Nicolae Steinhardt
Nicolae
Steinhardt a été un des intellectuels roumains du XXe siècle qui se sont violemment
confrontés à l’histoire. Né dans une famille juive, près de Bucarest, en 1912,
il s’éteint à l’âge de 77 ans, en mars 1989, neuf mois avant la chute du régime
communiste. Son père, ingénieur et architecte, avait combattu sur le front de
la Grande Guerre, où il fut blessé et décoré pour sa bravoure.
Steliu Lambru, 26.06.2022, 09:47
Nicolae
Steinhardt a été un des intellectuels roumains du XXe siècle qui se sont violemment
confrontés à l’histoire. Né dans une famille juive, près de Bucarest, en 1912,
il s’éteint à l’âge de 77 ans, en mars 1989, neuf mois avant la chute du régime
communiste. Son père, ingénieur et architecte, avait combattu sur le front de
la Grande Guerre, où il fut blessé et décoré pour sa bravoure.
Nicolae
Steinhardt fait ses débuts littéraires dans la revue du lycée « Spiru
Haret », de la capitale. Durant les années de faculté, il est un habitué
du cénacle littéraire « Sburătorul », coordonné par l’influent
critique littéraire Eugen Lovinescu. En 1936, il devient avocat et obtient le
titre de docteur en droit constitutionnel à l’Université de Bucarest.
Nicolae Steinhardt commence à publier
des chroniques littéraires et des essais sous le pseudonyme « Antistihus ».
Avant son limogeage de la rédaction de la « Revista Fundațiilor Regale »
sous la pression de la législation antisémite en vigueur à la fin des années 1930,
il avait publié trois volumes de réflexions sur la spiritualité judaïque.
Le nouveau régime, installé le 6 mars
1945, ne se montrera pas bienveillant envers Steinhardt et ceux qui avaient
refusé de collaborer. En 1947, il reçoit un double coup: un nouveau limogeage
par la « Revista Fundațiilor Regale » et la radiation du barreau. En
1958, deux ans après la révolution anticommuniste de Hongrie, Nicolae
Steinhardt est arrêté avec le groupe « Noica-Pillat », dénommé ainsi
d’après le philosophe Constatin Noica et l’écrivain Dinu Pillat. Accusé de
complot contre l’ordre social, une accusation récurrente contre les opposants
du pouvoir, il est condamné à 12 ans de prison.
C’est en prison qu’il se convertit à la
religion chrétienne orthodoxe, avant d’être libéré en 1964, après avoir purgée six
années de sa peine. L’expérience carcérale est la source de son livre le plus
connu, Jurnalul fericirii/Le Journal de
la Félicité, qui a eu un impact très fort sur la conscience collective
roumaine au début des années 1990. George Ardelean, éditeur de la
correspondance de Nicolae Steinhardt, rappelait les deux formes d’enfer
décrites dans Le Journal de la Félicité,
ainsi que dans plusieurs lettres: « Il y a l’enfer du détenu
seul dans une cellule, un homme dans un face-à-face rude avec le temps pur,
qu’il doit remplir. Rappelons-nous, par exemple, le destin de Lena Constante,
qui a passé 3 000 jours, c’est-à-dire 8 ans, seule dans un cachot où il n’y
avait que les quatre murs, un lit, levé durant la journée, et une tinette. Pas
de téléphone, pas de journaux ni de livres, pas d’horloge non plus, sans
personne d’autre à ses côtés. Et puis, il y a l’autre enfer, le vacarme d’une
cellule surpeuplée. Ça me rappelle Le Journal de la Félicité et les paragraphes « Bughi
Mambo Rag », qui captent le croisement des dialogues à l’intérieur
exsangue d’une cellule de prison. »
Après sa sortie de prison, Nicolae Steinhardt publiera cinq
volumes de critique littéraire et d’essais, quinze autres allant être publiés après
sa mort. À partir de 1967,
il commence à chercher un monastère où il puisse entrer dans les ordres et
c’est en 1980 qu’il devient moine au monastère de Rohia, dans le département de
Maramureș. « Dans Le Journal de la Félicité, on
trouve plusieurs épisodes de 1938, quand Steinhardt se trouvait à Interlaken,
en Suisse, pour participer aux réunions du Groupe d’Oxford, un groupe
protestant œcuménique. Cela est une borne importante dans le rapprochement de Steinhardt
avec la religion chrétienne, après l’échec de son intégration à la synagogue. Entre
1935 et 1937, lui et son ami Emanuel Neuman, « Manole » du Jurnalul
fericirii, avaient essayé d’intégrer la synagogue et d’assumer complètement
l’identité judaïque. Leurs tentatives n’ont pas abouti, on ne sait pas
pourquoi, et les chemins spirituels des deux amis se sont séparés. À Interlaken, Nicolae
Steinhardt est fasciné par les débats et, un matin, un Irlandais lui dit avoir
rêvé que Steinhardt allait recevoir le baptême. Cet épisode est aussi raconté
dans ses lettres. », raconte George Ardelean.
La correspondance de Nicolae Steinhardt est fascinante, avoue
l’éditeur George Ardelean: « Nous y avons trouvé plein de défis. Tout
d’abord, celui de rassembler les quelques 1200 lettres et d’identifier leurs
destinataires. Nous avons fait des recherches dans des archives personnelles, dans
celles de diverses institutions, des monastères de Rohia, Cernica et Sâmbăta, du
Musée national de la littérature roumaine, du Conseil national d’études des
archives de l’ancienne Securitate. Il y a eu ensuite les lettres publiées après
1990 dans différents volumes et dans la presse culturelle. L’autre étape
particulièrement difficile a été celle d’identifier un critère pour y mettre de
l’ordre. Nous avions trois possibilité : premièrement, un ordre
chronologique absolu, deuxièmement les destinataires dans un ordre alphabétique
et, troisièmement, la variante que nous avons choisie, une mise ensemble des
deux premiers critères – regrouper les lettres en fonction du
destinataire, dans un ordre chronologique de la correspondance avec celui-ci. »
Les deux volumes de correspondance de Nicolae Steinhardt viennent
compléter l’œuvre d’un grand penseur, mais ils sont également des livres
d’histoire contemporaine de la Roumanie. (Trad. Ileana Ţăroi)