La colonne sans fin des héros
« La Colonne sans fin », l’œuvre la
plus connue du grand sculpteur Constantin Brâncuși, forme, avec « La Porte
du baiser », « L’Allée des chaises » et « La Table du
silence », l’ensemble monumental « La Voie des Héros » de la
ville de Târgu Jiu, au sud-ouest de la Roumanie. L’impressionnant monument,
haut de 30 de mètres, a fait l’objet de nombreuses explications, mais la
signification la plus partagée est celle d’une offrande aux héros tombés durant
la première guerre mondiale, entre 1916 et 1919. Le grand artiste a ainsi rendu
hommage au sacrifice assumé par des gens quelconques à travers une œuvre unique
et universelle.
Steliu Lambru, 05.03.2023, 10:30
« La Colonne sans fin », l’œuvre la
plus connue du grand sculpteur Constantin Brâncuși, forme, avec « La Porte
du baiser », « L’Allée des chaises » et « La Table du
silence », l’ensemble monumental « La Voie des Héros » de la
ville de Târgu Jiu, au sud-ouest de la Roumanie. L’impressionnant monument,
haut de 30 de mètres, a fait l’objet de nombreuses explications, mais la
signification la plus partagée est celle d’une offrande aux héros tombés durant
la première guerre mondiale, entre 1916 et 1919. Le grand artiste a ainsi rendu
hommage au sacrifice assumé par des gens quelconques à travers une œuvre unique
et universelle.
Le Pr Adrian Tudor, de l’Université de Târgu Jiu, a participé
aux travaux de restauration et de protection de la Colonne dans les années 2000.
Il a tenu à souligner le lien direct qui existe entre la sculpture de Brâncuși
et ceux qui ont défendu leurs idées et valeurs au prix de la vie sur le front
de la Grande guerre: « Tous les spécialistes et les
critiques d’art considèrent que la « Colonne sans fin », ou la
« Colonne de l’infini » par son appellation populaire, est la
synthèse et le testament artistique de Brâncuși. Le critique d’art Ion
Pogorilovschi disait que si on la regarde sous des angles différents, la
colonne rappelle une autre œuvre du Maître. Si nous regardons la force d’un
rhomboïde, d’un module, nous voyons la Maiastra. Sous un autre angle, nous
voyons une partie du Grand coq, une autre œuvre que Brâncuși avait voulu voir
exposée en plein air à Paris, devant le siège actuel de l’UNESCO. La colonne de
Târgu Jiu est la seule à s’élever vers le ciel au pays natal de l’artiste. Il
le disait lui-même: « le bon Dieu la voulu ainsi, que j’érige ma seule
colonne chez moi, à Târgu Jiu. » C’est vrai qu’il l’avait déjà sculptée en
bois. Plusieurs variantes de la colonne, toutes en bois, sont exposées dans son
atelier, au Centre Pompidou de Paris. Il avait aussi installé une colonne,
haute d’environ 9 mètres, près de Paris, mais il a fini par la démonter et la
ramener dans son atelier. Elle est exposée au Centre Pompidou. »
L’histoire de la Colonne
sans fin commence à la fin des années 1930. La Roumanie a reçu cette œuvre
unique lors de la commémoration de deux décennies depuis la conclusion de la
Grande guerre. Adrian Tudor a rappelé les faits héroïques des soldats
originaires de la contrée de Gorj en 1916, qui ont été la source d’inspiration
du grand sculpteur: « Brâncuși fut invité à créer à Târgu Jiu un monument à la gloire des
héros de la Bataille de Jiu. L’issue de la guerre s’est décidée un 14 octobre.
Deux événements marquent cette date, dont le plus important fut la Bataille de
Podu Jiului, lorsque les habitants de la ville, notamment les vieillards, les
femmes et les enfants encore sur place ainsi que les éclaireurs, commandés par
le commissaire de police Popilian, ont défendu le pont. La rivière Jiu a
constitué une ligne de défense jusqu’au cœur de la montagne. Même le journal
anglais « Times » a publié un article consacré à la victoire des
Roumains, qui avaient réussi, en ce 14 octobre, à bloquer l’entrée de l’armée
allemande dans la région de Gorj et dans la ville de Târgu Jiu. Aretia Tătărăscu,
épouse du premier ministre de l’époque, Gheorghe Tătărăscu, et présidente de la
Ligue des Femmes roumaines, avait été invitée à faire ériger un monument à Târgu
Jiu. Une artiste roumaine célèbre, Milița Petrașcu, lui avait suggéré de faire
appel à Constantin Brâncuși. Milița Petrașcu est la sculptrice à laquelle nous
devons le mausolée où repose l’héroïne Ecaterina Teodoroiu à Târgu Jiu.
Brâncuși accepte la proposition, mais il demande qu’il soit libre de toute
contrainte pour créer librement le monument en hommage aux héros de la Grande guerre. »
L’esprit libre de Brâncuși transforme
alors l’idée en matière, explique Adrian Tudor: « Au printemps 1937, il se
rend à Târgu Jiu accompagné par l’ingénieur Ștefan Georgescu, un fils des lieux.
Il cherche le meilleur endroit pour y ériger la Colonne et il finit par choisir
un périmètre aux confins de la ville à l’époque, un endroit que Brâncuşi
appelait la Foire au foin. Une foire aux animaux s’y tenait effectivement et
des bottes de foin étaient éparpillées partout. Il en prend une photo, sur
laquelle il dessine la colonne à la plume. Cette photo est donc l’extrait de
naissance du monument. Le pilier intérieur de la colonne est tourné en acier
aux usines de Reșița en 1937. Les modules, eux, sont tournés en fonte aux
usines de Petroșani. Toutes les pièces sont ramenées à Târgu Jiu et la colonne
est assemblée entre octobre et novembre 1937. »
Mais Brâncuși avait déjà
décidé de créer quelque chose d’encore plus grandiose, une « Voie des
Héros », qui rappelle la fondation de la Grande Roumanie. Cet ensemble
monumental commençait sur les bords de la rivière Jiu et comprenait la Table du
silence, l’Allée des chaises, la Porte du baiser avec deux bancs latéraux,
l’église des Saints Apôtres dont l’autel est traversé par l’axe imaginaire de
la Voie des Héros, la Colonne en étant le point final. C’est une route
initiatique de 1,3 km, entre deux parcs de la ville. La « Colonne sans
fin », appelée initialement la « Colonne de la reconnaissance sans
fin », représente l’apogée d’une génération qui réparait ce qu’elle
pensait être une erreur, pour l’offrir à la postérité. (Trad. Ileana Ţăroi)