La bibliothèque publique de Constanţa
Christine Leșcu, 10.04.2022, 11:30
Cest en 1878 que la partie nord de la Dobroudja intégra le royaume de Roumanie et que débuta le processus de son occidentalisation. Lapparition dinstitutions politiques modernes dans la province fut accompagnée par la naissance dinstitutions culturelles, telles que la bibliothèque publique. Sa création est liée à la personnalité dun des hommes de culture et publicistes les plus influents de la ville de Constanţa: Petru Vulcan (1866 – 1922). Son nom a bien évidemment été évoqué lors du 90e anniversaire de la Bibliothèque départementale « Ioan N. Roman » de Constanța, en 2021.
La bibliothécaire Corina Apostoleanu fait un résumé de la biographie de Petru Vulcan : Petru Vulcan est arrivé en Dobroudja au bout dun périple très intéressant, quasi aventureux. Petru Vulcan a des origines aroumaines, de lextérieur du territoire actuel de la Roumanie, mais il finit par être très attaché à la ville de Constanța et à la province de Dobroudja. Il devient fonctionnaire public dans une ville-port dont lévolution commençait à peine et qui ne ressemblait pas à celle que nous connaissons aujourdhui. Là, il imagine un projet très ambitieux, celui de fonder une revue littéraire et culturelle en langue roumaine, la première jamais publiée sur le territoire de la Dobroudja. Une revue dont le nom sera « Ovidiu », pour célébrer la latinité quil entend promouvoir et un personnage extrêmement important pour le monde culturel de la province. Lancienne administration ottomane des lieux navait jamais mis en valeur la personnalité du poète romain Publius Ovidius Naso/Ovidiu/Ovide. Petru Vulcan se propose aussi de créer un cercle littéraire, un deuxième projet très audacieux dans une ville où la population dorigine roumaine était peu nombreuse, où le système déducation manquait à lappel et où les intellectuels se comptaient sur les dix doigts de la main. Vu le contexte, Petru Vulcan considère quil faut mettre en œuvre aussi un troisième projet, celui dune bibliothèque universelle.
La bibliothèque de Petru Vulcan nallait pas résister trop longtemps, à une époque où les livres étaient des objets de luxe et la vie culturelle moderne faisait ses premiers pas, raconte Corina Apostoleanu: Linauguration de la bibliothèque a été fastueuse, au cours dun grand événement public sur la Place de lIndépendance, lactuelle Place Ovidiu de Constanţa. Malheureusement, le projet est plutôt fragile et la bibliothèque seffondre. Les membres du groupe sont souvent en désaccord, mais la revue réussit à survivre jusquen 1910, avec ou sans Petru Vulcan. Mais entre la fin du XIXe siècle et les années 1930, lorsque la bibliothèque moderne fait effectivement son apparition, lon assiste à plusieurs tentatives dactivité culturelle sous la forme de cercles de lecture de diverses catégories professionnelles : fonctionnaires, ouvriers portuaires, juristes, enseignants et autres. Il y avait aussi des bibliothèques scolaires, rattachées aux établissements denseignement plus importants. Tout cela sinscrit sur le chemin déjà imaginé par Petru Vulcan et qui mène à la création de la bibliothèque publique de la ville. Si lon regarde de plus près, lon constate que les enseignants avaient mis de la pression sur les pouvoirs locaux, clamant le besoin davoir une bibliothèque dans leur ville.
Les pouvoirs locaux ne signeront lacte fondateur de la bibliothèque départementale de Constanța quen juillet 1931, ajoute Corina Apostoleanu: Pourquoi notre bibliothèque porte-t-elle le nom de « Ioan N. Roman »? Parce quil était un des intellectuels les plus réputés de la ville à lépoque. Ioan N. Roman était avocat et poète, qui publiait ses poèmes sous le nom de plume Rozmarin/Romarin, car il était impossible quun avocat sérieux publie sous son vrai nom. Il est mentionné dans de nombreuses publications de Dobroudja, mais il meurt en 1931. La bibliothèque publique sera installée dans une des maisons dIoan N. Roman, louée par la mairie. Le premier bibliothécaire, sans salaire, a été Carol Blum, autre intellectuel remarquable de Constanţa, enseignant et latiniste passionné de lœuvre dOvide. Dans les années 1950, Carol Blum partira en Israël, où son activité de recherche est reconnue, lAcadémie israélienne laccueillant parmi ses membres. La bibliothèque commence à avoir une identité bien définie et à former ses collections, grâce à des dons et dachats importants douvrages. Elle se dote dun règlement et met au point des horaires douverture et de lecture, devenant une institution moderne.
Linstallation du régime communiste en 1947 ouvre une nouvelle étape dexistence de la bibliothèque départementale de Constanța, une étape marquée par la censure et par linterdiction daccès du public à une partie importante des collections de livres. Après 1990, la bibliothèque perd son siège, le bâtiment ayant été rétrocédé à larchevêché de Constanţa, mais elle emménage dans un nouveau bâtiment, spécialement dessiné et construit pour elle, une première en Roumanie. (Trad. Ileana Ţăroi)