L’enfance et la féminité à l’aube de la modernisation de l’espace roumain
Christine Leșcu, 27.02.2022, 01:00
Le XIXe siècle a ouvert la modernisation et loccidentalisation des principautés de Valachie et de Moldavie. Les transformations institutionnelles et économiques se sont accompagnées dun changement en profondeur des mentalités, des mœurs et des coutumes. Les vêtements « à lorientale » ont été assez vite remplacés par la mode occidentale, tout comme larchitecture et le mobilier intérieur, mais aussi la vie familiale. Dans ce dernier cas, le changement a été porté par les femmes, très rapidement conquises par les canons esthétiques occidentaux. Dailleurs, cela a permis aux dames de la haute société de sortir de lenvironnement domestique et de simpliquer dans des activités sociales et éducatives, destinées surtout aux enfants. En fait, durant la première moitié du XIXe siècle, même les enfants – principal point dintérêt des familles à travers les temps – ont eu droit à une mise à jour de leur enfance, par rapport aux générations précédentes. Ainsi, les boyards se tournent vers des professeurs privés allemands, français ou anglais, quils chargent de léducation de leur progéniture, à la place des précepteurs grecs.
La bourgeoisie a sa propre approche de lenfance, expliquée par Nicoleta Roman, chercheuse à lInstitut dhistoire « Nicolae Iorga » : « Nous avons la bourgeoisie en train de naître, dont les marchands constituent le moteur. Car ils cherchent à imiter la vie des familles princières et des boyards. Chez eux, la présence des parents protège dune certaine façon les enfants, parce que les parents cherchent à acquérir une mobilité sociale qui permette aux enfants, mais aussi à la famille en général, de monter dans léchelle sociale. Alors, ils investissent dans les enfants, dans leur éducation, dans leur manière de se présenter aux autres, et cest ce qui distingue lenfance de lélite sociale et de la bourgeoisie par rapport à celle du milieu paysan ».
Pour les historiens, lenfance dans le monde rural de la première moitié du XIXe siècle reste un terrain à explorer. Mais ce que lon connait déjà sur le sujet montre que la lutte pour la survie quotidienne a empêché lapparition de changements bénéfiques dans cet environnement social, au début des transformations modernisatrices de la Valachie et de la Moldavie. Dans les campagnes, les changements concernant les enfants mais aussi les femmes se sont opérés beaucoup plus lentement.
Les jeunes boyards, qui étaient le fer de lance de ces transformations sociales, avaient leur propre conception de léducation, surveillée principalement par leurs mères, devenues ainsi des agents de la modernisation sur ce plan aussi, raconte Nicoleta Roman : « Noublions pas la génération des jeunes révolutionnaires de 1848 et de leur entourage, des gens qui occupent des fonctions importantes. Leur modèle déducation de lenfant est différent, et cela aura pour résultat des politiques publiques de lÉtat en matière déducation ou dassistance sociale. Cette approche rend lenfance et son éducation plus visibles quauparavant. Il existe en même temps ce sentiment national, dont le couple C.A. Rosetti et Mary Grant est un exemple. Ce couple, que lon peut appeler cosmopolite, a énormément aimé ses enfants, auxquels il a essayé dinculquer ce sentiment national y compris par le choix de leurs prénoms. La fille aînée a baptisée Libertate (Liberté). Le même sentiment national est présent chez les amis du couple Rosetti-Grant, les familles Golescu et Brătianu. Donc, lélite et ses aspirations concernant les enfants changent simultanément, dans un esprit différent de celui du XVIIIe siècle, dans le sens dun accent plus fort sur lenfant comme représentant de la nation et sur son éducation conformément aux valeurs de cette nation ».
Journaliste, écrivain, homme politique et révolutionnaire, Constantin Alexandru Rosetti, ou C.A. Rosetti, a épousé en 1847 lÉcossaise Mary Grant, qui travaillait comme gouvernante denfants. Ce couple allait être un exemple de cosmopolitisme et de transformation des rôles de genre classiques au sein dune famille, en assumant, dans la mesure du possible, les tâches ménagères sur un pied dégalité. Les deux conjoints contribuaient ensemble à léducation des enfants, rédigeaient les publications quils imprimaient ensemble et partageaient les mêmes principes politiques libéraux, Mary Grant devenant rapidement ladepte des idéaux de modernisation de lespace roumain des ces temps.
De toute évidence, affirme lhistorienne Nicoleta Roman, lÉcossaise nétait pas la seule femme de cet espace et de cette époque à changer de statut : « Premièrement, au début du XIXe siècle, notamment dans les années 1830 des Règlements organiques, il existait une tendance à la professionnalisation de certains aspects de la vie des femmes. Elles pouvaient travailler comme sage-femme, institutrice ou nourrice, des activités payantes et intégrées au système dÉtat. Donc, les femmes sortent petit à petit du milieu familial, privé, et commencent à se frayer leur propre chemin, sans pour autant renoncer à la famille et au foyer. Ce chemin est reconnu publiquement. Et puis, il y a les femmes de lélite sociale, qui commencent à simpliquer publiquement à travers des sociétés caritatives. Certaines dentre elles sortent des gazettes et écrivent beaucoup. Par rapport au XVIIIe siècle, le XIXe pousse en effet davantage les femmes sur le devant de la scène sociale. », conclut Nicoleta Roman, chercheuse à lInstitut dhistoire « Nicolae Iorga ». (Trad. Ileana Ţăroi)