L’architecte Sergiu Singer
« Lavande et ail ou le murmure des maisons » et « Punaises et papier bleue » sont
deux livres très particuliers, difficilement classables, mélanges de
littérature, mémoires et gastronomie. Deux ouvrages écrits par une personnalité
tout aussi spéciale: l’architecte et scénographe Sergiu Singer.
Christine Leșcu, 21.05.2023, 10:00
« Lavande et ail ou le murmure des maisons » et « Punaises et papier bleue » sont
deux livres très particuliers, difficilement classables, mélanges de
littérature, mémoires et gastronomie. Deux ouvrages écrits par une personnalité
tout aussi spéciale: l’architecte et scénographe Sergiu Singer.
Né à Ploiești en 1928 et décédé à Brème, en Allemagne, en 2018, Sergiu Singer
avait quitté la Roumanie en 1963, mais il était resté attaché à son pays natal,
qu’il avait souvent revu, qu’il avait décrit dans ses textes, où il avait
laissait de très bons amis. Certains d’entre eux se souviennent d’ailleurs de
lui, à l’exemple de l’architecte Radu Comșa, maître de conférences à
l’Université d’Arts de Bucarest :
J’avais rencontré Sergiu avant de faire
sa connaissance ou vice-versa à travers une énigme architecturale. Un jour,
j’étais en train de longer à pied le boulevard Iancu de Hunedoara, de Bucarest,
quand je me suis arrêté devant un groupe de bâtiments. Un mystère ou plutôt une
énigme était là, devant mes yeux, car l’immeuble à droite était banal et de
type soviétique. Mais c’est l’immeuble à gauche qui me posait problèmes :
un peu trop joyeux, un peu trop décoré, un peu artificiel, en tout cas il
sortait des rangs. Et je m’étais donc demandé si quelqu’un était en train de berner
Staline, osant sortir des rangs à un moment où l’architecture était la
marionnette des dictateurs et toute erreur était à bannir. Quand j’ai fait sa
connaissance, Sergiu Singer m’a dit qu’il avait réalisé cette façade à l’âge de
27 ans. Cette rencontre a aussi eu un effet théâtral, car il avait un style de
se présenter très spécial. Il disait « Je m’appelle Singer, comme la
machine à coudre.
Avant de devenir lui-même un
maître pour des plus jeunes, à la fin de ses études supérieures d’architecture,
Sergiu Singer a dû être stagiaire de l’architecte Ioan Giurgea. Adepte de
l’ornementation en architecture, Giurgea s’est rendu compte que son apprenti était
encore plus intéressé que lui par les ornements et lui a conseillé de travailler
dans le théâtre. Radu Comșa raconte comment cela s’est passé: Un heureux hasard fait qu’un jour, il tombe dans la rue sur son
camarade de classe du lycée « Saints Pierre et Paul » de Ploiești,
l’acteur Toma Caragiu, qui le fait embaucher au Théâtre de la Jeunesse de la
ville, en 1957. C’est là qu’il réalise ses premiers décors pour le spectacle « De
Pretore Vincenzo » d’Eduardo de Filippo. (…) Sergiu m’a raconté que la
première de Ploiești avait eu lieu quelques mois seulement après la première
mondiale, en Italie. C’est comme ça que Sergiu se tourne vers le théâtre, qui a
été son deuxième grand amour.
En Allemagne de l’Ouest, où il a émigré en 1963,
Sergiu Singer a choisi de nouveau les arts du spectacle, raconte Radu Comșa: Il arrive en Allemagne, d’où il m’a envoyé un cadeau, une aquarelle du
port de Hambourg. À un moment donné, j’ai dit à Sergiu que ce n’était pas du
tout son style, c’était trop sombre. « Ces couleurs ne te représentent
pas, il n’y a pas de fioriture, pas de gaité ». Il a alors reconnu qu’il
avait traversé des années plus tristes après son arrivée en République fédérale
d’Allemagne. Mais il se lance dans la scénographie et commence avec
« Antigone » à Göttingen. Il enchaîne, sur la même scène avec une
pièce à l’autre bout du répertoire théâtral: « Qui a peur de Virginia
Woolf ? » d’Edward Albee. (…) C’est ça le début de sa carrière allemande.
(…) Après le théâtre, il tente l’opéra
(…) et conçoit aussi les décors d’une émission de télévision à succès de la
chaîne ZDF.
Établit en Allemagne,
Sergiu Singer trouvait tout de même des occasions de retourner en Roumanie pour
rendre visites à ses vieux amis, dont l’acteur Victor Rebengiuc, qui se
souvient: Sergiu est né avec le don d’être ami. Car l’amitié avec lui
prenait corps instantanément.(…) Moi, je l’ai connu quand
j’avais fini mes études à l’Institut d’art théâtral, en 1958.J’ai été envoyé, avec un groupe de collègues
acteurs et avec un de nos professeur, Vlad Mugur, à monter, à Craiova, la pièce
« L’Importance d’être Constant » d’Oscar Wilde. Siegfried était en
charge des décors (…), et Sergiu était son assistant. Ce fut donc à Craiova que
j’avais fait sa connaissance et que étions devenus amis, car on s’y voyait tous
les jours. (…) Moi, je suis revenu à Bucarest peu après la première du spectacle
à Craiova et en janvier j’étais déjà embauché au Théâtre Bulandra ou Théâtre Municipal,
comme on l’appelait à l’époque. On se voyait, on était amis, mais il a disparu
à un moment donné. J’ai pensé que, comme il était Juif, il aurait quitté le
pays. J’ai pensé ça parce qu’il était quelqu’un de solide, capable de se
débrouiller n’importe où dans le monde, et qui faisait des choses admirables.
(…) Quand il est revenu à Bucarest et en Roumanie, il m’a cherché et nous avons
repris notre relation d’amitié. (…) Un jour, il nous a invités à déjeuner chez
lui, car il s’était acheté un appartement rue Câmpineanu. (…) Il a préparé
lui-même une délicieuse soupe aux asperges, dont je vous conseille vivement
d’essayer la recette.
Après la chute du communisme en Roumanie,
Sergiu Singer a pu mettre en valeur ses deux autres passions: la gastronomie et
la prose. Ainsi, il a publié les deux livres (« Lavande
et ail ou le murmure des maisons » et « Punaises et papier bleue »), dans
lesquels les recettes de plats délicieux sont mises en pratique et dégustées
dans le paysage pittoresque du Bucarest de jadis, la ville des souvenirs
sereins et optimistes de Sergiu Singer. (Trad. Ileana Ţăroi)