L’ordinateur « Felix »
L’industrie roumaine des PC date du début des années 1960, lorsqu’elle comptait parmi les volets de la stratégie que le gouvernement entendait mettre en place pour booster la production interne. Le premier ordinateur utilisé en Roumanie en 1957 était de fabrication française. Une vingtaine d’années durant, soit de 1969 à 1989, l’industrie roumaine de l’informatique, un domaine interdisciplinaire à l’époque, a employé près de 70.000 spécialistes.
Steliu Lambru, 05.11.2013, 14:56
En 1969 était créé l’Institut des techniques de calcul de Bucarest. Politiques et spécialistes devaient choisir entre les industries française et anglo-américaine pour l’achat d’une licence. Finalement, les décideurs politiques ont opté pour la solution française et ce pour plus d’une raison: le rapprochement traditionnel entre les deux pays, l’essor des projets bilatéraux dans les années 1966 – 1970, le fait que les principaux pays producteurs d’ordinateurs étaient prêts à vendre leurs produits, sans pour autant offrir l’accès à la licence de fabrication. Non seulement la licence fut française, mais l’Entreprise d’ordinateurs elle-même fut conçue d’après le modèle de celle de Grenoble.
Baptisée Felix, toute une génération de PC de fabrication roumaine allait se développer à partir de l’ordinateur français IRIS. Ce sont l’Institut des techniques de calcul et la chaire d’informatique de l’Institut polytechnique de Bucarest qui ont apporté leur pierre à la naissance du PC prénommé Felix. Un nom à résonance historique, comme l’affirme Vasile Baltac, ancien directeur scientifique de l’Institut de techniques de calcul de Bucarest. En effet, après que l’empereur Trajan eut conquis la Dacie, en 106 après J.-Ch., la nouvelle province romaine fut nommée Dacia Felix, «la Dacie heureuse». Comme le président du pays, Nicolae Ceauşescu, se passionnait pour l’histoire, plusieurs projets économiques des années 1970-1980 furent affublés de noms sonores censés promouvoir l’image de la Roumanie. Parmi eux, la marque automobile connue depuis lors sous le nom de Dacia. Le deuxième terme, Felix, devint le nom du premier PC de conception entièrement roumaine. On lui ajouta aussi l’indicateur C 256: C comme «calculator», le mot roumain désignant l’ordinateur en français et un numéro rendant compte de l’étendue de la mémoire de l’ordinateur.
La taille de ce premier ordinateur roumain était telle qu’il occupait toute une pièce. Au début des années 1970, le C 256 était capable d’effectuer plusieurs centaines de milliers d’opérations par seconde, ce qui représentait une performance par comparaison avec les machines antérieures qui n’en faisaient que quelque dizaines ou centaines dans ce même laps de temps. Le fabricant roumain a même vendu 4 ordinateurs de type Felix C 256 en Chine et un autre en Hongrie. Ce qui plus est, le C 256 a joué une partie d’échecs avec Florin Gheorghiu, le match étant diffusé aussi à la télé. Le joueur d’échecs avait réussi à capturer un pion, après quoi la machine a dû s‘incliner devant la stratégie humaine. C’est que le tout premier logiciel n’avait pas encore de réponse adéquate à la vision, à la stratégie et à la complexité d’un jeu en déroulement; il ne pouvait donc pas concurrencer l’expertise d’un joueur d’échecs.
Le deuxième modèle de PC de fabrication roumaine, C 32, avait des dimensions plus réduites. La grande ambition du constructeur de faire doubler la mémoire de l’ordinateur allait se matérialiser sous la forme du modèle C 512. Malheureusement, la coopération plutôt difficile entre concepteurs et fabricants et la fiabilité contestée de la plate-forme française qui avait servi pour point de départ à la réalisation du premier PC Felix allaient beaucoup ralentir le développement du projet.
Une autre génération d’ordinateurs Felix allait voir le jour dans la 8e décennie du siècle dernier. C’était le tout début du concept de PC et les Roumains s’efforçaient de tenir le pas avec la nouvelle technologie. Felix PC devait être compatible avec les produits PC du producteur IBM, numéro 1 mondial de la promotion de cet ordinateur. En 1983, l’Institut Polytechnique de Bucarest endossa la tâche de mettre à niveau l’ordinateur Felix avec les nouvelles tendances en matière d’informatique, afin de pouvoir l’utiliser pendant les cours de formation des futurs ingénieurs électroniciens et automaticiens. Seulement, voilà, Felix PC n’a pas dépassé la phase des essais de laboratoire.
Une des explications du ralentissement du processus de développement et de production de la nouvelle génération d’ordinateurs Felix PC relève de la politique. Les années 1980 ont été marquées par la diminution draconienne des dépenses publiques et des importations, par la crise économique et l’absence de vision. Le régime politique de l’époque traversait une période d’ankylose idéologique et fonctionnelle qui allait en s’accentuant. Tout cela contrastait fortement avec la tendance à la globalisation et l’esprit d’ouverture qui gagnait du terrain surtout dans les secteurs de l’informatique et des techniques de calcul. Depuis 1990, on parle des ordinateurs Felix comme de signes d’une époque révolue de l’informatique roumaine. (trad. : Mariana Tudose)