil des trois décennies vécues en terre roumaine, Ian a remarqué de nombreux changements pour le mieux en matière d’infrastructure, mais il déplore toujours labsence d’autoroutes. Quant aux besoins des catégories défavorisées de notre pays, Ian estime que l’Etat roumain ne les prend pas en compte au niveau requis. Il se réjouit pourtant d’avoir réussi à fermer les orphelinats. De l’avis de Ian Tilling, la pauvreté, le manque d’éducation et la mentalité selon laquelle la violence domestique est quelque chose de presque normal qu’il faut résoudre exclusivement au sein de la famille comptent parmi les problèmes majeurs auxquels la Roumanie est confrontée.
« Beaucoup de choses ont changé et continuent de changer en mieux. Je suis content de le constater. La Roumanie est membre de l’OTAN et fait partie de l’Union européenne. Lors des nombreux voyages que j’ai faits, les gens m’ont fait part de leurs bonnes impressions sur la Roumanie. Bien des Roumains sont allés travailler à l’étranger et la grande majorité d’entre eux ont apporté une contribution bénéfique aux pays dans lesquels ils vivent. La Roumanie devrait – et je pense qu’elle le fait déjà – promouvoir la beauté naturelle de ces lieux fabuleux qui ont conquis le cœur du prince Charles et de certaines autres personnalités intéressées par la nature et les riches traditions de ce pays. Un autre aspect important serait l’industrie hôtelière, un domaine dans lequel la Roumanie doit progresser, dans le sens qu’il faut comprendre la nécessité de développer une culture de l’accueil et de la convivialité. Et ce n’est pas quà lEtat roumain, mais à nous tous de nous investir dans les efforts visant à promouvoir une meilleure image et nos succès à l’étranger. »
Ian pense souvent à ses proches qui vivent au Royaume-Uni, mais la Roumanie est maintenant son chez soi. C’est ici qu’il est reparti à zéro, après avoir pris sa retraite à l’âge de 42 ans. Ian Tilling parle de son histoire en Roumanie comme d’une situation heureuse, dans laquelle les deux parties ont quelque chose à gagner : « Certes, la Roumanie est ma maison depuis plusieurs années. Elle est, si vous voulez, la terre de ma renaissance, puisque j’ai complètement changé de vie en arrivant ici. Il n’y a rien de spécial de mon pays natal qui me manque, peut-être parce que je sais clairement que ma maison est ici, maintenant. J’y ai pris racine et je suis reconnaissant pour cette chance. Ces trois décennies ont été extraordinaires pour moi. Le carrousel des émotions tourne toujours. J’ai énormément appris sur moi-même et je n’aurais pas pu le faire si j’étais resté au Royaume-Uni à vivre comme tous les retraités. » (Trad.Mariana Tudose)