L’écrivain Nicolae Steinhardt…
Né en juillet 1912 et décédé au printemps 1989, avant de voir la chute du régime communiste, Nicolae Steinhardt est devenu, à titre posthume, un symbole d’anticommunisme et de résistance par la religion et la culture. Docteur en droit, passionné de littérature et d’écriture dès l’entre-deux-guerres, Nicolae Steinhardt faisait partie du groupe d’intellectuels dit Noica-Pillat, dont les membres ont été condamnés à des peines de prison par les autorités communistes pour des actions contre l’État. Parmi ces actions, il y avait aussi la lecture de livres considérés comme subversifs à l’époque. C’est le moment où l’étiquette de « subversif » commence à s’appliquer à Steinhardt, un intellectuel qui, en fait, a toujours été original et non-conformiste. Par exemple, « Dans le genre des jeunes », son volume de début dans les années 1930, est un volume qui parodie le style littéraire, et non seulement, de la jeune génération de l’époque, qui comprenait également ses amis Mircea Eliade, Constantin Noica et Emil Cioran, tous marqués par la variante roumaine de l’existentialisme, mais aussi par l’option des idéologies politiques d’extrême droite.
Christine Leșcu, 19.09.2021, 13:54
Né en juillet 1912 et décédé au printemps 1989, avant de voir la chute du régime communiste, Nicolae Steinhardt est devenu, à titre posthume, un symbole d’anticommunisme et de résistance par la religion et la culture. Docteur en droit, passionné de littérature et d’écriture dès l’entre-deux-guerres, Nicolae Steinhardt faisait partie du groupe d’intellectuels dit Noica-Pillat, dont les membres ont été condamnés à des peines de prison par les autorités communistes pour des actions contre l’État. Parmi ces actions, il y avait aussi la lecture de livres considérés comme subversifs à l’époque. C’est le moment où l’étiquette de « subversif » commence à s’appliquer à Steinhardt, un intellectuel qui, en fait, a toujours été original et non-conformiste. Par exemple, « Dans le genre des jeunes », son volume de début dans les années 1930, est un volume qui parodie le style littéraire, et non seulement, de la jeune génération de l’époque, qui comprenait également ses amis Mircea Eliade, Constantin Noica et Emil Cioran, tous marqués par la variante roumaine de l’existentialisme, mais aussi par l’option des idéologies politiques d’extrême droite.
Arrêté en 1960 et libéré en 1964, lors de l’amnistie générale des prisonniers politiques, Steinhardt entreprendra un autre acte subversif : l’échec de sa proximité avec le judaïsme indigène l’amènera à se convertir à l’orthodoxie et, enfin, à faire son entrée en religion au monastère de Rohia du Maramureş. Vêtir l’habit monastique ne signifiera pas, pour lui, abandonner l’écriture ; Steinhardt publie quelques livres pendant le communisme, après que son droit de signature lui eut été rendu. Que peut-on conclure de l’analyse de son travail et de sa biographie ? Le critique littéraire Cosmin Ciotloş nous en parle :
« Steinhardt était subversif aussi par rapport à sa génération légionnaire, et par rapport à ce qui s’est passé dans les années 50, et également par rapport aux modèles structuralistes des années 60-70 et ainsi de suite. Et il parvient presque à être subversif aussi par rapport à la lecture qui lui a été appliquée pendant près de 30 ans, à titre posthume cette fois. Quant à ses relations avec les utopies ou les utopismes en tout genre, on peut déjà en déduire clairement qu’il les a dribblés. Steinhardt a réussi à dribbler ces tentations utopiques par sa façon d’être. »
