Le cas Kövesi : la décision de la Cour européenne des droits de l’homme
Daniela Budu, 06.05.2020, 11:33
La Roumaine Laura Codruţa Kövesi a gagné le procès contre
l’Etat roumain à la Cour européenne des droits de l’homme, concernant sa
révocation de la fonction de cheffe de la Direction nationale anticorruption. Selon la CEDH, en
la révoquant avant la fin de son mandat, la Roumanie avait violé les droits de
l’ancienne procureure en chef. Plus encore, sa destitution a été abusive,
alors que Mme Kövesi n’a pas eu la possibilité de la contester. Laura
Codruţa Kövesi a dénoncé à Strasbourg sa destitution par décret présidentiel, suite
à une décision de la Cour constitutionnelle de Roumanie, précisant que deux de
ses droits fondamentaux avaient été ainsi transgressés. Il s’agit du droit à un
procès équitable, vu qu’elle n’a pas eu d’accès à un tribunal pour se défendre,
et du droit à la liberté d’expression, puisque son limogeage avait eu lieu sur
la base d’une évaluation du ministre de la Justice de l’époque, Tudorel Toader,
réalisée après que Mme Kövesi avait exprimé son opinion sur plusieurs réformes
législatives visant le système judiciaire roumain.
A l’heure où l’on parle, Laura Codruța Kövesi estime que la
décision de la Cour européenne des droits de l’homme ne doit pas rester sans conséquences
et que la Cour constitutionnelle de Roumanie (CCR) devrait se prononcer « sur des principes » et non pas à
l’égard « des personnes ». Cette décision est « une victoire de tous
ceux qui ont soutenu la justice ces dernières années », estime Mme Kövesi,
actuellement
à la tête du Parquet européen.
A
son tour, le chef de l’Etat roumain a déclaré que la décision de la Cour européenne
des droits de l’homme était « sans précédent » et que la Cour
constitutionnelle de Roumanie était donc obligée de réviser « sans plus
tarder » aussi bien la décision concernant la révocation de l’ancienne
cheffe de la DNA, que toute autre décision «concernant de simples déclarations,
fussent-elles nature politique». « La crédibilité de la Cour
Constitutionnelle, de toute façon compromise par certaines décisions
controversées prises ces dernières années, est désormais fortement ternie », a
martelé le chef de l’Etat roumain, Klaus Iohannis.
Par
contre, le président de la CCR, Valer Dorneanu, affirme que ceux qui souhaitent
analyser de « manière objective et sans parti pris » cette décision
de la CEDH constateront « qu’elle ne comporte aucune critique à l’adresse
de la CCR ».
Pour
le président du Parti National Libéral et premier ministre, Ludovic Orban, la CCR est compromise suite
à cette décision de la CEDH. Il insiste donc sur la nécessité de réexaminer la
manière dont la Cour est formée et son fonctionnement.
Depuis
l’opposition, le porte-parole du Parti Social Démocrate, Lucian
Romaşcanu, déclare que la décision concernant Mme Kövesi sanctionne une
procédure liée aux droits et aux libertés et que le PSD n’en est surtout pas
responsable.
Les réactions internationales n’ont pas tardé non plus.
Le New York Times écrit par exemple que l’actuelle procureure en chef antifraude de
l’UE « a été injustement révoquée » de son ancien poste. « Sa
révocation fut l’apogée des manœuvres du gouvernement social-démocrate de
l’époque pour changer la législation judiciaire et remplacer les procureurs en
chef, ce qui a entraîné des protestations de rue massives et a alarmé la
Commission européenne », ajoute le quotidien américain. En même temps, comme le
souligne la publication londonienne Emerging Europe, « la victoire à la
CEDH de l’héroïne anticorruption place la CCR sous des projecteurs
non-désirables ». D’ailleurs, la même publication désignait récemment Laura
Codruța Kovesi « personnalité de l’année 2020 ». Vu que l’ancienne cheffe
de la DNA n’a pas demandé des dommages-intérêts, « le verdict de la CEDH
coûtera sans doute cher la CCR, dont l’indépendance et la crédibilité sont
mises visiblement en question », conclut la publication britannique Emerging
Europe.