La civilisation du sel dans l’espace carpatique
Appelé, aujourd’hui encore, « l’or blanc », le sel a été une
denrée particulièrement convoitée depuis la nuit des temps. Les régions riches
en gisements de sel ont acquis une importance croissante, étroitement liée à la
valeur de la matière, comme ce fut d’ailleurs le cas de l’espace roumain,
réputé pour abriter les gisements de sel les plus grands d’Europe.
Christine Leșcu, 07.05.2023, 10:00
Appelé, aujourd’hui encore, « l’or blanc », le sel a été une
denrée particulièrement convoitée depuis la nuit des temps. Les régions riches
en gisements de sel ont acquis une importance croissante, étroitement liée à la
valeur de la matière, comme ce fut d’ailleurs le cas de l’espace roumain,
réputé pour abriter les gisements de sel les plus grands d’Europe.
Valerii Kavruk, directeur du Musée national des
Carpates orientales, de la ville de Sfântu Gheorghe, s’attarde sur l’ancienneté
des exploitations de sel sur le territoire actuel de la Roumanie et sur
l’histoire des régions saline du pays: L’exploitation appliquée, systématique, du sel sur le
territoire de la Roumanie remonte à environ l’an 6050 av. J. Ch. Ce qui est sûr c’est
qu’en Europe, l’exploitation la plus ancienne se trouve en Roumanie. Des
vestiges plus tardifs, datant approximativement de l’an 6.000 av. J. Ch., existent
en Pologne, près de la ville de Cracovie, et dans le nord-est de la Bulgarie,
sur le territoire de la ville de Provadia. Ces exploitations sont apparues
plusieurs siècles après celles de l’espace roumain.
En plus, l’exploitation du minerai salin continue de nos jours dans les
zones où se trouvent les plus anciennes mines du pays, tels les gisements de
sel gemme en surface notamment dans les départements de Prahova, Buzău, Vrancea
et Harghita (la mine de Praid). Mais les matières salines les plus facilement
exploitables sans recourir à des outillages modernes sont les accumulations
d’eau salée, à l’exemple de celles de Bucovine et de la Moldavie Subcarpatique.
De l’autre côté des Carpates, la dépression du Maramourech (nord) est arrosée
par des centaines de ruisseaux aux eaux salées, tout comme la partie de la
Transylvanie qui longe la chaîne des montagnes. Le bois a accompagné, depuis la
nuit des temps, les exploitations de sel, un type particulier de civilisation
matérielle s’étant ainsi développé dans les régions en question. Valerii Kavruk
en ajoute des détails:
Le plus souvent, lorsqu’il s’agit
des époques anciennes, le bois n’est pas mentionné, car il n’est pas trop
utilisé à cause de sa périssabilité. En général, les fouilles archéologiques
découvrent des restes d’une sorte de charbon, le bois étant pratiquement
détruit par des microbes. En revanche, dans les régions riches en eaux, boues
ou sols salés, les conditions de préservation du bois sont optimales. Dans
certaines zones, notamment en Transylvanie, un grand nombre d’installations et
d’outils en bois se sont conservés dans les couches de boues superposées, dans
les périmètres des exploitations salines. Cela ne veut pas dire que les gens
n’ont pas recouru à d’autres matériaux aussi, ni que de tels objets et
structures n’ont pas existé ailleurs aussi. C’est tout simplement le hasard qui
a rassemblé ces conditions de conservation du bois.
« Nous avons trouvé des
traces de bois sur la plupart des sites archéologiques d’exploitation du sel »,
poursuit Valerii Kavruk, qui dirige, depuis plusieurs années, les fouilles
archéologiques de Băile Figa, près de la ville de Beclean, dans le département
de Bistrița-Năsăud (nord-ouest). Là-bas, une couche de boue salée, de
trois mètres d’épaisseur, s’est déposée sur le gisement de sel. Cette couche de
boue conserve à l’intérieur des milliers d’objets et de traces de structures en
bois, utilisés pour exploiter le gisement, depuis environ 3.500 ans av. J. Ch. jusqu’à
nos jours. Actuellement, il n’existe nulle part ailleurs en Roumanie autant de
vestiges en bois de la préhistoire que sur le site de Băile Figa. De tels
objets et structures se trouvent, certes, dans d’autres endroits aussi, mais
nous connaissons mieux ceux de Băile Figa, car, pour l’instant, c’est l’unique
site où les fouilles archéologiques sont systématiques., précise-t-il.
Le bois est un des quelques matériaux qui se conservent très bien dans un
environnement salin. À Băile Figa, les archéologues ont découverts, par
exemple, des palissades de renfort en bois de chêne, construites sur les
terrains où la boue a été excavée pour arriver aux couches de minerai, ainsi
que les galeries en bois à l’intérieur des mines. (Trad. Ileana Ţăroi)