Justice, justiciables et politiciens
Liviu Dragnea, chef de file des sociaux-démocrates et président de la Chambre des députés, n’a pas caché sa désillusion à l’égard de la manière dont la Commission juridique du Sénat de Bucarest avait géré la question de la dépénalisation de certains faits de corruption. Il a même fait savoir que la direction du parti allait discuter de la situation du président de cette Commission, à savoir le social-démocrate Şerban Nicolae.
Bogdan Matei, 05.05.2017, 13:31
Les sénateurs juristes avaient adopté, mercredi, les amendements proposés par Şerban Nicolae et par son collègue Liviu Brăiloiu, ainsi que par Traian Băsescu, ancien chef de l’Etat, actuellement sénateur du Parti Mouvement populaire. Ces amendements portaient sur la grâce de condamnés pour corruption.
Les Roumains n’ont pas tardé à réagir. Plusieurs milliers de personnes sont descendues dans la rue, mercredi soir, à Bucarest et dans d’autres grandes villes à travers le pays, pour protester contre la corruption des politiciens, soient-ils de droite ou de gauche, au pouvoir ou en opposition. Résultat: le lendemain, la même Commission juridique du Sénat, revenait sur son vote, rejetant la proposition de gracier certains délits, tels la corruption active et passive ou le trafic d’influence.
Le Parti national libéral, l’Union Sauvez la Roumanie et l’Union démocrate des Magyars de Roumanie ont dit « oui », lors de ce nouveau vote, tandis que les représentants de la coalition gouvernementale, formée du PSD et de l’Alliance des démocrates et de libéraux, se sont abstenus. Le fait que Şerban Nicolae n’ait pas encore démissionné de ses fonctions de président de la Commission juridique du Sénat ternit aussi bien sa propre image, que celle du Parti social-démocrate, a écrit sur sa page Facebook Victor Ponta, ancien premier ministre social-démocrate.
Voici les explications de Şerban Nicolae : « Hier comme aujourd’hui, la prise de la décision a été faite à l’aide des mêmes moyens démocratiques, sans crispation ni préméditation. Si nous nous sommes tous abstenus c’est parce que nous nous n’étions pas d’accord avec la procédure. Nous l’avons soumise au vote, mais nous n’avons pas changé d’option. Il n’y a donc eu aucune influence. Hier, nous avons voté en faveur des amendements, aujourd’hui nous avons choisi de nous abstenir, ne voulant pas dire oui ou non à cette procédure consistant à soumettre une nouvelle fois au vote des amendements déjà adoptés. Un point c‘est tout! »
Malgré le rejet de son initiative législative, Traian Băsescu a fait preuve d’esprit de suite dans sa plaidoirie en faveur de la grâce des personnes condamnées pour abus de fonctions : « Chez nous, l’abus de fonctions a été traité de manière excessive. A preuve, le dernier rapport de la cheffe de la Direction nationale anticorruption, selon lequel 2.150 dossiers portant sur ce délit sont instruits actuellement. A comparer cette situation avec ce qui se passe ailleurs en Europe, je crois que le nombre de ces dossiers ne dépasse pas la centaine. Cela prouve que l’on a affaire à une application défectueuse de la loi, chose démontrée par la Cour constitutionnelle aussi. »
Jeudi encore, la Cour Constitutionnelle a rejeté, à la majorité des voix, la saisine du Défenseur des droits relative à l’article de loi stipulant que les personnes ayant subi une condamnation pénale ne peuvent pas être membres du gouvernement. C’était justement la loi qui avait bloqué l’accès à la présidence de l’Exécutif du leader social-démocrate Liviu Dragnea et ce malgré la victoire nette de son parti lors des élections législatives de décembre 2016. Liviu Dragnea avait été condamné, l’année dernière, à deux ans de prison avec sursis, pour avoir essayé de frauder le référendum organisé en 2012 sur la destitution du chef de l’Etat à cette époque-là, Traian Băsescu.
Voici ce que déclarait Liviu Dragnea: « La décision de la Cour ne change en rien mon attitude, comme elle ne change pas non plus le cours de ma vie, mon activité et mon action politiques. Je soutiens le premier-ministre et le gouvernement en place. Bref, cette décision ne me concerne pas. »
La presse internationale consigne ces évolutions, qu’elle interprète comme un signe de la lutte menée par la partie saine de la société roumaine avec les responsables politiques ayant des problèmes de moralité. (trad. : Mariana Tudose)