Les tentations utopiques que Nicolae Steinhardt a dribblées étaient à la fois les idéologies de gauche et d’extrême droite ou les totalitarismes qui en ont émergé. Sa manière d’être – nuancée, humaniste et toujours prête au dialogue – ressort d’ailleurs le mieux du « Journal du bonheur », son livre le plus connu, paru après 1989, dont le manuscrit a été saisi par la Securitate communiste. Comment Steinhardt apparaissait-il pour la première fois aux yeux d’une personne avec qui il n’avait pas encore eu de dialogue ? Nous l’apprenons de l’universitaire Mihai Zamfir qui a eu le privilège de le connaître dans les années 1970. Le Pr Zamfir :
« Bien sûr, quand je l’ai rencontré la première fois, je ne savais pas qui il était. Je savais vaguement qui il était, et alors son portrait s’est dessiné par la suite avec le recul, en lisant, au début, les livres qu’il était autorisé à publier après sa sortie de prison, puis en lisant les nombreuses pages qui sont apparues après 1990. C’est ainsi que j’ai vu, en fait, à qui j’avais affaire. J’ai découvert l’envergure réelle de cet homme maigrichon, et insignifiant en apparence. Quand je l’ai connu, il était près de devenir moine et c’est pourquoi il semblait encore plus effacé, et moins important, physiquement parlant. Sachez que la différence entre Steinhardt et ses soi-disant collègues, les critiques littéraires des années 70-80, était énorme, et il essayait tout le temps de l’escamoter. Il avait une culture écrasante envers les autres. (…) Ce que Steinhardt savait était si écrasant par rapport aux autres que ce n’est que rarement et seulement dans certains articles qu’il a introduit le scalpel philosophique en littérature pour en faire ressortir ce que d’autres ne remarquaient pas. »
Récemment, l’œuvre de Nicolae Steinhardt a bénéficié d’une nouvelle analyse à travers l’œuvre « Les Ages de la subversion. N. Steinhardt et la déconstruction des utopies », écrit par Adrian Mureşan. Qu’est-ce que l’auteur a découvert à cette occasion ? Adrian Mureşan :
« J’ai souvent senti que le cadrage de Steinhardt n’était pas très précis. On a parlé de lui comme d’un dissident, sans même que certains orateurs sachent ce que dissidence voulait dire, y compris du point de vue étymologique. Mais on est également passé à l’autre extrême. J’ai polémisé dans le livre avec quelques voix qui ont minimisé excessivement la contribution de Steinhardt. Certaines voix se demandaient, par exemple : « Pourquoi le testament politique de Steinhardt avec ses célèbres solutions de résistance est-il si important ? Tout est beau sur le papier, mais quelle valeur ont-elles dans la pratique ? » Or la protestataire Doina Cornea et d’autres, pas beaucoup, ont démontré que cette partie de théorie pouvait admirablement être mise en pratique – pas par beaucoup, il est vrai. Une deuxième partie du livre concerne un autre cliché avec lequel j’ai ressenti le besoin de polémiser. Il s’agit de Nicolae Steinhardt, le critique littéraire. Ce que j’ai entrepris, c’est de démontrer que Steinhardt était, en fait, un critique culturel. Et enfin, la troisième partie concerne la manière dont Steinhardt lit la littérature française et anglaise, c’est-à-dire, si on parle de manière réductionniste, le modèle culturel et littéraire européen tel qu’il apparaît dans la littérature française et anglaise principalement. Il existe deux âges de la subversion chez Steinhardt : l’âge d’entre-deux-guerres, un âge de la contestation parodique du jeune conservateur, mais rebelle, et le deuxième âge, l’âge de la maturité subversive, qui est naturellement celui de l’essayiste de l’après-guerre qui a « l’honneur » d’être persécuté par son pire ennemi même, le communisme avec tous ses avatars. Steinhardt a été, en effet, un véritable anticommuniste ou antisocialiste depuis la fin de son adolescence. »
L’antitotalitarisme de Steinhardt était bien connu des communistes, à preuve l’ample dossier de poursuites établi par la Securitate à son nom : 11 volumes constitués par la participation de plus de 500 officiers, 70 indics et une surveillance constante pendant 30 ans.
(Trad. : Ligia)